GP de Hongrie: disqualification confirmée pour Vettel
Sebastian Vettel a perdu sa seconde place au soir du Grand Prix de Belgique, disqualifié par les commissaires sportifs au motif que ceux-ci n'étaient pas parvenus à prélever l'échantillon d'un litre de carburant réglementaire. Aston Martin a fait appel de cette décision auprès de la fédération en demandant un droit de révision. Ainsi, lundi 9 août, une audience se tient à Genève réunissant trois représentants d'Aston Martin (Otmar Szafnauer, Andrew Green et le directeur sportif Andy Stevenson), Michael Masi, Nikolas Tombazis et les commissaires du GP de Hongrie. L'écurie britannique démontre à cette occasion qu'une défaillance dans le système d'alimentation de l'AMR21 de Vettel explique le déficit de carburant constatée. Par conséquent, sa bonne foi ne peut pas être mise en doute.
Néanmoins la fédération ne considère pas ces éléments comme une « nouvelle preuve » justifiant la réouverture d'une enquête, car la recherche de la cause de l'infraction n'annule pas l'existence de celle-ci. Or le règlement stipule « qu'à tout moment après la course, un échantillon d'un litre d'essence peut être prélevé sur la voiture. » Les officiels ne sortent pas de cette logique et rejettent donc l'appel. « Pour apporter un élément pertinent, Aston Martin aurait dû présenter des faits attestant qu'il y avait plus d'un litre de carburant restant », constatent les commissaires dans leur rapport. « L'explication de l'impossibilité de satisfaire cette exigence n'est pas pertinente pour la décision quant à l'existence d'une entorse au règlement. » Face à cet échec, Aston Martin renonce à sa contestation. Sebastian Vettel se voit ainsi privé d'une superbe seconde place et son équipe de 18 points fort précieux au championnat des constructeurs.
Transferts: Pérez rempile chez Red Bull, Russell près de Mercedes
Au cours du mois d'août, Helmut Marko se fend de quelques déclarations assez désobligeantes à l'égard de Sergio Pérez, laissant sous-entendre que Red Bull chercherait un autre coéquipier pour Max Verstappen en 2022. Marko pointe notamment les quelques erreurs commises par le pilote mexicain lors des dernières épreuves, notamment à Silverstone. Ces critiques apparaissent bien sévères, car Pérez a tout de même remporté une course cette année, à Bakou, et a amassé 104 points, soit presque autant que Valtteri Bottas, son alter-ego chez Mercedes. En tout cas, la presse française prend ces échos pour argent comptant et imagine déjà Pierre Gasly effectuer un retour triomphal chez RBR en 2022. Las, ses espoirs sont douchés le 27 août lorsque Red Bull annonce la prolongation du contrat de Pérez pour une saison. S'est-il vraiment trouvé sur la sellette ? Quelques observateurs sagaces rappellent que « Checo » est puissamment soutenu par le groupe Telmex, dont l'apport financier est loin d'être négligeable, même pour un « top-team » comme Red Bull. Du reste, renvoyer Pérez, qui est le meilleur équipier opposé à Verstappen depuis Daniel Ricciardo, n'aurait pas eu le moindre sens.
Dans le camp d'en face, chez Mercedes, le nom du futur collègue de Lewis Hamilton n'est pas encore dévoilé, mais Toto Wolff annonce à Spa « avoir fait son choix ». Cette confidence étant glissée au soir des qualifications et de l'incroyable seconde place décrochée par George Russell, il ne fait plus aucun doute que le jeune Anglais remplacera Valtteri Bottas dans la seconde « Flèche noire » à compter de 2022. Et pourtant, Bottas s'accroche au vain espoir d'entretenir le suspense, affirmant au passage que Hamilton souhaite le garder à ses côtés... ce qu'on veut bien le croire ! Mais le septuple champion du monde n'est pas le patron chez Mercedes et Wolff a décidé de préparer l'avenir, c'est-à-dire l'après-Hamilton, à l'horizon 2024, en promouvant Russell.
Présentation de l'épreuve
Le Grand Prix de Belgique sera la première épreuve de la saison 2021 de Formule 1 à imposer le « passeport sanitaire européen » aux spectateurs. Ce véritable sauf-conduit hygiéniste n'est délivré que par les pays membres de l'Union européenne, la Suisse et la Grande-Bretagne. Cela signifie que, par exemple, les Américains et les Canadiens ne seront pas admis à Spa-Francorchamps, et ce même s'ils sont vaccinés contre la Covid-19 ! Aucun guichet de vente n'est installé à l'entrée du circuit. Tous les billets s'achèteront en ligne. Par ailleurs, le circuit des Ardennes a subi d'importants dégâts lors des terribles inondations qui ont frappé la région au mois de juillet, et certains axes de communication, notamment en direction de Liège, ne sont toujours pas rétablis. Plusieurs brigades de policiers sont mobilisées pour fluidifier au maximum le trafic et limiter les embouteillages. Hélas des bouchons gigantesques se formeront tout de même aux abords du circuit... Malgré ces contraintes, Mme Vanessa Maes, organisatrice de l'événement, espère accueillir 75 000 spectateurs par jour, ce qui sera toujours beaucoup mieux que le huis clos de 2020.
Un terrible drame survient quelques jours avant ce Grand Prix de Belgique: le 14 août 2021, la directrice du circuit de Spa-Francorchamps, Nathalie Maillet, est tuée en compagnie de sa maîtresse par son mari, le préparateur automobile Franz Dubois, lequel s'est ensuite donné la mort. Mme. Maillet, 51 ans, architecte de profession et ancien pilote, occupait ce poste depuis 2016. Son mandat fut notamment marqué par la diversification des activités du circuit qui doit trouver son aboutissement en 2022 avec le retour du Moto GP.
Le légendaire « Toboggan des Ardennes » célèbre cette année son centième anniversaire. Hélas, celui-ci passe au second plan derrière les critiques formulées contre le Raidillon de l'Eau Rouge, son morceau de bravoure, pointé du doigt pour des raisons de sécurité. Il est vrai que depuis plusieurs années, cette escalade en aveugle est le théâtre de plusieurs accidents spectaculaires, le plus dramatique étant celui qui a coûté la vie à Anthoine Hubert en 2019, lors d'une épreuve de F2. Quelques semaines avant ce GP de Belgique, les 24 heures de Spa ont été interrompues par une collision en chaîne au cours de laquelle Jack Aitken, le pilote de développement de Williams, a été grièvement blessé. Puis, vendredi 27 août, avant-veille de ce Grand Prix, lors des qualifications de la « W Series », six jeunes femmes sont impliquées dans un affreux carambolage, toujours dans ce même virage. Toutes s'en tirent sans dommage, mais de nombreuses voix s'élèvent pour réclamer des travaux d'aménagement. Ceux-ci auront lieu en 2022, avec un agrandissement des dégagements, le retour des bacs à graviers et l'installation de nouvelles barrières, soit le minimum qui puisse être fait pour sécuriser ce secteur. Car en vérité, en cas d'accident à cet endroit, les pilotes redoutent moins le choc initial que l'effet d'engrenage lorsque le bolide revient vers la piste, au sommet de la colline, alors que les concurrents déboulent à pleine vitesse, sans visibilité. C'est ce qui a tué Anthoine Hubert voici deux ans. Enfin, de façon plus anecdotique, le célèbre chalet qui surplombe le raidillon sera prochainement rasé pour laisser place à une grande tribune.
Le calendrier est une fois encore bousculé par les politiques sanitaires créées par la pandémie de la Covid-19. Les Grands Prix du Japon et d'Australie, prévus à l'automne, sont ainsi annulés, ces deux États misant sur des stratégies sévères et périlleuses d'éradication complète du virus. Les déplacements vers ces pays sont très limités, et les rares événements qui s'y tiennent sont encadrés avec une rigueur quasi-militaire, comme l'ont montré les récents Jeux Olympiques de Tokyo. La FIA et Liberty Media doivent donc encore une fois chambouler leurs plans. La saison comptera au mieux 22 épreuves et non pas 23, et le GP d'Australie devrait être remplacé par un GP du Qatar à Losail ou par une seconde épreuve à Bahreïn. En outre, les GP de Turquie (10 octobre), de Mexico (7 novembre) et de São Paulo (14 novembre) sont menacés car ces pays et ces villes sont toujours placées en « zone rouge » par le gouvernement britannique, ce qui pourrait grandement compliquer les déplacements des sept écuries résidant au Royaume-Uni.
La victoire d'Esteban Ocon et d'Alpine-Renault en Hongrie ne fait pas oublier que l'écurie anglo-française est toujours en pleine reconstruction. Début août, on apprend ainsi que Rémi Taffin a quitté la direction du département moteurs d'Alpine (ex-Renault Sport), sis à Viry-Châtillon. Son successeur n'est pas encore connu. Selon certaines indiscrétions, Taffin paierait sa décision de sacrifier le développement du moteur de 2021 au profit du programme 2022. Quoiqu'il en soit, avec ce départ, Laurent Rossi, directeur général d'Alpine, tire un trait définitif sur l'ère Cyril Abiteboul. Qu'on se le dise: le Renault F1 Team est bien mort au profit de la nouvelle identité Alpine, très franco-française. Pour preuve, l'équipe de Formule 1 accueille à Spa son « homologue » d'Endurance qui vient de conquérir la troisième marche du podium aux 24 Heures du Mans. Il s'agit en fait de l'équipe berrichonne Signatech de Philippe Sinault, laquelle a engagé dans la Sarthe une ex-Rebellion R13 rebaptisée « Alpine A480 ». La magie du « naming »... Enfin, et sans surprise, Laurent Rossi confirme en Belgique que le jeune quadragénaire Fernando Alonso pilotera toujours pour Alpine-Renault en 2022.
Ce Grand Prix de Belgique marque le trentième anniversaire des débuts en Formule 1 de Michael Schumacher, le 25 août 1991. Pour célébrer cet événement, son fils Mick coiffe une copie du casque que portait son père cette année-là, un bel hommage pour celui dont nul ne connaît l'état de santé. 2021 est bien une année Schumacher puisque les studios Netflix préparent un film-documentaire consacré au Baron rouge, dont la diffusion est prévue pour le 15 septembre 2021.
Mercedes et Red Bull-Honda se préparent à une bataille titanesque dans les Ardennes et optent pour des réglages proches, avec peu d'appui pour privilégier la vitesse de pointe. Par exemple, au fur et à mesure du week-end, l'aileron arrière de la RB16B apparaîtra de moins en moins incliné. En outre, Verstappen et Pérez utilisent ce week-end leur troisième unité de puissance de la saison après avoir chacun perdu un moteur: le Néerlandais lors de son accident à Silverstone, le Mexicain au cours du carambolage en Hongrie. Comme tous deux ne pourront pas achever la saison sans recourir à un quatrième bloc, ils devront donc tôt ou tard encaisser des pénalités qui coûteront cher dans la quête des deux titres mondiaux. Honda profite d'ailleurs de cette course spadoise pour remplacer de nombreux éléments sur les V6 des Red Bull et des AlphaTauri. Chez Ferrari, Leclerc utilise également son troisième moteur en 2021 après avoir perdu le précédent au départ du GP de Hongrie. Aston Martin introduit un aileron avant original, avec un flap supérieur doté d'une cassure en creux et un bord interne plongeant, ceci afin de réduire les appuis.
Essais et qualifications (humides)
La pluie s'invite sur Spa-Francorchamps vendredi matin. Les pilotes commencent la première séance libre en pneus intermédiaires, puis chaussent les slicks pour établir quelques chronos, avant qu'une averse ne mette un terme à leurs efforts. Bottas réalise le meilleur chrono devant Verstappen. Victime d'une mésentente avec Latifi, Hamilton ne réalise pas de temps significatif. L'après-midi, sur une piste sèche, Verstappen réalise le temps le plus rapide... avant de s'écraser contre les glissières à Malmédy. Un peu plus tôt, Leclerc avait provoqué un drapeau rouge en tapant le rail à la sortie des Combes. Samedi, la pluie et le froid (13°C) règnent au-dessus des Ardennes. La troisième séance libre se déroule intégralement sur piste humide et Verstappen se classe de nouveau en haut de la feuille des temps.
L'après-midi, le coup d'envoi des qualifications est retardé d'un quart d'heure en raison de la pluie. Les première et deuxième manches se déroulent sur le mouillé. La piste s'assèche toutefois peu à peu et les pilotes essaient les intermédiaires à la fin de la Q2. Cependant, une forte averse arrose de nouveau le circuit peu avant la troisième manche. Après quelques hésitations, Michael Masi donne néanmoins le coup d'envoi de la Q3, mais celle-ci est rapidement interrompue par un énorme accident de Norris au sommet du Raidillon: le jeune Anglais heurte les glissières du côté gauche avant de partir en toupie et de s'immobiliser sur une seule roue dans l'échappatoire. Le crash est si impressionnant que Vettel se gare un instant pour prêter secours au jeune Anglais, qui par bonheur sort seul de son épave. Norris est conduit au centre médical du circuit pour des examens de routine et sera déclaré apte à piloter le lendemain.
À la reprise, sur un bitume un peu moins détrempé, Verstappen signe sa sixième pole position de la saison (1'59''765'''). Sur l'autre Red Bull-Honda, Pérez se classe seulement septième et prétend avoir été gêné par Hamilton dans son tour rapide. Russell (2ème) réalise un sensationnel exploit en plaçant sa Williams-Mercedes en première ligne, à seulement trois dixièmes de la pole position. Une performance inédite pour Williams depuis 2017 ! Son collègue Latifi (10ème) se met également en valeur en atteignant la Q2. Hamilton n'est pas satisfait de l'équilibre de sa Mercedes mais sa place toutefois en troisième position. Bottas est plus en retrait: il ne réalise que le huitième temps, et recule de cinq places à cause de sa responsabilité dans le carambolage au départ du GP de Hongrie. Il s'élancera 13ème. Ricciardo se classe quatrième, soit sa meilleure performance depuis son arrivée chez McLaren. Norris regrettera longtemps son accident puisqu'il avait signé les meilleurs chronos en Q1 et Q2... Il encaisse une pénalité de cinq places pour un changement de boîte de vitesses et partira 19ème.
Chez Aston Martin, Vettel (5ème) est jusqu'ici très content de son week-end. Stroll ne peut pas en dire autant: éliminé dès la Q2, il s'élancera bon dernier après application de la pénalité reçue au soir du GP de Hongrie. Performantes sur piste sèche, les Alpine-Renault régressent sur le mouillé. Ocon (8ème) parvient tout de même en Q3 tandis que Alonso (12ème) rencontre des problèmes d'adhérence. Ferrari vit un très mauvais samedi: Leclerc (9ème), qui a changé de monocoque suite à son crash de la veille, et Sainz (11ème) passent à la trappe en Q2. Tous deux déplorent un manque de grip. Gasly réalise un nouvel exploit en décrochant la sixième place au volant de son AlphaTauri-Honda réglée pour piste sèche. Tsunoda (16ème) est tout à fait transparent, mais au moins ne sort-il pas de la route... Alfa Romeo vit un week-end désastreux: Giovinazzi (14ème) est éliminé dès la Q1 et Räikkönen perd son samedi matin à cause d'une panne de freins. Le Finlandais s'élancera dernier car sa monoplace est modifiée sous régime de parc fermé. Enfin, chez Haas, Schumacher (17ème) devance d'une seconde son équipier Mazepin (18ème).
L'équipe Williams chavire de bonheur après la performance de George Russell: qui aurait pu imaginer en début de saison une Williams en première ligne d'un Grand Prix ? « Je n'avais rien à perdre, alors j'ai tout donné ! Que de frissons ! » s'enthousiasme le jeune Britannique, dont l'ambition n'est pas rassasiée: « Pour demain, le plan est de doubler Verstappen au départ et de prendre de l'avance. Cela est possible, surtout si la météo reste la même. » Russell croit-il vraiment pouvoir conduire sa Williams à la victoire ?
Pendant ce temps-là, Michael Masi est sous le feu des critiques pour avoir relancé les qualifications tandis que la pluie redoublait d'intensité. Sebastian Vettel le rend ainsi responsable de l'accident de Lando Norris et déclare que le directeur de course « ne devrait pas se sentir très fier de sa décision ». Masi encaisse sans broncher, mais ces piques ne seront sans doute pas sans conséquence sur son attitude du lendemain...
Le non-Grand Prix
Dimanche matin, la « drache » tombe de nouveau sur Spa-Francorchamps, prélude à un dimanche très arrosé. Elle n'empêche pas les épreuves de Formule 3 et de Porsche Supercup de se dérouler, mais en début d'après-midi, à l'heure de la parade des pilotes, les vannes du déluge s'ouvrent sur la cuvette de Francorchamps, surnommée le « pot de chambre des Ardennes ». Des milliers de litres d'eau s'abattent sur le bitume et il ne fait alors plus aucun doute que le départ, prévu pour 15 heures, sera retardé. Néanmoins, les pilotes s'élancent pour leur tour de mise en grille. À cette occasion, Sergio Pérez part en aquaplanage en sortant des Combes et détruit le train avant de sa Red Bull contre les glissières. Le Mexicain abandonne sa monoplace à cet endroit et paraît déclarer forfait pour le Grand Prix.
Le directeur de course Michael Masi officialise alors le report du départ. Finalement, à 15 heures 20, les bolides s'ébranlent derrière la Safety Car pour deux boucles de reconnaissance. Les conditions sont catastrophiques, la visibilité nulle. L'eau reste suspendue en l'air, coincé par les arbres. Tous les concurrents, Verstappen excepté, sont aveuglés. Après quelque hésitation, Masi refuse de prendre le risque de lâcher la meute. À 15h30, il déploie le drapeau rouge. Tout le monde regagne les stands.
Dès lors, la direction de course annonce que le départ ne sera donné que lorsque surviendra une accalmie. Si les deux tours parcourus sont considérés comme nuls et non avenus, le compte à rebours des trois heures (durée maximale légale d'un Grand Prix) est bel et bien lancé. En théorie, les bolides doivent donc prendre la piste avant 18 heures. Et c'est le début d'une interminable attente... La pluie ne faiblissant pas, Masi reporte de quart d'heure en quart d'heure une prise de décision. 15h30: il pleut dru. 16h: idem. 16h30: il pleut, il mouille, c'est la fête à... Vers 17 heures, la patience des spectateurs, trempés jusqu'aux os, commence à s'émousser. Des huées fusent des tribunes. Pendant ce temps-là, les pilotes tuent le temps comme ils peuvent. Les plus jeunes tapotent sur leur smartphone, d'autres tentent de faire de l'humour. Pierre Gasly propose ainsi à l'écurie AlphaTauri d'organiser un barbecue. Plus sérieusement, chez Red Bull, on s'active pour réparer la monoplace de Sergio Pérez, rapatriée aux stands. Et de fait, celle-ci sera parée pour redémarrer... le cas échéant.
À 17 heures, nouveau coup de théâtre: Michael Masi suspend la limite des trois heures ! Le Grand Prix pourra finalement se tenir après 18 heures. On s'étonne de la légèreté avec laquelle les officiels contournent leur propre règlement. En fait, ceux-ci tablent sur une légère amélioration des conditions météorologiques. La pluie s'affaiblit, et la voiture médicale est envoyée en repérage sur le circuit. Cependant, son pilote, Alan van der Merwe, informe que si le bitume n'est pas trop glissant, la visibilité est toujours quasi-nulle... Nouvelles tergiversations. Michael Masi annonce aux écuries qu'il suffira de deux tours, même effectués sous Safety Car, pour entériner le résultat de la course, avec attribution de la moitié des points. Entre 17h30 et 18 heures, l'averse ne cesse pas, bien qu'elle soit moins dense. La rémission tant attendue semble en vue, même si la brume commence à recouvrir le « pot de chambre » spadois... Finalement, à 18 heures, après de nouvelles boucles de reconnaissance de la voiture médicale, Masi annonce que le Grand Prix va démarrer un quart d'heure plus tard, derrière la Safety Car. Sergio Pérez sera autorisé à démarrer depuis les stands. Il y retrouvera Kimi Räikkönen, ainsi que Lance Stroll, qui a effectué des modifications sur son aileron arrière alors que l'événement avait officiellement commencé, et sera puni en conséquence.
À 18h17, les bolides quittent les stands sous la direction de la Safety Car pilotée par Bernd Mayländer. Räikkönen, Pérez et Stroll partiront un tour plus tard. À cet instant la pluie recommence à tomber ! À l'issue de cette boucle de reconnaissance, Mayländer reste logiquement en piste. Néanmoins, la course a officiellement commencé.
1er tour: Cette fois, les vingt participants sont en piste et constatent, primo, que la piste est extrêmement glissante, secundo, qu'on n'y voit goutte. Toutefois, certains, comme Pérez, plaident par radio pour un démarrage. Pour l'heure, Mayländer mène la danse.
2e: Cette seconde boucle n'est pas même achevée que Michael Masi ressort le drapeau rouge ! Deux tours ayant été parcourus, le résultat peut donc être entériné !...
L'averse redouble tandis que les pilotes regagnent les stands. Cette fois, plus doute: on ne repartira pas. À 18h45, Michael Masi annonce que le Grand Prix de Belgique 2021 est officiellement terminé. La moitié des points est attribuée. La mascarade est à son comble.
Le classement de ce non-Grand Prix est le suivant: Max Verstappen est déclaré vainqueur, entouré sur le podium par Russell et Hamilton. Ricciardo, Vettel, Gasly, Ocon, Leclerc, Latifi et Sainz inscrivent des points. Viennent ensuite Alonso, Bottas, Giovinazzi, Norris, Tsunoda, Schumacher, Mazepin, Stroll, Räikkönen et Pérez. Le ridicule ne tuant décidément pas, Stroll se voit infliger une pénalité de dix secondes car ses mécaniciens ont retouché son aileron arrière durant l'interruption. Le Canadien est relégué au dernier rang.
Le culte de risque zéro
Jamais la Formule 1 n'avait offert un pareil spectacle, si ridicule qu'il efface le Grand Prix des États-Unis 2005 disputé avec six voitures ! Bien entendu, on ne s'attarde guère sur la 16ème victoire de Max Verstappen, ni sur le podium de George Russell, le premier pour l'écurie Williams depuis quatre ans. Il n'y a du reste aucune polémique sur l'opportunité de courir dans des conditions météorologiques extrêmes, car la « philosophie » de la course automobile, qui est bel et bien un défi lancé à la mort, a depuis longtemps cédé le pas au sacro-saint principe de précaution. Tous les pilotes, sans exception, l'assurent: il ne fallait pas courir et un drame serait survenu si on avait donné le départ. Peut-être que oui... peut-être que non.
Il est exact cependant que la visibilité était inexistante. En outre, les monoplaces du XXIème siècle sont si puissantes que le danger en ces circonstances est très élevé, surtout sur un circuit aussi sélectif que celui de Spa-Francorchamps. C'est ce qu'explique Mika Häkkinen: « Lorsqu'une voiture fait de l'aquaplaning, vous n'avez aucun contrôle - pas de freins, pas de direction - et c'est l'une des raisons pour lesquelles les fortes pluies qui se sont abattues sur Spa toute la journée de dimanche ont rendu les conditions si dangereuses. Si la pluie ne s'arrête pas, la piste n'a aucune chance de sécher. Les F1 actuelles développent environ 1000 chevaux, pèsent 752 kg et ont un aérodynamisme très sophistiqué qui disperse les jets d'eau. Or les autorités ne peuvent rien pour empêcher les fortes pluies. Elles ne peuvent qu'examiner toutes les informations disponibles et essayer de prendre la meilleure décision dans l'intérêt de tous, à commencer par la protection de la vie des concurrents. » Cette position sécuritaire fait aujourd'hui l'unanimité dans le paddock, mais suscite une certaine incompréhension parmi les « anciens ». Toujours à l'affût pour critiquer ses successeurs, Bernie Ecclestone estime ainsi qu'il aurait fallu laisser les pilotes choisir de courir ou non. Gerhard Berger suggère pour sa part de faire confiance au ressenti et à l'intelligence de ces derniers dans un contexte critique. Mais la culture du « risque zéro » ne veut pas entendre cette position.
Car, si ce refus de courir sous pareil déluge est raisonnable et compréhensible, il a aussi des fondements purement émotionnels. Les sports mécaniques rejettent depuis vingt-cinq ans l'idée de la mort en course, risque pourtant inhérent à leur pratique. Le circuit de Spa-Francorchamps a beau être un monument de l'histoire de la course automobile, il n'est plus appréhendé qu'avec méfiance, voire avec crainte. Une aura funeste flotte autour de lui, et plus particulièrement autour du Raidillon de l'Eau Rouge. Énonçons le non-dit: puisque Anthoine Hubert y a perdu la vie, ce virage doit disparaître, comme Tamburello a disparu après la mort d'Ayrton Senna.
La F1 se noie dans le ridicule
En tout cas, l'absence de compétition suscite beaucoup de critiques que les atermoiements de la direction de course et la façon cavalière avec laquelle ont été traités les 75 000 spectateurs. Ceux-ci ont poireauté pendant plus de trois heures sous une pluie glaciale pour assister à un spectacle lamentable: trois tours derrière un Safety Car avant le drapeau à damiers ! Pis encore, ces malheureux ne pourront probablement pas obtenir le remboursement de leurs billets car les organisateurs ne peuvent se priver de leurs recettes ! Cependant, bon nombre de pilotes s'insurgent devant cet irrespect. Puisque rouler était impossible, pourquoi ne pas avoir purement et simplement annulé la course ? Pour l'argent, assurent certains. Les partenaires économiques de la F1 auraient pu se retourner contre celle-ci...
Cette accusation est d'abord lancée par Sebastian Vettel, à la radio, dès la première sortie, au début de l'après-midi: « Pourquoi roulons-nous alors que la pluie redouble ? Ah oui, il y a les droits TV... » Dimanche soir, Lewis Hamilton se montre encore plus féroce et espère que les spectateurs seront dédommagés: « On ne pouvait pas voir à cinq mètres, les feux clignotants des voitures qui nous précédaient étaient presque invisibles, il était donc normal de ne pas courir », admet le champion en titre. « Mais l'argent est roi et nous a imposé sa volonté. Nous avons fait deux tours uniquement pour dire que le Grand Prix avait eu lieu. Tout le monde a donc obtenu son argent, mais je pense que les fans devraient récupérer le leur aussi, parce que malheureusement, ils n'ont pas pu voir ce pour quoi ils avaient payé. » Michael Masi s'insurge contre ces affirmations: « Je n'ai subi aucune pression commerciale, et si cela avait été le cas, je n'aurais pas pris cela en considération ! » affirme le directeur de course. « Si j'ai donné l'ordre de redémarrer, c'est que nous visions une fenêtre, vers 18h30, au cours de laquelle nous pensions que la piste redeviendrait praticable. Mais vous savez à quelle vitesse la météo change ici ! Le temps s'est rapidement détérioré et nous avons dû renoncer. » Ce plaidoyer ne convainc pas grand-monde, car à 18h20, chacun pouvait constater qu'il y avait plus d'eau sur le circuit que trois heures plus tôt... Masi a bel et bien recouru à ce simulacre pour enterrer le GP de Belgique. Il ne faut pas être grand clerc pour deviner que l'officiel australien, échaudé par l'accident de Lando Norris la veille, n'a voulu prendre aucun risque sous peine de se voir de nouveau éreinté en cas d'incident...
Stefano Domenicali vient à la rescousse du malheureux Masi: « On ne maîtrise pas le temps et qu'il y ait eu deux tours ou rien, la dépense est là pour le public », soupire le promoteur de la F1. « Le problème était bien d'essayer de courir. Michael Masi a fait tout son possible pour cela, mais l'important était de garantir la sécurité de tous. » En outre, Domenicali balaie les assertions de Vettel et de Hamilton sur l' « argent-roi » qui aurait commandé cette mascarade : « Une annulation n'aurait eu aucun impact commercial ! » assure l'Italien. « Lorsque nous parlons de course, il y a une responsabilité et un processus clair. Évoquer une implication financière est une erreur. Le sport et l'économie sont deux choses différentes. » Certes. Mais en cas d'annulation pure et simple, les spectateurs auraient peut-être eu plus de chances d'obtenir un remboursement... En outre, certains se demandant pourquoi la course n'a-t-elle pas été reportée au lundi ? « Ce n'était pas possible, pour de nombreuses raisons, à commencer par exemple par la disponibilité des commissaires de piste, qui sont des bénévoles », répond Domenicali. Mais le cas ne pourrait-il pas être prévu par le règlement ? A contrario, pourquoi ne pas avancer une épreuve lorsque les prévisions météorologiques sont catastrophiques ? « Les départs sont donnés maintenant trop tard », constate Max Verstappen. « Jadis nous partions à 14 heures. Cela nous donnait plus de latitude. La nuit était loin. Et avec cette météo, pourquoi ne pas avancer le Grand Prix à midi ou 13 heures ? » Il y a là en effet des vides normatifs contre lequel la réalité est venue se fracasser...
Autre source de controverse: l'attribution de points, même par moitié, à l'issue de cette parodie de course. « Je suis d'accord, il ne fallait pas courir. Mais était-ce une course ? » s'interroge Valtteri Bottas. « Je ne suis pas certain. J'étais hors des points et je n'ai jamais eu de chance d'essayer d'en attraper un. » Sebastian Vettel est plus vindicatif: « S'ils veulent donner des points pour la qualification, qu'ils le fassent. Mais qu'ai-je fait pour mériter des points aujourd'hui ? Je ne sais pas. » Pierre Gasly préfère en rire: « C'est un peu gros de me donner quatre points pour avoir réussi à suivre deux fois deux tours une voiture de sécurité. Je n'en vois pas la motivation. Ah si, j'ai réussi à ne pas abîmer ma voiture dans ma mise en grille ! » Très remonté, Fernando Alonso s'emporte carrément contre les officiels: «Selon moi, ce n'était pas un Grand Prix ! On a attribué des points gratuitement, je trouve cela choquant. Il aurait fallu annuler cette épreuve. » Sur cette question des points, Michael Masi explique s'être fondé sur l'article 51.14 du Code sportif qui stipule qu'en cas d'arrêt définitif d'une épreuve, les résultats découlent du classement de l'avant-dernier tour avant le drapeau rouge. Ainsi, comme trois boucles ont été couvertes derrière la voiture de sécurité, le GP de Belgique 2021 a duré officiellement... un tour, et la moitié des points a pu être attribuée.
Au final, seuls deux pilotes sont contents ce dimanche soir. Tout d'abord George Russell qui donne à Williams une seconde place totalement inattendue. « Un podium, c'est un podium. Pour nous, peu importe comment nous l'avons obtenu, c'est un résultat énorme ! » s'exclame le pragmatique Anglais. Il est vrai que, tout compte fait, sa splendide performance en qualifications valait bien quelques points. Quant à Max Verstappen, cette « victoire » lui permet de revenir à seulement trois points de Lewis Hamilton au championnat des conducteurs. « Après deux courses catastrophiques, nous avions besoin d'un résultat décent », énonce le Batave. « Bien sûr, la manière n'est pas là, mais nous avons été très compétitifs tout le week-end. Maintenant, je me tourne vers Zandvoort ». Où l'attend une autre marée, orange celle-ci...
Tony