Déflecteurs: Ferrari gagne en appel
La double finale de Suzuka
Après l'épilogue controversé de « l'affaire des déflecteurs », la Scuderia Ferrari se retrouve en position de force aux deux championnats avant l'ultime épreuve de la saison 1999 à Suzuka. Elle mène en effet chez les constructeurs devant McLaren-Mercedes (118 points contre 114) tandis que chez les conducteurs Eddie Irvine (70 pts) devance Mika Häkkinen (66 pts) de quatre longueurs. La firme italienne hume le parfum du triomphe qui lui fait défaut depuis si longtemps. Son dernier trophée des constructeurs remonte à 1983, son dernier trophée des pilotes à 1979... Le patient travail de reconstruction entamé par Jean Todt en 1993 est sur le point de porter ses fruits.
Pour ce qui concerne la couronne des pilotes, Irvine arrive au Japon avec le statut de favori. D'abord grâce à son avantage de quatre points, ensuite parce qu'il a toujours brillé sur le circuit de Suzuka qu'il connaît comme sa poche depuis ses années de F3000 nippone. Par ailleurs, il semble pouvoir compter sur la loyauté de Michael Schumacher, lequel a démontré à Sepang qu'il était prêt à se sacrifier pour aider son ancien lieutenant. Mais Irvine n'a pas que des atouts dans sa manche. En effet, il ne s'est jamais retrouvé dans la situation de devenir champion du monde, encore moins de jouer celui-ci sur une seule course, contrairement à Häkkinen. En outre, il dispute sa dernière course avec Ferrari où il n'est plus en odeur de sainteté à cause des multiples déclarations assassines qu'il a lâchées cette saison dans la presse. Certes, la Scuderia peut grâce à lui enfin reconquérir le titre mondial des pilotes. Mais nul doute que Jean Todt, Ross Brawn et une bonne partie des techniciens préféreraient que cet honneur échoie à Schumacher...
Eddie Irvine arrive au Japon plus d'une semaine avant le Grand Prix et participe à de nombreux événements promotionnels pour le compte de Shell et de Bridgestone, partenaires de Ferrari. Il s'égaye dans quelques bars branchés de Roppongi, un quartier chaud de Tokyo, mais, studieux, s'astreint à compulser tous les soirs... les mémoires de Nelson Mandela ! Une fois à Suzuka, il joue la désinvolture: « Je ne ressens aucune pression particulière. Je pense à beaucoup d'autres choses que la F1. La concentration et la pression, ce sera pour dimanche, à l'heure du départ. Mon objectif, c'est de gagner le titre des pilotes, puis assurer celui des constructeurs, et seulement après de gagner la course. Je suis confiant. Si je suis en tête du championnat cette année, c'est parce que je n'ai pas commis de grosses erreurs. Je m'améliore d'année en année. » Et il affirme ne pas craindre l'échec : « Si je suis champion, j'aurais droit à un sacré retour en Italie. Sinon, j'irai me cacher quelque part... ».
Pendant dix jours, après la disqualification des Ferrari à l'issue du GP de Malaisie, Mika Häkkinen a été coiffé de sa seconde couronne mondiale. Mais le tribunal d'appel de la FIA, en redonnant la victoire à Irvine, a repoussé le Finlandais à quatre points de celui-ci. Sa situation est néanmoins loin d'être désespérée. Il a encore son destin entre ses mains. S'il gagne à Suzuka, il sera titré même si son adversaire finit second, grâce à un nombre de victoires supérieur (5 à 4). Toutefois, beaucoup se demandent si Häkkinen saura résister au stress après une saison éprouvante, marquée par de nombreux coups du sort. Chacun se souvient de sa crise de nerfs à Monza... Häkkinen se carapace contre la pression médiatique. Il passe quelques jours en amoureux avec Erja en Indonésie, dans l'incognito le plus total, avant de s'envoler pour le Japon, où il fuit les événements publicitaires, contrairement à Irvine. Quitte à froisser Bridgestone, qui comptait sur sa présence pour une conférence de presse... Manifestement très tendu, il assure le strict minimum devant les journalistes, rappelant que c'est à Suzuka qu'il a remporté le titre mondial un an plus tôt, devant Michael Schumacher en personne. Il pense du reste que la McLaren sera plus performante que la Ferrari sur ce tracé rapide. Bref, il a sa feuille de route en tête, et qu'on ne vienne pas l'ennuyer: « L'année dernière, j'avais quatre points d'avance avant cette dernière course, cette fois, c'est moi qui en ai quatre de retard. Je suis prêt à faire face à n'importe quelle circonstance. »
Mais chacun sait que ce duel final sera arbitré par un troisième larron, Michael Schumacher. L'Allemand étant le plus rapide des pilotes Ferrari, c'est lui qui sera l'adversaire direct de Mika Häkkinen et sa mission sera de l'empêcher de gagner la course et le titre mondial. Mais chacun remarque que Schumacher parle davantage du championnat des constructeurs que de celui des pilotes. « Mon objectif est de gagner la course afin d'entamer la saison prochaine avec une bonne motivation », assure-t-il. Il se garde aussi démentir ceux qui avancent qu'il verrait avec déplaisir le triomphe d'Irvine. « Sans ma blessure de Silverstone, on peut dire avec réalisme que je serais devenu champion, dit-il. Si Eddie remporte le titre, j'y aurai largement contribué. Ce n'est pas la satisfaction que je recherchais, mais c'est mieux que rien. » Que de chaleur ! Et il ajoute que selon lui, les deux meilleurs pilotes de la saison 1999 ne sont ni Häkkinen ni Irvine, mais son frère Ralf et Heinz-Harald Frentzen: « S'ils avaient eu une meilleure voiture, c'est eux qui auraient dû jouer le titre. »
Ce Grand Prix du Japon comprend quelques enjeux annexes. D'abord la troisième place du championnat des pilotes qui se disputera entre Heinz-Harald Frentzen (51 points) et David Coulthard (48 pts). D'autre part la quatrième position du classement des constructeurs, occupée par Stewart-Ford (36 pts), est encore convoitée par Williams-Supertec (33 pts).
Présentation de l'épreuve
C'est à Tokyo, le 26 octobre, que British American Racing et Honda publient les bans de leur union, déjà scellée depuis de nombreux mois. En 2000, le constructeur japonais fera enfin son retour officiel en F1 comme motoriste de l'écurie de Brackley. Jacques Villeneuve étant retenu en Australie, Craig Pollock, Adrian Reynard et Ricardo Zonta exposent le projet en compagnie de Soichi Tanaka, nouveau président de Honda Racing Development, Takefumi Hosaka, directeur de Honda R&D et Kazutoshi Nishizawa, directeur technique. Celui-ci présente le tout nouveau V10 RA000E qui propulsera les BAR la saison prochaine. Ce moteur « nouvelle génération », léger et compact, annonce déjà 800 chevaux. Craig Pollock ne cache pas qu'il a hâte de l'entendre vrombir. Car l'écurie BAR a toutes les malchances d'achever cette première saison avec un score nul et vierge, ce qui signifie que ses frais de transports ne seront pas pris en charge par la FOA la saison suivante. La perte est estimée à 10 millions de dollars. Pollock veut tout de même croire au miracle. Il promet une prime spéciale à ses hommes si BAR arrache un point à Suzuka... Samedi, le manager écossais commet un nouvel impair en accueillant sur la murette Nishizawa et d'autres ingénieurs japonais. Bruno Michel, directeur de Supertec, goûte fort peu cette intrusion. « L'état d'urgence ne justifie pas tout ! » s'insurge le Français.
Le jeudi 28 octobre, Hirotoshi Honda convie à dîner toute l'écurie Jordan au très réputé restaurant Misakiya. Le président de Mugen, quelque peu piqué par l'alliance BAR-Honda, cajole ses partenaires. Il offre à tout le monde des splendides montres gravées rappelant les deux victoires de Heinz-Harald Frentzen en 1999. Le pilote allemand, qui vient d'épouser sa fiancée Tanya en Thaïlande, reçoit une très belle théière en porcelaine en guise de cadeau de mariage. Quant à Damon Hill, qui a commencé sa carrière sur deux roues, il reçoit une réplique d'une motocyclette conçue par Soichiro Honda en 1959. Eddie Jordan conclut la soirée par un discours enflammé annonçant des lendemains enchanteurs pour son écurie. La bière (irlandaise) coule à flots. Un peu plus tard, Jordan déclare qu'il a tout bonnement refusé le nouveau V10 Honda pour 2000, préférant conserver le Mugen « puissant et fiable ».
Damon Hill dispute ici son 115ème et dernier Grand Prix avec un profond soulagement. Le Britannique a vécu cette ultime saison avec Jordan comme un long calvaire, non à cause de sa voiture ou de ses relations avec Eddie Jordan et Heinz-Harald Frentzen qui fut un joyeux compagnon, mais tout simplement parce qu'il avait perdu le « feu sacré ». Pour ce qui est de l'avenir, Hill reste dans l'expectative. Il confie être intéressé par l'idée de monter une écurie, mais il pourrait aussi bien devenir consultant pour la télévision. Rubens Barrichello quitte pour sa part l'écurie Stewart pour rejoindre Ferrari. Les Stewart, qui ne manquent pas d'humour, lui offrent en guise de cadeau d'adieux... un déflecteur ! La pièce est gentiment dédicacée par tous les membres du team qui vit son ultime Grand Prix sous cette identité, avant de devenir Jaguar Racing.
C'est aussi l'heure des adieux entre Olivier Panis et Prost Grand Prix. Le Grenoblois ne quitte pas sans émotion une équipe pour laquelle il pilotait depuis 1994, alors qu'elle se nommait encore Ligier. Quelques jours plus tôt, il a effectué ses premiers essais pour McLaren-Mercedes à Barcelone et prend déjà à cœur son rôle d'essayeur de luxe, même s'il vise bien entendu un retour comme titulaire en 2001. En attendant, il réalise un excellent week-end avec Prost-Peugeot, hélas ponctué par un abandon. Mais après quelques mois de brouille, lui et Alain Prost se quittent bons amis. « Olivier, chez nous, tu seras toujours chez toi ! » lui glisse même Corrado Provera au soir de cette ultime épreuve.
Williams et Renault se séparent après dix années d'une des plus fructueuses collaborations de l'histoire de la F1. Les statistiques donnent le tournis. En une décennie, l'équipe anglaise et le Losange ont remporté ensemble quatre titres pilotes, cinq titres constructeurs, 63 victoires et 79 poles positions. Certes, depuis deux ans, Renault s'est officiellement effacée derrière Mecachrome puis Supertec, mais ses hommes emmenés par Denis Chevrier étaient toujours là, sous d'autres couleurs. Ceux-ci, malicieux, offrent à leurs collègues de Williams un dictionnaire anglais-allemand, une façon de leur souhaiter bonne chance pour leur futur partenariat avec BMW.
Certains journalistes croient savoir qu'il s'agit de la dernière prestation d'Alessandro Zanardi avec Williams. Après son exil nord-américain, l'Italien ne s'est jamais accoutumé aux nouvelles Formules 1, et surtout aux pneus rainurés. Il s'apprête à boucler la saison avec un zéro pointé. Inacceptable pour Patrick Head qui presse Frank Williams de signifier son congé à Zanardi, bien que ce dernier possède un contrat en bonne et due forme pour 2000. « Je sais que Williams n'est pas très content de mes résultats, mais moi non plus », reconnaît l'ancienne star de l'IndyCar. « Je suis suffisamment intelligent pour comprendre que Frank puisse avoir envie de quelqu'un d'autre. Si c'est le cas, qu'il m'en parle, nous nous mettrons autour d'une table et nous en discuterons ». Au soir d'un GP du Japon achevé au bout de quelques mètres, Zanardi ne se fait plus d'illusion sur son sort. Reste à lui trouver un successeur...
L'actionnariat de Sauber est chamboulé par le départ de Fritz Kaiser, son copropriétaire depuis 1995, qui fut aussi en quelque sorte son sauveur, car l'homme d'affaires natif du Liechtenstein a permis à l'écurie helvétique de signer de juteux contrats de sponsoring avec les fabricants de boissons énergisantes Red Bull et le pétrolier malais Petronas. Kaiser a vendu ses parts et désormais les actions de Sauber se répartissent comme suit: 51 % pour Red Bull, dirigée par Dietrich Mateschitz, et 49 % pour Peter Sauber lui-même. En outre, le Suisse Heinz Haller succède à Kaiser comme président de Red Bull Sauber AG, la compagnie-sœur de l'écurie de F1. Le trio Haller - Sauber - Mateschitz a pour premier objectif de renouveler le partenariat avec Petronas qui s'achève fin 2000.
Malgré le verdict clément de la FIA, les Ferrari F399 ne sont pas pourvues ici de leurs déflecteurs litigieux: la zone de projection a été quelque peu rallongée. La Scuderia emmène au Japon pas moins de cinq châssis pour cette finale. Les bolides d'Irvine et Schumacher sont munis du V10 048C. McLaren-Mercedes apporte également cinq voitures, mais Adrian Newey se permet un pied-de-nez à la fédération en faisant monter vendredi sur les MP4/14 des déflecteurs... raccourcis. Ces pièces sont bien sûr très vite démontées. Les Flèches d'Argent sont gréées avec les ailerons de Budapest, mais avec une incidence réduite. Jordan reçoit de Mugen-Honda deux versions vitaminées du V10 nippon: une pour les qualifications et une pour la course. En lutte avec Stewart pour la quatrième place du championnat des constructeurs, Williams éprouve ici plusieurs types d'ailerons avant. La Benetton B199 achève la saison avec un nouvel aileron arrière visant à réduire la traînée. Prost utilise le V10 Peugeot « Évolution 7 » aux essais et l' « Évolution 5 » en course, et ce après que le motoriste français a identifié la raison des avaries en Malaisie: des radiateurs d'huile encrassés.
Essais et qualifications
Lors des essais libres du vendredi, Häkkinen réalise le meilleur chrono (1'41''746''') devant Coulthard et M. Schumacher tandis que Irvine ne signe que le 10e temps. Coulthard provoque un drapeau rouge l'après-midi lorsqu'il perd le contrôle de sa McLaren dans les Esses et heurte très rudement les glissières. L'Écossais s'en tire sans bobo. Samedi matin, Schumacher reprend l'ascendant (1'39''085''') devant Häkkinen et Herbert. Décidément à cran, Irvine coupe plusieurs fois la chicane, si bien que plusieurs de ses chronos sont annulés.
L'après-midi, la dernière séance de qualifications de la saison se déroule sous un chaud soleil. Häkkinen et M. Schumacher se livrent à une féroce bagarre au point d'afficher un moment le même temps, au millième près ! La séance est interrompue pendant sept minutes suite à un crash d'Irvine. A la reprise, Schumacher améliore d'une seconde et réalise la 23e pole position de sa carrière (1'37''470'''). Peu à l'aise avec une Ferrari instable, Irvine surconduit et quitte la route avant le freinage de l'épingle. Il heurte de plein fouet les piles de vieux pneus. Le leader du championnat s'élancera seulement cinquième. Häkkinen (2e) commet une erreur en fin de séance: ralentissant exagérément avant d'entamer son dernier tour, il surprend Alesi lancé à pleine vitesse. Le Français court-circuite la chicane, pirouette et coupe la route au Finlandais qui doit se mettre à son tour en tête-à-queue pour l'éviter. Coulthard place la seconde McLaren en troisième position. Chez Jordan, Frentzen tire profit de la dernière évolution du V10 Mugen pour atteindre la quatrième place, à plus d'une seconde néanmoins de Schumacher. Hill (12e) déplore un défaut d'équilibre. Prost achève l'année en fanfare avec un tir groupé de Panis (6e) et Trulli (7e), fruit du surcroît de cavalerie délivré par le V10 Peugeot Evolution 7.
Les Stewart-Ford déçoivent pour leur dernière sortie. Herbert (8e) compose avec un manque de grip dans les virages lents et Barrichello (13e) se rabat sur un mulet mal réglé après une fuite d'eau. Chez Williams, R. Schumacher doit prendre le mulet après une sortie de route et arrache le 9e temps. Zanardi (16e) s'égare une nouvelle fois dans ses réglages. Villeneuve conduit sa BAR-Supertec en 11e position, loin devant Zonta (18e) qui ne trouve pas le bon équilibre. Alesi place sa Sauber sur le 10e rang, mais aurait pu faire mieux s'il n'avait pas été gêné par Häkkinen avec lequel il s'expliquera vivement. Diniz (17e) rencontre pour sa part un gros sous-virage. Les Benetton-Playlife (Fisichella 14e, Wurz 15e) finissent piteusement l'année en raison d'un déficit de grip. Chez Arrows, Takagi (19e) retrouve des couleurs à domicile et devance de la Rosa (21e). Enfin, du côté de Minardi, Gené (20e) confirme sa bonne forme sur ce circuit qui lui était inconnu alors que Badoer (22e) endommage sa voiture de course sur un vibreur.
Comme à Sepang, Michael Schumacher a réalisé une incroyable pole position qui démontre non seulement qu'il est en pleine forme, mais aussi que les dénouements des deux championnats dépendent de lui. Ce samedi soir, Ferrari peut très raisonnablement songer à remporter le titre des constructeurs. En revanche, Eddie Irvine est en mauvaise posture au championnat des pilotes avec sa piètre cinquième position sur la grille. Cette fois son équipier se désintéresse de son sort. « Qu'il soit si loin sur la grille est son affaire, pas la mienne ! » cingle Schumacher. « C'est à lui de faire mieux. Je ne sais pas pourquoi, mais il n'est pas dans le rythme depuis le début du week-end. Sa voiture est pourtant similaire à la mienne. Bon, c'est la première fois qu'il se retrouve dans pareille situation, cela doit être difficile à gérer. Mais il a toutes les bonnes cartes en main, le team est derrière lui ! » Mais son équipier ?
Du côté de McLaren, Mika Häkkinen encaisse assez mal sa défaite face à Schumacher. Il s'inquiète davantage de celui-ci que d'Irvine. Si le lendemain l'Allemand fait cavalier seul en tête, le Finlandais pourra faire une croix sur le titre mondial. De son côté, Ron Dennis lâche le venin de la suspicion: « Gagner une seconde d'un coup est vraiment un progrès remarquable. Je me gratte la tête pour comprendre comment Schumacher a pu faire ». Certains journalistes pointent une explication nommée traction control. Ce samedi après-midi, Häkkinen inspecte discrètement le cockpit des F399...
Le Grand Prix
Dimanche matin, Häkkinen se montre le plus rapide lors du warm-up devant M. Schumacher et Frentzen. Irvine s'offre encore une excursion dans les graviers. A signaler une grosse sortie de route pour de la Rosa qui devra prendre le départ avec le mulet Arrows.
L'après-midi, l'épilogue de ce championnat 1999 se déroule par temps frais (18°). Comme toujours en pareille circonstance, l'ambiance sur la grille est électrique. Mika Häkkinen, encore plus pâle qu'à l'accoutumée, paraît fort tendu. Eddie Irvine affiche une feinte désinvolture qui ne trompe personne. Les deux « boss », Jean Todt et Ron Dennis, rompus à ces finales à suspens, ne trahissent en revanche aucune émotion. Chez McLaren, Häkkinen compte beaucoup sur son compère Coulthard pour retenir Irvine dans son éventuelle remontée. Et si Frentzen pouvait jouer les trouble-fêtes, ce ne serait pas plus mal... Pour sa part, Schumacher fait retoucher à la dernière minute l'inclinaison de son aileron avant. L'Allemand est concentré comme s'il jouait lui-même le championnat. Et de fait, il a bien un trophée en tête: celui des constructeurs...
Départ: Les roues arrière de Schumacher patinent, ce qui permet à Häkkinen de prendre aussitôt la tête avec une nette avance. Panis se faufile sur la droite et surgit à la troisième place. Il devance Irvine, Coulthard et Frentzen.
1er tour: Zanardi s'immobilise après quelques mètres. Son moteur se tait après que son limitateur de régime s'est déclenché. Häkkinen précède M. Schumacher, Panis, Irvine, Coulthard, Frentzen, R. Schumacher, Alesi, Trulli et Herbert.
2e: Häkkinen prend une seconde d'avance sur Schumacher alors que Panis retient Irvine. Aux championnats, si les choses en restaient là, les situations seraient les suivantes: Häkkinen: 76 pts, Irvine: 73 pts ; Ferrari: 127 pts, McLaren: 126 pts.
3e: Häkkinen précède M. Schumacher (1.7s.), Panis (6.4s.), Irvine (7.7s.), Coulthard (8.5s.), Frentzen (10s.), R. Schumacher (10.8s.), Alesi (12s.), Trulli (13s.) et Herbert (14s.).
4e: Trulli abandonne suite à une brusque perte de puissance, une nouvelle défaillance du moteur Peugeot. Fisichella effectue une excursion dans l'herbe et se retrouve dernier.
6e: Tout va bien pour Häkkinen qui prend plusieurs dixièmes d'avance sur Schumacher à chaque passage. Quatre secondes les séparent. Irvine perd un temps précieux derrière Panis et reste menacé par Coulthard.
7e: Häkkinen devance M. Schumacher (4.7s.), Panis (15.2s.), Irvine (15.9s.), Coulthard (16.5s.), Frentzen (19s.), R. Schumacher (21s.) et Alesi (23s.).
9e: Cinq secondes séparent Häkkinen et Schumacher. Peu chargé en essence, Panis s'est construit une marge d'une seconde et demie sur Irvine. Coulthard et Frentzen sont sur les talons du Nord-Irlandais.
10e: Irvine accuse maintenant un retard de plus de 20 secondes sur Häkkinen, soit à peu près la durée d'un passage aux stands. Le championnat bascule en faveur du Finlandais.
11e: Häkkinen est premier devant M. Schumacher (6.3s.), Panis (20s.), Irvine (22.8s.), Coulthard (23.2s.), Frentzen (24.3s.), R. Schumacher (26s.), Alesi (28s.), Herbert (30s.), Villeneuve (33s.), Wurz (35s.) et Barrichello (37s.).
13e: Häkkinen gagne 3 ou 4/10es par tour sur Schumacher, désormais relégué à près de huit secondes.
14e: Häkkinen devance M. Schumacher (8.4s.), Panis (25s.), Irvine (28s.), Coulthard (28.6s.), Frentzen (30s.), R. Schumacher (31.5s.) et Alesi (33s.).
15e: Alors 13e, Hill quitte la route à Spoon et rejoint non sans mal le bitume. En fin de tour, Wurz et Hill passent aux stands pour ravitailler. L'Anglais fait remplacer son museau suite à son excursion dans les graviers.
17e: L'intervalle entre Häkkinen et Schumacher se stabilise autour de huit secondes. Panis stoppe chez Prost pour un premier pit-stop très court (6.8.) puis repart devant Barrichello. Ravitaillements de Gené et de Fisichella.
18e: Häkkinen attaque et tourne en 1'42''. Désormais troisième, Irvine lui concède 31 secondes. Herbert effectue son premier pit-stop, de même que Villeneuve, de la Rosa et bientôt Badoer.
19e: Panis rejoint son garage à faible allure, victime d'un bris d'arbre d'alternateur. Ainsi s'achève la saison des « Bleus ».
20e: Häkkinen arrive chez McLaren pour ravitailler (8s.) et repart en seconde position. Frentzen fait escale chez Jordan. Arrêts aussi pour Alesi, Zonta et Takagi.
20e: M. Schumacher est en tête mais doit encore ravitailler. Toutefois, l'usure élevée des pneus lui interdit toute stratégie décalée. R. Schumacher passe chez Williams pour un premier arrêt et ressort derrière Frentzen. Barrichello et Diniz passent aussi aux stands.
22e: Même avec plus de carburant et un peu de trafic, Häkkinen roule plus vite que Schumacher et ne lui concède que neuf secondes. Les pneus de l'Allemand sont à l'agonie.
23e: Schumacher arrive chez Ferrari pour son premier pit-stop (6.3s.) et se relance en seconde position. Coulthard fait halte pour sa part chez McLaren (7s.) puis redémarre un cheveu devant Frentzen. Échaudé par sa récente sortie, Hill estime qu'il n'a plus à rien à faire dans cette course. Il choisit de renoncer et rentre à son garage. Le champion du monde 96 achève ainsi sa carrière en catimini.
24e: Irvine effectue son premier ravitaillement (6.5s.) puis retrouve la piste au niveau de Coulthard qui retarde son freinage et lui file sous le nez dans la première courbe. La couronne mondiale est en train de choir du front de l'Irlandais. McLaren reprend aussi l'ascendant sur Ferrari chez les constructeurs.
25e: Häkkinen est premier devant M. Schumacher (7.5s.), Coulthard (38.2s.), Irvine (40.1s.), Frentzen (42.4s.), R. Schumacher (43.3s.), Herbert (58s.), Alesi (59s.), Villeneuve (1m. 02s.) et Barrichello (1m. 03s.). Aux championnats, la situation est la suivante: Häkkinen: 76 pts, Irvine: 73 pts ; McLaren: 128 pts, Ferrari: 127 pts.
26e: Schumacher passe à l'attaque (1'41''608''') pendant que Häkkinen rencontre des attardés. L'écart tombe à six secondes.
28e: M. Schumacher a perdu un peu de temps derrière Zonta et concède maintenant sept secondes à Häkkinen. Très loin de là, Coulthard bloque Irvine. Il tourne en 1'47'' contre 1'44'' pour son équipier Häkkinen. Frentzen et R. Schumacher sont sur les talons de l'Écossais et de l'Irlandais.
29e: Häkkinen précède M. Schumacher (6s.), Coulthard (55s.), Irvine (55.7s.), Frentzen (56.5s.), R. Schumacher (57.5s.), Herbert (1m. 07s.), Alesi (1m. 08s.), Villeneuve (1m. 09s.) et Barrichello (1m. 10s.).
30e: Frentzen effectue un second pit-stop (7.7s.) et se réinsère entre Alesi et Villeneuve.
31e: Häkkinen réalise son meilleur chrono de l'après-midi (1'41''577'''), aussitôt amélioré par M. Schumacher (1'41''319'''). Ce temps ne sera pas battu. Gené puis Badoer ravitaillent chez Minardi.
32e: Häkkinen compte six secondes de marge sur M. Schumacher. Irvine et R. Schumacher entrent aux stands de concert.
33e: Irvine subit son second ravitaillement (6.3s.) et démarre avant Schumacher cadet (8s.). L'Irlandais repart entre Herbert et Alesi tandis que l'Allemand se retrouve à nouveau derrière Frentzen. Deuxièmes arrêts pour Zonta et Fisichella. Gené se gare dans la pelouse suite à une panne de boîte de vitesses.
34e: Schumacher revient à cinq secondes de Häkkinen. Coulthard met deux roues dans l'herbe en abordant le long droit qui précède Spoon. Il part en tête-à-queue et heurte le rail intérieur avec le museau. Après une nouvelle pirouette, il retrouve la piste en passant par les graviers, mais doit rentrer aux stands au petit trot avec un train avant ouvert. Seconds arrêts pour Barrichello, Villeneuve, Wurz et de la Rosa.
35e: Coulthard rejoint son stand pour remettre du carburant, des pneus neufs et surtout remplacer son aileron avant. Il repart au bout de 15 secondes en dixième position. Sa sortie fait perdre le titre des constructeurs à McLaren... Second arrêt de Takagi.
36e: Coulthard évolue désormais devant M. Schumacher qui possède un tour d'avance. Il gêne l'Allemand sur quelques virages avant de s'effacer... et de laisser passer Barrichello par la même occasion. Schumacher a perdu trois secondes derrière l'Écossais. Herbert et Alesi ravitaillent pour la seconde fois et le Français redémarre devant l'Anglais, acquérant ainsi la sixième place.
37e: Repoussé à 10 secondes de Häkkinen, M. Schumacher passe chez Ferrari pour son second ravitaillement (7.5s.) et reste deuxième. Second pit-stop pour Diniz.
38e: Häkkinen pénètre aux stands pour un second ravitaillement crucial. Tout se passe bien (7.4s.) et le Finlandais se relance avec une nette avance sur Schumacher.
39e: Häkkinen est premier devant M. Schumacher (11.2s.), Irvine (1m. 16s.), Frentzen (1m. 21s.), R. Schumacher (1m. 22s.), Alesi (1m. 38s.), Herbert (1m. 40s.) et Barrichello (-1t.). Aux championnats, la situation est la suivante: Häkkinen: 76 pts, Irvine: 74 pts ; Ferrari: 128 pts, McLaren 124 pts.
40e: Häkkinen évolue dans un épais trafic. Il double les Stewart, puis la Sauber d'Alesi. Coulthard rentre à son garage et renonce suite à une défaillance hydraulique sur sa boîte de vitesses. Cet abandon offre de facto le titre des constructeurs à Ferrari.
42e: Schumacher est revenu à neuf secondes de Häkkinen, mais il perd un peu de temps en doublant Villeneuve.
44e: Une dizaine de secondes sépare Häkkinen et M. Schumacher. Irvine est isolé en troisième position. R. Schumacher menace Frentzen pour la quatrième place. L'Allemand de Jordan n'est pas à la fête car il a perdu l'usage de son 1er rapport. Enfin, Alesi doit surveiller les Stewart de Herbert et de Barrichello.
45e: Takagi s'immobilise peu avant la sortie des stands, frappé d'une panne de transmission. De l'autre côté de la piste, Badoer stoppe avec un moteur fumant. Ces deux pilotes fermaient la marche.
46e: Häkkinen précède M. Schumacher (11s.), Irvine (1m. 25s.), Frentzen (1m. 32s.), R. Schumacher (1m. 33s.), Alesi (-1t.), Herbert (-1t.), Barrichello (-1t.), Villeneuve (-1t.) et Wurz (-1t.).
48e: Häkkinen compte maintenant douze secondes de marge sur Schumacher et a donc le titre en poche. Irvine, relégué à près d'une minute trente, est vaincu après une course anonyme.
50e: Häkkinen est en tête devant M. Schumacher (12.5s.), Irvine (1m. 28s.), Frentzen (1m. 34s.), R. Schumacher (1m. 36s.), Alesi (-1t.), Herbert (-1t.) et Barrichello (-1t.). Le moteur de Fisichella explose après l'épingle suite à un défaut de lubrification. Le Romain était 13e.
52e: Häkkinen entame son dernier tour avec sept secondes d'avance sur M. Schumacher.
53e et dernier tour: Mika Häkkinen remporte le GP du Japon et décroche son deuxième titre mondial. M. Schumacher se classe deuxième, Irvine troisième: Ferrari remporte le titre des constructeurs. Frentzen finit quatrième et grimpe ainsi sur le podium du championnat des pilotes. R. Schumacher termine cinquième mais Williams échoue pour un point derrière Stewart au classement des constructeurs. Alesi (6e) inscrit un point pour sa dernière course avec Sauber. Viennent ensuite Herbert, Barrichello, Villeneuve, Wurz, Diniz, Zonta et de la Rosa.
Häkkinen - McLaren : le verre à moitié plein
« Tout est bien qui finit bien » : tel est le leitmotiv qui apparaît sur bien des lèvres après ce Grand Prix du Japon. Chacune des forces en présence, Ferrari et McLaren-Mercedes, a gagné un des titres en jeu. Mika Häkkinen est champion du monde des pilotes pour la seconde année consécutive, après une saison fort difficile au cours de laquelle il fut loin d'être irréprochable derrière le volant. Cependant il fut surtout frappé par la malchance, les pannes et les errements tactiques de son écurie qui pour ce fait méritait de s'incliner au championnat des constructeurs face à Ferrari. Mais la victoire du Finlandais chez les pilotes n'est pas imméritée. Ici, à Suzuka, Häkkinen a « plié le match » dès le départ. Il a doublé Michael Schumacher à l'extinction des feux et plus personne ne l'a revu. Il a prouvé à ceux qui en doutaient (légitimement après son effondrement de Monza) qu'il était bien encore maître de ses nerfs et capable de faire front face à la pression. Häkkinen a délivré ici une prestation digne d'un grand champion qui justifie à elle seule son triomphe final. « La vraie force de Mika est de savoir se reprendre tout seul après un coup dur », affirme son épouse Erja. « Je n'ai jamais douté de lui, il sait se ressaisir après les déceptions. Et elles n'ont pas manqué cette année... »
En effet, dans ses maigres confidences d'après-course, Häkkinen admet à demi-mot avoir beaucoup souffert. « J'ai vécu au Japon une de mes meilleures courses et je ne l'oublierai jamais », confie le nouveau double champion du monde. « Je pense vraiment avoir fait du bon boulot, et tout cela n'aurait pas été possible sans le travail de l'équipe. Je la remercie, ainsi que David Coulthard, mon coéquipier. Mais, nous avons perdu beaucoup de points inutilement cette saison. Jouer le titre comme ça sur la dernière course, c'est vraiment épuisant nerveusement. Cela fait deux années de suite et je ne souhaite cela à personne. » Mais l'heure est désormais à la détente. Après avoir reçu sur le podium les très sportives félicitations de Michael Schumacher et d'Eddie Irvine, Häkkinen se prépare à un grand repas festif avec toute l'écurie McLaren. Didier Coton sillonne le paddock pour offre des bières « à tous les amis de Mika ». Il est bientôt dévalisé...
Avant ces festivités, Ron Dennis tente de minimiser la perte du titre des constructeurs au profit de Ferrari. Tout en comblant Mika Häkkinen d'éloges, il ménage David Coulthard dont la sortie de route coûte pourtant la couronne à son équipe. « David a poussé au maximum et a finalement commis une erreur. Cela peut arriver à tout le monde », lâche le patron de McLaren. Un peu plus tard, un problème de suspension est évoqué pour justifier l'accident de Coulthard, mais entretemps ce dernier aura eu quelques mots avec Michael Schumacher... Néanmoins, cette défaite est bien un rude revers pour McLaren et Mercedes. La MP4/14 était incontestablement la voiture la plus rapide du peloton, mais sa fiabilité a trop laissé à désirer. Adrian Newey et ses adjoints savent où porter leurs efforts cet hiver.
Ferrari: le verre à moitié plein (bis)
Chez Ferrari, on célèbre le premier titre mondial des constructeurs remporté depuis 1983, sans trop d'arrière-pensées, même si la couronne des pilotes continue d'échapper à la Scuderia depuis maintenant vingt ans. Jody Scheckter n'a toujours pas de successeur. « Nous aurions préféré qu'Irvine soit sacré, mais notre victoire chez les constructeurs prouve que notre équipe était la meilleure cette année », commente Jean Todt. Le Français peut être fier du travail accompli. Ferrari a commis des bourdes cette saison, mais moins tout de même que McLaren. Surtout, la F399 était une machine très fiable (deux pannes en seize courses !), bien plus que la McLaren-Mercedes. Ce titre n'est donc pas volé. « Le dimanche 11 juillet au soir, après l'accident de Schumacher, personne ne nous voyait champion des constructeurs », énonce Todt, à la fois épuisé et soulagé. Il regarde désormais vers l'an 2000 pour lequel l'objectif sera limpide: gagner cette fois les deux championnats.
Ce dimanche soir, Michael Schumacher est à la fois content et déçu. Content parce que Ferrari a gagné le championnat des constructeurs. Déçu parce qu'il n'a pas pu contester la victoire à Mika Häkkinen. Quant à l'échec d'Eddie Irvine, peut lui chaut. Certaines mauvaises langues vont jusqu'à prétendre que l'Allemand aurait volontairement manqué son départ pour laisser filer Häkkinen et ainsi empêcher que son ex-lieutenant recueille la couronne. C'est lui prêter beaucoup de machiavélisme. Surtout, cela ne cadre avec la colère qu'il laisse éclater en conférence de presse à l'égard de David Coulthard qui d'après lui l'a volontairement bouchonné pour l'empêcher de menacer Häkkinen. Il affirme même contre toute vraisemblance avoir perdu 10 secondes dans cette mésaventure ! « Son attitude n'était pas correcte, enrage Schumacher. Coulthard a zigzagué alors que les drapeaux bleus lui étaient présentés. Je suis d'autant plus déçu que je ne m'attendais pas à un tel comportement de sa part ! »
L'Écossais conteste cette version avec vigueur: « Oui, j'ai eu un problème, mais je ne lui ai pas fait perdre 10 secondes ! J'ai aperçu les drapeaux bleus mais j'ai d'abord cru qu'ils s'adressaient à la Benetton qui me suivait. Alors j'ai vu la Ferrari et je me suis écarté dès que j'ai pu. Je n'ai pas louvoyé non plus. Je trouve inadmissible que Schumacher salisse ainsi mon image en public ! » Jürgen Hubbert, président de Mercedes, tente une médiation en réunissant les deux hommes dans son bureau, mais chacun campe ses positions. Coulthard, furieux, menace même de porter plainte contre Schumacher pour diffamation ! « Il mérite le respect en tant que pilote, mais pas en tant qu'homme ! » conclut le pilote McLaren. Depuis leur violente collision à Spa l'année précédente, les deux hommes n'ont toujours pas enterré la hache de guerre...
Irvine: la fin des illusions
Enfin, Eddie Irvine fait contre mauvaise fortune bon cœur. Il a chaudement félicité Häkkinen dès l'arrivée et ne manifeste aucune aigreur. Après ses essais erratiques, ses chances de triompher étaient de toute façon déjà réduites. Et le Nord-Irlandais a vécu une après-midi fort morose: « Au départ, j'ai essayé de m'infiltrer entre Coulthard et Frentzen, mais ils se sont attaqués mutuellement, et j'ai dû rester à l'extérieur de David. Voir Panis devant ne m'inquiétait pas, je savais sa voiture légère en essence. La mienne manquait de maniabilité, comme durant tout le week-end. Je ne pouvais pas attaquer. Lors de mon premier ravitaillement, j'ai demandé une petite modification. Cela allait un peu mieux, mais Coulthard m'a bloqué... Vers la fin, je scrutais les écrans géants pour voir si Häkkinen n'avait pas un problème. Mais rien n'est venu ».
Résigné, Irvine se montre même aimable à l'égard de Ferrari qu'il quitte après une collaboration de quatre années... tout en rappelant incidemment que ce sont des erreurs commises dans les stands qui lui ont fait perdre le titre: « Ce n'est peut-être pas ce que nous visions, mais ce titre des constructeurs après seize ans d'attente est quand même un joli prix de consolation ! Il n'y a pas à se lamenter. Pouvoir se battre pour le titre jusqu'à la dernière course est aussi une réussite. Sans quelques erreurs au fil de la saison, comme mon ravitaillement raté à Silverstone, ou l'histoire du pneu égaré au Nürburgring, je serais champion du monde ce soir... » Mais le méritait-il vraiment ? Eddie Irvine a certes réalisé une belle saison, inscrit des points très régulièrement, saisit presque toutes les opportunités de victoires possibles, mais il n'a pas su endosser le costume de leader de Ferrari après la blessure de Michael Schumacher. Le développement de la F399 s'en est cruellement ressenti. Lorsque Schumacher a repris le volant à l'autonome, le bolide rouge se battait avec les Sauber et les Benetton... Pilote très doué, mais sans doute limité par un mode de vie fantasque, Irvine n'aurait pas été capable de décrocher le titre sans l'aide ostensible et quelque peu humiliante de son équipier. En ce sens, sa défaite était peut-être préférable. Et puis il n'a pas tout perdu, puisqu'il a réussi à arracher à Ford un contrat en or, bien au-dessus de sa valeur réelle...
Damon Hill: retrait en toute discrétion
Enfin, c'est sur la pointe des pieds que Damon Hill a tiré sa révérence, par un abandon volontaire après quelques tours. Le pilote anglais, qui a déjà couru contre son gré une bonne partie de la saison, a jugé bon d'arrêter les frais après une sortie de route. Et tant pis pour Eddie Jordan qui n'en fut pas content. Comme il l'explique plus tard dans son autobiographie, Hill en avait tout simplement assez du pilotage: « Je ne voulais plus filer à 290 km/h - surtout sur cette piste - en espérant que rien de grave ne survienne. J'en avais assez de nier ma peur ; ma motivation s'était enfuie. Certains m'accusèrent d'avoir jeté l'éponge, mais comme aurait dit mon père: c'est leur problème. » Il rappelle en outre que, peu avant sa mort tragique, son père Graham lui avait confié de façon prémonitoire: « Chaque heure compte, et je n'en ai jamais assez. » Heureux d'avoir achevé sa carrière indemne, cet anti-héros du sport automobile peut enfin goûter une tranquille retraite aux côtés de son épouse Georgie et de leurs enfants.
Sources :
- Sport Auto, décembre 1999.
- L'Équipe, 1er novembre 1999.
- Renaud de Labroderie, Le Livre d'Or de la Formule 1999, Solar, 1999.
- Formule 1, la saison 1999, Mixing GmbH, 1999.
- Damon Hill, Autobiographie, City No Limit, 2016.
Tony