La disparition des pneus lisses (ou « slicks ») et leur remplacement par des pneus sculptés, à compter de la saison 1998, ont bouleversé la façon de piloter en Formule 1. C'était du reste bien l'objectif de Max Mosley, président de la FIA, obnubilé par son combat pour la sécurité, et qui estimait que la priorité était de réduire la vitesse de passage en courbe des bolides. D'où l'utilité des rainures: moins le pneu est maintenu sur la route par la zone de contact, plus l'adhérence est précaire et la vitesse de passage faible. En 1999, la fédération a encore corsé la situation en rajoutant une quatrième cannelure sur les pneus avant. Dans le même temps, suite au retrait de Goodyear, Bridgestone a hérité du monopole de la fourniture des pneumatiques. Avec la fin de la guerre des manufacturiers, les ingénieurs japonais ont complétement changé leur philosophie pour 1999, en privilégiant la solidité sur la performance pure. La priorité n'est plus l'adhérence offerte par le pneumatique, mais son endurance.

 

Début 1999, les pilotes estiment que les composés plus durs utilisés par Bridgestone ont davantage détérioré l'adhérence de leurs bolides que la nouvelle sculpture. Si, dans les virages rapides, la charge aérodynamique offre encore une vitesse élevée et constante, dans les tournants lents, les conducteurs souffrent d'un sérieux manque de grip. C'est ici que les styles de pilotage font la différence. Dans ces virages à faible allure, le secret du succès réside dans la sensibilité du pied au moment de l'accélération et dans la délicatesse du pilotage. Heinz-Harald Frentzen excelle notamment en la matière, comme le démontre son excellent début de saison avec Jordan. Rubens Barrichello est aussi favorisé car il braque toujours après avoir achevé son processus de freinage, ce qui lui permet de ménager ses gommes avant.

 

En revanche, toute une génération, celle qui a peu ou pas du tout fréquenté le karting, a pour habitude de jeter la monoplace dans les virages, ce qui fait désormais perdre du temps et maltraite les gommes. Damon Hill et Jacques Villeneuve appartiennent à cette « vieille » école aujourd'hui lésée. « Ces pneumatiques sont faits pour la génération kart: ces pilotes sont habitués à déraper dans les virages », soupire Hill. Le revenant Alex Zanardi, qui patauge au volant de sa Williams, cinq ans après sa dernière apparition en F1, pointe aussi du doigt les gommes rigides et striées, mais aussi l'étroitesse des monoplaces: « Les pneus rainurés sont très durs pour ne pas se dégrader trop vite. On a donc perdu, c'est vrai, beaucoup d'adhérence par rapport à l'époque des slicks. Mais, la diminution de la largeur des monoplaces a aussi rendu les voitures plus nerveuses. Cela induit un comportement très étrange dans les virages lents, pour lesquels on doit déterminer un réglage de suspensions spécifique. Le problème est que ces réglages ne conviennent plus du tout dans les courbes rapides, là où les voitures sont plaquées au sol par l'effet aérodynamique ». Le pauvre Zanardi perd son latin devant ces dilemmes.

 

Par ailleurs, les nouveaux pneus Bridgestone se dégradent de manière beaucoup plus imprévisible que leurs devanciers. Les cinq zones de contact (séparées par les quatre sculptures) ne s'altèrent pas uniformément, d'où des pertes d'adhérence brusques et inégales qui compliquent un peu plus la tâche des pilotes, des stratèges et bien entendu des ingénieurs. Mais dans le domaine du développement technique, certains sont toujours plus malins que d'autres. En 1999, c'est encore une fois Adrian Newey, le directeur technique de McLaren, qui a trouvé la bonne astuce. Alors que ses collègues s'échinaient à copier le concept de sa MP4/13 et essayaient de compenser la diminution d'adhérence en transférant du poids vers l'avant des bolides, Newey a compris que mieux valait privilégier l'équilibre optimal de l'ensemble. Sur la McLaren MP4/14, la position du conducteur est ainsi repoussée quinze centimètres vers l'arrière au moyen d'un réservoir plus court et rehaussé. La répartition des masses est, de fait, concentrée vers le milieu de la voiture. C'est ainsi que, début 1999, les McLaren-Mercedes sont de nouveau les monoplaces les mieux équilibrées et les plus rapides du peloton. Reste toutefois à les fiabiliser...

 

Sources:

- Formule 1, la saison 1999, Mixing GmbH, 1999

- Lionel Froissart, Interview d'Alessandro Zanardi, Libération du 11 septembre 1999

Tony