Mosley et le garnement

Les propos virulents de Jacques Villeneuve à l'égard de la future réglementation technique ont fini par excéder Max Mosley. Le président de la FIA est d'autant plus décidé à prendre des sanctions contre l'insolent que celui-ci s'est répandu en déclarations peu amènes à son endroit dans les colonnes du quotidien allemand Der Spiegel (voir ici). Le crime de lèse-président ne figurant toujours pas dans le Code sportif, Mosley attaque Villeneuve sur la base de deux de ses déclarations (« Ce règlement est merdique » et « La F1 va devenir un cirque ») qui contreviennent à la clause n°4 de la super-licence selon laquelle le pilote « doit en tout temps s'efforcer de promouvoir et d'encourager les actions pour soutenir le championnat du monde de Formule 1 de la FIA. » En clair, le pilote canadien est accusé de dénigrer la discipline. Ayrton Senna (en 1990) et Alain Prost (en 1993) ont jadis été inculpés du même chef.

 

Le 2 juin 1997, Max Mosley téléphone à Frank Williams pour lui annoncer que Jacques Villeneuve est convoqué devant le Conseil mondial de la FIA du mercredi 11 juin, soit quatre jours avant le Grand Prix du Canada. Le président de la FIA précise que l'accusé est menacé d'une course de suspension. S'il est déclaré coupable, Villeneuve sera ainsi privé de son Grand Prix national ! Au Canada, et plus particulièrement au Québec, l'indignation est unanime. Averti par Craig Pollock, le journaliste Pierre Lecours, villeneuviste historique, sonne l'olifant dans le Journal de Montréal: « Mosley prend le risque de provoquer la colère des milliers d'amateurs qui attendent depuis des années de célébrer le succès d'un Québécois de naissance. Pour lui, c'est une occasion de rabrouer un pilote devenu un peu trop contestataire. » Et en effet, Villeneuve n'a aucun mal à se poser en jeune homme libre et impertinent menacé du bâillon par un pourvoir sportif intolérant. Sans surprise, toute la Belle Province prend fait et cause pour son héros. Ses fans menacent de boycotter le Grand Prix à venir s'il devait en être banni.

 

Après avoir encaissé la nouvelle, Jacques Villeneuve et son mentor Craig Pollock essaient de reporter l'échéance au-delà du Grand Prix du Canada. Frank Williams joue les intermédiaires. Il informe la FIA que son pilote a pris des engagements promotionnels à Montréal entre les 9 et 12 juin, en marge du GP du Canada, et qu'il ne pourra donc pas se rendre à Paris à la convocation du Conseil mondial. Mosley ne veut rien entendre. « Ce sera le 11 juin, et au matin ! », éructe-t-il. Cette fois, le clan Villeneuve prend l'affaire au sérieux. Il lui faudra déployer des trésors de diplomatie pour éviter la sanction. Frank Williams met à disposition de son pilote une équipe de juristes afin de préparer sa comparution. Julian Jakobi, qui a conseillé Ayrton Senna dans les mêmes circonstances quelques années plus tôt, face à Jean-Marie Balestre, est appelé en renfort. Il suggère à Villeneuve de faire profil bas et d'éviter tout contact avec la presse, afin de ne plus rien dire qui puisse indisposer Mosley. Bernie Ecclestone s'entremet également et apporte quelques garanties: selon lui, Jacques sera peut-être puni, mais avec sursis et pourra tout de même rouler à Montréal... Le président de la FOCA, très impliqué dans l'organisation du GP du Canada, souhaite évidemment que la star nationale puisse y participer.

 

Le mascarade du Crillon

Afin de parer aux grèves menaçant Air France et Air Canada, Craig Pollock affrète un Learjet 60 Bombardier pour permettre à Jacques Villeneuve de rejoindre Paris le 10 juin. Une fois dans la capitale française, les deux hommes passent la soirée à fourbir leurs derniers arguments. Le lendemain, à 9 heures 40, Craig Pollock et Jacques Villeneuve franchissent le seuil de l'hôtel Crillon, place de la Concorde. Leur audition par les membres du Conseil mondial est des plus brèves: dix minutes ! Bien évidemment, Max Mosley avait depuis longtemps arrêté la sentence qui est dévoilée en fin de matinée: Jacques Villeneuve écope d'un simple blâme. Seule la forme, et non le fond, de ses propos a été jugée répréhensible. « Il s'agissait d'une discussion sur quelques mots pour éclaircir les choses. J'ai été convoqué pour une question de vocabulaire », explique Villeneuve, qui cache mal son irritation. « Je suis conscient qu'à l'avenir il me faudra prendre une bonne respiration avant de parler et de choisir des termes plus littéraires. » Cette interprétation est confirmée par le communiqué délivré par la fédération internationale: « Le Conseil mondial a affirmé clairement que chacun a le droit d'exprimer librement son opinion, mais de manière digne et responsable. Le pilote a admis le point de vue du conseil et a déclaré que ses propos étaient déplacés, mais qu'ils avaient probablement été mal traduits pas le journaliste. Le conseil a infligé un blâme à Jacques Villeneuve en l'avertissant que, si une telle infraction devait se reproduire à l'avenir, le conseil la considérerait avec la plus grande sévérité. »

 

L'affaire semble close. Les Québécois sont soulagés: leur champion roulera à Montréal quelques jours plus tard. Mais en privé, Jacques Villeneuve est furieux d'avoir été malmené pour une peccadille. « Il faut maintenant oublier toute cette histoire et ne penser qu'à la course à venir », souffle-t-il en quittant Paris. Craig Pollock est pour sa part satisfait: il estime qu'en rameutant la presse canadienne, il a créé un vaste mouvement de sympathie qui a empêché la fédération de se montrer trop sévère à l'égard de son poulain. Francesco Longanesi Cattani. Le chef du service de presse de la FIA, le blâme d'ailleurs d'avoir fomenté ce tapage médiatique. Mais Pollock surestime son influence. En réalité, Max Mosley n'a jamais eu l'intention de sanctionner Jacques Villeneuve. Cette convocation n'était qu'un coup de menton destiné à étouffer pour de bon toute opposition à ses projets de réformes réglementaires. Ce en quoi il a parfaitement réussi puisque, désormais, Villeneuve a compris que les pilotes n'avaient pas leur mot à dire dans ces affaires...

 

Sources :

- Renaud de Laborderie, Le Livre d'Or de la Formule 1 1997, Solar, 1997.

- Pierre Lecours, Giles et Jacques Villeneuve, Michel Lafon, 1998.

- Le Monde du 13 juin 1997.

Tony