Adélaïde, la dernière bataille - Les doutes de D. Hill
Ce Grand Prix d'Australie sera donc la finale de cette terrible saison 1994. La bataille pour la couronne des pilotes est on ne peut plus serrée puisque Michael Schumacher, avec 92 points, n'est séparé de Damon Hill (91 pts) que par une petite longueur. L'Anglais doit donc inscrire deux points de plus que l'Allemand pour être titré car, en cas d'égalité, ce dernier aurait l'avantage de par son nombre de victoires (8 à 6). Leurs écuries respectives Williams-Renault (108 points) et Benetton-Ford (103 pts) se disputent quant à elles le championnat des constructeurs, mais avec un intérêt inégal. Luciano Benetton et Flavio Briatore n'accordent en effet pas une grande importance à cette récompense et s'intéressent surtout aux retombées médiatiques et économiques qu'occasionnerait un triomphe de Schumacher. Frank Williams, au contraire, estime que le championnat des constructeurs est aussi important, sinon plus, que celui des pilotes, car il récompense les efforts d'une collectivité.
Michael Schumacher s'est évidemment bien préparé à cet ultime rendez-vous et peut compter sur le plein soutien d'une écurie à sa dévotion. Mais il n'est pas vraiment empli de sérénité. L'Allemand risque en effet tout bonnement de perdre sur le fil un championnat qu'il dominait de la tête et des épaules il y a encore trois mois. N'oublions pas que son avantage son Damon Hill culminait à 37 points au soir du GP de France. Selon lui, il ne fait aucun doute que Max Mosley et Bernie Ecclestone ont truqué la compétition en semant sous son pied des peaux de banane (drapeau noir à Silverstone, suspension pour deux Grands Prix, affaires de l'antipatinage et du filtre à essence etc.). Une défaite serait donc une forme d'humiliation pour ce jeune homme aussi doué qu'orgueilleux.
Damon Hill n'est pas plus paisible. Sa superbe victoire de Suzuka ne l'a en effet rasséréné que quelques heures. Entre Suzuka et Adélaïde, il passe quelques jours sur la Gold Coast en compagnie de son ami le motard Barry Sheene. Au lieu de prendre du bon temps, il y remâche ses griefs à l'encontre de Frank Williams, s'estimant mal considéré et sous-payé par celui-ci. Il ne touche en effet que 500 000 £ par an, soit quatorze fois moins par exemple que Gerhard Berger. Un prétendant au titre mondial mérite mieux que cela ! Loin de l'apaiser, Sheene l'incite à s'expliquer avec son patron. Aussi, lorsqu'il pose le pied à Adélaïde, Hill vide son sac au micro de Murray Walker et déclare qu'il mériterait un meilleur salaire comme fruit de ses efforts. Ces propos ont un effet désastreux. Frank Williams et Patrick Head reçoivent très fraîchement le trop franc Damon, qui passera le reste de son week-end à rétropédaler devant les caméras. Par bonheur, le pilote anglais se ménage tout de même quelques plages de détente en compagnie de son ami l'ex-pilote Peter Boutwood et de l'inévitable et excentrique Barry Sheene.
Présentation de l'épreuve
Bernie Ecclestone a tranché: à cause des lois anti-tabac frappant l'État d'Australie-Méridionale, le Grand Prix d'Australie déménagera à Melbourne à compter de 1996. Yvonne Nicolas, le manager de la société pilotant cette nouvelle épreuve, Melbourne Major Events Company, rencontre à cette occasion le président de la FOCA, à la grande colère des partisans d'Adélaïde qui s'estiment trahis.
Plusieurs couples divorcent lors ce week-end sur les rives de l'océan Indien. Benetton et Ford se séparent après huit années de mariage, alors que ce Grand Prix va justement décider de leur première consécration mondiale. McLaren rompt comme prévu avec Peugeot pour convoler avec Mercedes, mais se sépare aussi de Shell, son pétrolier, pour s'allier à Mobil. Quant à Peugeot, ses premiers essais avec Jordan sont prévus à Silverstone, dix jours après cette ultime manche de la saison 1994. Brian Hart perd le contrat Jordan mais s'allie avec Arrows. Jackie Oliver a en effet été séduit par le modeste - son usine n'emploie que 25 techniciens ! - mais sérieux artisan britannique dont le V8 n'est pas très puissant mais fiable. Comme Minardi et Larrousse, Arrows a en effet été frappée par de nombreuses défaillances des V8 Ford-Cosworth série VIII et choisit avec Hart la sécurité, dans l'espoir d'engranger plus de points en 1995.
Peter Sauber est sauvé ! Mercedes a en effet généreusement décidé de le libérer de toutes ses créances, sans quoi il aurait été contraint de mettre la clef sous la porte à l'issue de ce championnat 94. Par ailleurs, Sauber officialise en Australie son association avec Ford et Cosworth pour 1995. L'excellent V8 Zetec-R utilisé cette saison par Benetton propulsera donc les monoplaces suisses l'an prochain. En outre, Heinz-Harald Frentzen, séduit par cette association, est finalement resté sourd aux avances de Ron Dennis et rempile pour une saison supplémentaire à Hinwil. Il fera de nouveau équipe avec Karl Wendlinger qui devrait être complètement rétabli de son accident de Monaco.
Faute d'argent, Gérard Larrousse doit recourir pour cette dernière manche à deux pilotes payants: le Japonais Hideki Noda, en place depuis le GP d'Europe, et le Genevois Jean-Denis Delétraz. Celui-ci, âgé de 31 ans, est loin d'avoir le pedigree requis pour apparaître en F1. Il a commencé sa carrière dans les années 80 dans les championnats français de F. Ford et de F3, avant de couvrir une saison de F3000 en 1988, sans le moindre résultat. Depuis cette date, Delétraz est un honnête participant du championnat de France de Super-Tourisme. Curieusement, la FIA lui alloue sa super-licence. Delétraz s'offre cette pige avec son argent personnel, agrémenté de quelques petits commanditaires. Un effort louable, mais qui suscite une certaine perplexité. Nombre de spécialistes, comme par exemple le consultant de la BBC Jonathan Palmer, jugent irresponsable de laisser ce type de pilotes totalement inexpérimentés rouler en F1.
Dans le même temps, Mimmo Schiattarella retrouve le baquet de la seconde Simtek-Ford qu'il a déjà occupé lors du GP d'Europe, toujours moyennant finances. Au total, pas moins de 48 pilotes auront pris part à un Grand Prix en 1994, une inflation consécutive aux difficultés financières croissantes des écuries de bas de tableau.
Ce Grand Prix sera le 194ème et dernier de Michele Alboreto. Giancarlo Minardi a en effet décidé d'injecter du sang neuf à son écurie et remplacera l'an prochain le Milanais par le jeune Luca Badoer, jusqu'alors essayeur. Alboreto restera dans les mémoires comme un curieux personnage: avenant et gentil dans le privé, il pouvait se montrer brutal et imprévisible derrière le volant. Épris de compétition, il a indéfiniment prolongé sa carrière en F1, au point de végéter dans des écuries indignes de son authentique talent. Son heure de gloire était passée depuis longtemps et sa présence sur les grilles paraissait, ces dernières saisons, presque anachronique. Mais Alboreto reste, pour encore longtemps sans doute, le dernier Italien à s'être imposé au volant d'une Ferrari, lors du GP d'Allemagne 1985.
Essais et qualifications
La grille de départ est déterminée par les performances du vendredi car, comme à Suzuka, la séance du samedi est perturbée par une pluie battante. Mansell estimait avoir raté de peu la pole position à Suzuka. Cette fois, il parvient à conquérir la trente-deuxième position de pointe de sa carrière (1'16''179'''). Sa séance ne fut cependant pas de tout repos: tombé nez à nez avec un Herbert en perdition, il évite la Benetton au prix d'un tête-à-queue magistral ! Schumacher détient longtemps le meilleur chrono avant de se faire dépasser par Mansell. Lors de son ultime tour lancé, l'Allemand arrive beaucoup trop vite sur la petite chicane, part en tête-à-queue et percute de plein fouet la muraille de pneus. Si la coque est détruite, le pilote est indemne. « Schumi » se contente de la seconde position. Hill, peu satisfait du comportement de sa Williams, se classe troisième, à une demi-seconde de son adversaire. Herbert (7ème) manque encore d'aisance au volant de la Benetton, comme le démontre sa figure narrée plus haut.
Häkkinen (4ème) se transcende pour tirer parti d'une McLaren-Peugeot assez rétive. Son coéquipier Brundle (9ème) déplore un gros sous-virage. Le « match » des qualifications 1994 entre les deux salariés de Ron Dennis a tourné à la boucherie: Häkkinen l'emporte sur Brundle 15 à 0 ! Les Jordan-Hart se comportent excellemment, et Barrichello (5ème) a la satisfaction de reprendre l'ascendant sur Irvine (6ème). Alesi (8ème) et Berger (11ème) éprouvent plusieurs réglages mais rien n'y fait: la Ferrari manque ici de traction. Les Sauber-Mercedes (Frentzen 10ème, Lehto 17ème) sont excessivement sous-vireuses et nerveuses sur les bosses. Jolie prestation de Panis, 12ème avec sa Ligier-Renault. Son collègue Lagorce (20ème) lui rend une seconde. Les Tyrrell-Yamaha (Blundell 13ème, Katayama 15ème) rencontrent quelques problèmes avec leur sélecteur de vitesses. Zanardi (14ème) fait l'impossible pour tirer le meilleur de la calamiteuse Lotus. Salo (22ème), très inexpérimenté, cherche seulement à se maintenir en piste et y parvient. La Minardi est bien équilibrée mais manque toujours de vitesse de pointe. Pour une fois, Alboreto (16ème) fait mieux que Martini (18ème). Triste fin de saison chez Arrows: Fittipaldi (19ème) et Morbidelli (21ème) luttent pour garder en piste des FA15 inconduisibles. Seule éclaircie: le 6ème chrono réalisé par Morbidelli samedi sous l'averse.
En fond de grille, Noda (23ème) qualifie sa Larrousse deux secondes et demie devant celle du débutant Delétraz (25ème). Les deux Simtek se sauvent non sans mal: Brabham (24ème) subit une panne moteur et Schiattarella (26ème) heurte le mur. Le cauchemar est fini pour Gachot et Belmondo, enfin débarrassés de l'horrible Pacific PR01. Victime d'une panne moteur dès le début de la séance du vendredi, Gachot n'essaie même pas de se qualifier, pendant que Belmondo tourne à une seconde et demie de Schiattarella et Delétraz...
Samedi, Schumacher se montre le plus rapide sur le mouillé. Une performance inutile, car la pole de Mansell est pour lui une amère surprise. Un mois plus tôt, lors du retour en F1 de l'ancien champion, le pilote Benetton avait feint de le désigner comme son principal adversaire, en lieu et place de Hill. Mais voici que Mansell vient s'immiscer dans la lutte pour le titre mondial avec la ferme intention d'épauler son équipier. Nigel, sans complexe, se complaît dans ce rôle d'arbitre suprême. Entre samedi et dimanche, il multiplie ainsi les gestes d'affection à l'égard de Hill. Celui-ci, crispé par l'enjeu, apprécie à sa juste valeur l'appui du « Vieux Lion ». Schumacher, qui sera pris en sandwich entre les deux Anglais au départ, perçoit l'esquisse d'un piège stratégique concocté par Frank Williams. Il est des plus nerveux mais n'en laisse rien paraître.
Le Grand Prix
Dimanche, la pluie a disparu et le soleil point dans le ciel australien. Lors du warm-up, Mansell réalise derechef le meilleur chrono devant Alesi. Schumacher (3ème) et Hill (6ème) se contentent de trouver les réglages optimaux.
L'après-midi, 127 000 spectateurs se pressent dans les tribunes, à la fois pour assister au duel Schumacher - Hill, et pour répondre à la décision de Bernie Ecclestone de les priver de « leur » course. Les deux prétendants au titre mondial, aussi inexpérimentés l'un que l'autre face à un tel enjeu, s'éloignent des journalistes pour ne pas compromettre leur concentration. Entre eux, pas de provocations, ni d'effusions: une simple et furtive poignée de mains.
Départ: Mansell fait patiner ses roues et manque totalement son envol. Il se déporte légèrement sur la droite pour ouvrir la voie à Hill, mais Schumacher l'a déjà débordé sur la gauche. L'Allemand franchit le premier virage en tête devant son rival au championnat. Suivent Mansell, Häkkinen, Barrichello et Alesi.
1er tour: Mansell sort un peu large du virage n°5 et escalade le vibreur. Il perd encore deux places au profit d'Häkkinen et de Barrichello. Schumacher est en tête devant Hill, Häkkinen, Barrichello, Mansell, Alesi, Irvine, Brundle, Herbert, Frentzen et Berger.
2e: Schumacher compte une seconde et demie d'avance sur Hill. Mansell tente de faire l'intérieur à Barrichello à l'issue de Brabham Straight, mais il glisse vers l'extérieur à l'épingle et le jeune Pauliste conserve l'ascendant.
3e: Schumacher et Hill ont déjà creusé un gouffre de près de huit secondes sur un quatuor comprenant Häkkinen, Barrichello, Mansell et Alesi.
4e: Herbert se bat avec une Benetton à la direction faussée suite à une touchette avec Irvine au départ. Il exécute un tête-à-queue puis se relance en quinzième position.
5e: Schumacher est premier devant Hill (1.6s.), Häkkinen (10s.), Barrichello (13s.), Mansell (13.8s.), Alesi (14.7s.), Irvine (18s.) et Brundle (19s.). Si les choses en restaient ainsi, Schumacher serait champion du monde avec 102 points contre 97 à Hill.
7e: Schumacher et Hill pilotent à la limite et améliorent le record du tour à chaque passage. Plus loin, Mansell met une forte pression sur Barrichello, mais doit aussi surveiller Alesi qui le suit de près.
8e: Schumacher compte une seconde et deux dixièmes d'avance sur Hill.
9e: Schumacher tourne en 1'17''343''', Hill en 1'17''376'''. Les deux hommes ne se lâchent pas. Schiattarella fait halte au stand Simtek pour faire contrôler sa boîte qui fonctionne mal.
10e: Schumacher et Hill tombent sur le très lent Delétraz, déjà en passe de concéder un tour. Le néophyte s'écarte impeccablement devant l'Allemand mais gêne un peu le Britannique.
12e: Schumacher devance Hill (14.4s.), Häkkinen (21.4s.), Barrichello (25s.), Mansell (26s.) et Alesi (26.8s.).
13e: L'attardé Noda laisse très proprement passer les deux leaders au bout de la grande ligne droite. Blundell perd le contrôle de sa Tyrrell sur Rundle Road et exécute un tête-à-queue pour éviter la barrière de pneus. Il fait halte ensuite chez Tyrrell pour remettre un jeu de pneus neufs.
14e: Herbert met pied à terre avec une boîte de vitesses en rideau. Il n'aura guère été utile à Schumacher dans cette ultime bataille...
15e: Mansell parvient à dépasser Barrichello au freinage de l'épingle. Le voici quatrième. Il se lance aux trousses d'Häkkinen. Ravitaillement de Fittipaldi.
16e: Une petite seconde sépare Schumacher et Hill. Suite à une rupture de ses freins, Irvine part en tête-à-queue à la fin de Brabham Straight et s'échoue dans l'échappatoire. Sa course s'arrête là.
17e: Alesi observe un premier pit-stop, suivi bientôt par Zanardi.
18e: Schumacher et Hill entrent simultanément aux stands pour leur premier ravitaillement. Les opérations durent environ sept secondes, et l'Allemand reprend la piste devant l'Anglais. Cette séquence n'aura donc rien changé au classement général. Morbidelli renonce suite à une panne de pompe à huile.
19e: Mansell attaque Häkkinen sur Brabham Straight. Il retarde ensuite un peu trop son freinage et demeure derrière le Scandinave. Lehto ravitaille au stand Sauber. Noda rejoint les stands avec une Larrousse en feu, conséquence de la rupture d'un raccord d'huile, et enfume ainsi toute la pit-lane.
20e: Hill n'est plus qu'à sept dixièmes de Schumacher. Panis fait halte aux stands pour prendre de l'essence et des gommes neuves. Brabham fait de même au tour suivant.
21e: Häkkinen bloque sa roue avant-droite à l'épingle et doit emprunter la bordure. Mansell en profite pour lui subtiliser la troisième place. Katayama perd le contrôle de sa Tyrrell au même endroit et finit son après-midi dans l'échappatoire.
22e: Schumacher mène devant Hill (0.5s.), Mansell (18.6s.), Häkkinen (20.4s.), Barrichello (21s.), Brundle (26.5s.), Berger (30.2s.), Frentzen (34.1s.), Alesi (37.5s.) et Panis (57.3s.). Tête-à-queue sans conséquence de Schiattarella.
24e: Schumacher et Hill se fraient tant bien que mal un chemin dans le trafic, mais ne se quittent pas d'une semelle. Alesi part en tête-à-queue au virage n°13 mais se relance aussitôt, sans perdre de position.
25e: Hill évolue dans la boîte de Schumacher sans pouvoir se porter à sa hauteur. Brundle et Frentzen opèrent leurs premiers pit-stops.
26e: Mansell passe chez Williams pour ravitailler (8.5s.). Il repart derrière Berger qui a opté pour une stratégie décalée. Schiattarella abandonne suite à une panne de sélecteur de vitesses.
27e: Schumacher profite du dépassement de Zanardi pour mettre une seconde entre lui et Hill. Ravitaillements de Salo, Martini et Lagorce.
28e: Häkkinen et Barrichello entrent ensemble aux stands. Les mécaniciens de Jordan sont plus prompts que ceux de McLaren: Rubens redémarre devant Mika. Tous deux repartent juste devant Alesi. Delétraz ravitaille aussi au passage suivant.
29e: Schumacher réalise le meilleur chrono de la course (1'17''140'''). Barrichello escalade le vibreur de Dequetteville Terrasse et part au large. Häkkinen le déborde aussitôt. Alesi, malin, prend l'aspiration de la Jordan, la double dans la longue pleine charge, puis plonge à l'intérieur de l'épingle et passe ainsi un Häkkinen éberlué. L'Avignonnais vient sans doute de réaliser la manœuvre de l'année.
30e: Schumacher est en tête devant Hill (1.5s.), Berger (39s.), Mansell (52s.), Alesi (1m. 01s.), Häkkinen (1m. 03s.), Barrichello (1m. 04s.), Brundle (1m. 07s.), Panis (1m. 15s.) et Frentzen (1m. 17s.).
31e: Hill concède maintenant deux secondes à Schumacher. La course serait-elle en train de basculer ?
32e: Schumacher tombe sur son rival de jeunesse Frentzen qui lui claque la porte au nez dans la portion sinueuse, avant de s'écarter sur Brabham Straight.
33e: Frentzen se fait prier pour laisser passer Hill. Heureusement pour ce dernier, Schumacher est également un peu ralenti par Brabham.
34e: Berger stoppe chez Ferrari pour son premier pit-stop (7.4s.). Il fait une excellente affaire puisqu'il repart quatrième devant Alesi.
35e: Hill recolle à Schumacher alors que la mi-course approche. Fittipaldi est le premier pilote à ravitailler une seconde fois.
36e: Sous la pression de Hill, Schumacher se loupe en prenant le gauche serré qui amène sur Flinders Street. La Benetton tutoie le muret puis revient en piste juste sous le nez de Hill. L'Anglais voit là l'opportunité tant espérée de prendre la tête: à l'entame du court droit à 90° qui suit, il se porte à la hauteur de son adversaire et se jette à l'intérieur. Mais Schumacher prend le virage comme si Hill n'était pas là. Le choc est instantané: la roue avant-gauche de la Williams harponne le ponton droit de la Benetton qui se soulève, retombe au sol et atterrit le nez dans la barrière de pneus. Schumacher quitte son habitacle, livide, croyant avoir perdu le championnat. Mais Hill regagne les stands au ralenti ! En tout cas, l'abandon de la deuxième Benetton offre à Williams le titre mondial des constructeurs.
37e: Mansell s'empare des commandes de l'épreuve. Hill arrive à son stand avec une crevaison et un bras supérieur de suspension plié. Les mécaniciens s'affairent autour de la Williams et Patrick Head tente même de redresser la suspension à mains nues ! Hill secoue la tête d'un air désespéré. Au bout d'une minute, il retire son casque et ses gants. C'est fini. Schumacher est champion du monde 1994.
38e: Demeuré en bord de piste, Schumacher apprend d'un commissaire l'abandon de Hill et son sacre mondial. L'Allemand retrouve le sourire et grimpe sur une motocyclette pour rejoindre son stand où les mécaniciens se congratulent. Zanardi observe son second pit-stop.
39e: Mansell mène avec trois secondes d'avance sur Berger. Alesi effectue son second arrêt-ravitaillement, puis cale au redémarrage à cause d'une défaillance de valve pneumatique. Le Français ne reprend la piste qu'au bout de trente secondes, en neuvième position.
40e: Alboreto ravitaille pour la première fois. Delétraz écope d'un « stop-and-go » de dix secondes pour vitesse excessive dans les stands.
41e: Mansell est premier devant Berger (1.9s.), Häkkinen (13s.), Barrichello (16.3s.), Brundle (19.5s.), Panis (40s.), Frentzen (43s.), Blundell (55s.), Alesi (1m. 12s.) et Fittipaldi (1m. 16s.). Zanardi quitte l'épreuve: son accélérateur, défaillant depuis le départ, est totalement ouvert.
42e: L'intervalle est stable entre Mansell et Berger. Plus loin, Barrichello chasse Häkkinen avec en vue la troisième place.
44e: Berger revient à deux secondes et demie de Berger. Alesi lorgne sur la huitième place détenue par Blundell.
46e: Delétraz louvoie dangereusement devant Berger sur deux virages. Le Suisse, bon dernier, semble décidément peu à son aise. Deuxième arrêt pour Brabham.
48e: Mansell précède Berger (2.4s.), Häkkinen (15.8s.), Barrichello (17.3s.), Brundle (20s.), Panis (47s.), Frentzen (51s.) et Alesi (1m. 10s.). Blundell puis Lehto passent aux stands pour ravitailler.
50e: Barrichello observe son second arrêt-ravitaillement et recule derrière Brundle.
51e: Fittipaldi effectue un troisième pit-stop.
52e: Brundle apparaît au stand McLaren pour prendre de l'essence et de nouveaux pneus (7s.). Salo abandonne, frappé par une panne électrique sur sa Lotus.
53e: Deux secondes séparent Mansell et Berger. Frentzen opère son second pit-stop. Brabham quitte l'épreuve avec un moteur muet.
54e: Mansell fait escale chez Williams pour son second arrêt (8.7s.). Berger prend les commandes de l'épreuve. Häkkinen ravitaille à la suite de Mansell (6.7s.). Lagorce et Delétraz passent aussi par les stands.
55e: Berger donne tout ce qu'il peut pour repartir devant Mansell après son deuxième pit-stop. Barrichello écope d'une pénalité de dix secondes pour excès de vitesse dans les stands. Ravitaillement de Martini.
56e: Berger compte vingt secondes d'avance sur Mansell. Häkkinen précède Barrichello de cinq secondes.
57e: A la fin de ce tour, Berger s'arrête chez Ferrari pour son dernier arrêt-ravitaillement (7s.) puis reprend la piste une seconde devant Mansell qui a été gêné par Lehto.
58e: Mansell prend Berger en chasse. Il tente de lui faire l'intérieur à l'épingle mais il lui manque quelques mètres pour doubler. Barrichello subit son « stop-and-go » tandis que Panis observe son deuxième arrêt aux stands.
59e: Mansell est dans les roues de Berger. Alesi effectue son troisième arrêt-ravitaillement et perd cette fois treize secondes. Il recule au neuvième rang. Häkkinen reçoit à son tour une punition de dix secondes pour avoir roulé trop vite dans la pit-lane.
61e: Berger devance Mansell (0.6s.), Häkkinen (23.8s.), Brundle (40.5s.), Barrichello (47.7s.), Panis (1m. 02s.), Frentzen (1m. 11s.), Blundell (1m. 12s.), Alesi (-1t.), Fittipaldi (-1t.), Martini (-1t.) et Alboreto (-1t.).
63e: Mansell évolue sous l'aileron de Berger et guette une ouverture. Häkkinen subit son « stop-and-go » et laisse ainsi la troisième place à Brundle.
64e: Berger craque sous la pression de Mansell: il escalade le dangereux vibreur de la courbe qui mène sur Brabham Straight et est projeté vers l'échappatoire. Il garde le pied sur le champignon et revient en piste, mais entretemps l'Anglais a pris la tête de la course.
65e: Mansell roule désormais vers la victoire. Alboreto effectue un tardif second arrêt-ravitaillement. Plus loin, Blundell pourchasse Frentzen pour le gain de la sixième place.
67e: Mansell jouit d'une marge de trois secondes sur Berger. Barrichello menace Häkkinen pour la quatrième position.
68e: Berger revient à une seconde de Mansell. Blundell attaque Frentzen au freinage de l'épingle, mais l'Allemand lui ferme la porte. Les deux voitures entrent en contact, et si la Sauber reste en piste, la Tyrrell part en tête-à-queue. Moteur calé, Blundell doit mettre pied à terre.
69e: Mansell prend un tour à Frentzen au bout de Brabham Straight. Croyant avoir affaire à Alesi, le jeune Allemand claque en revanche la porte au nez de Berger. Delétraz met pied à terre à cause d'une défaillance de boîte. Il évoluait en lanterne rouge, à neuf tours du leader...
70e: Frentzen verrouille toutes les ouvertures devant Berger. Il lui barre de nouveau la route à l'épingle. Alesi revient sur ces deux pilotes alors que Mansell s'envole au commandement.
71e: Frentzen s'écarte enfin devant Berger sur Wakefield Street. Alesi en profite pour se porter à la hauteur de l'Allemand et lui fait l'extérieur au virage n°5.
72e: Mansell est en tête devant Berger (3s.), Brundle (38s.), Häkkinen (40.6s.), Barrichello (50s.), Panis (1m. 10s.), Alesi (-1t.), Frentzen (-1t.), Fittipaldi (-1t.) et Martini (-1t.). Alboreto se gare avec un bris de suspension à l'arrière-droit, conséquence d'une touchette avec Zanardi en début de course.
74e: Berger fait le forcing pour revenir sur Mansell. Deux secondes et demie les séparent. Häkkinen fond sur son équipier Brundle.
76e: Alesi demeure dans le sillage de Berger, dans le vague espoir de remonter sur Panis et prendre ainsi le dernier point.
77e: Häkkinen perd l'usage de ses freins au bout de Brabham Straight, à près de 250 km/h. La McLaren part en toupie, tape le muret par l'arrière-gauche puis s'échoue dans l'échappatoire, par bonheur assez profond pour qu'elle ne heurte rien de plus. Häkkinen en est quitte pour de la peur.
78e: Mansell devance Berger (1.5s.), Brundle (45s.), Barrichello (1m. 08s.), Panis (1m. 25s.), Alesi (-1t.) et Frentzen (-1t.).
80e: Berger bute sur Panis qui - comme Frentzen plus tôt - croit se défendre contre le retour d'Alesi... Le pilote Ferrari ne risquera pas l'accrochage avec le Français et se résigne à la deuxième place.
81ème et dernier tour: Nigel Mansell remporte la trente-et-unième victoire de sa longue carrière. Berger termine deuxième, Brundle troisième. Barrichello se classe quatrième pour la cinquième fois de la saison. Panis, cinquième, empoche deux excellents points pour Ligier. Alesi se console avec un point d'une course décevante. Frentzen, Fittipaldi, Martini, Lehto et Lagorce rejoignent aussi l'arrivée.
Après la course: Mansell sur son 31
Deux ans après sa consécration mondiale, Nigel Mansell goûte à nouveau les joies du succès en Formule 1. Il tombe dans les bras de Gerhard Berger et même de Martin Brundle - avec lequel il a pourtant peu d'affinités - puis jette ses gants et sa cagoule ignifugée à une foule extatique. Voilà un joli podium de vétérans: Mansell (41 ans) est encadré par Berger et Brundle (35 ans). Ils totalisent 111 ans à eux trois. « Eh bien ! Il faut le faire ! Et dire que nous sommes toujours là ! » s'exclame Mansell, radieux. Alors que l'on attendait qu'il confirme sa présence en F1 en 1995, chez Williams ou ailleurs, le moustachu préfère annoncer qu'il se prépare à un stage de... karaté.
Jean Todt est ravi de la seconde position de Gerhard Berger, totalement inespérée au regard des essais qualificatifs. L'Autrichien est même persuadé qu'il aurait gagné sans sa petite sortie de route du 64ème tour. Ferrari achève la saison 1994 à la troisième place du championnat des constructeurs, avec une victoire et 71 points, son meilleur résultat depuis 1990. Berger, médaille de bronze chez les pilotes, égale sa meilleure performance, réalisée en 1988, déjà avec Ferrari. En outre, Martin Brundle offre au moteur Peugeot son huitième podium de l'année. Un joli total pour un motoriste débutant. Huit podiums, mais pas de victoire pour McLaren, une première depuis que Ron Dennis a pris les rênes de l'écurie en 1981...
Williams-Renault se console de la perte du titre des pilotes avec celui des constructeurs. C'est la troisième couronne de rang pour la paire anglo-française. « N'oubliez pas que Schumacher a gagné et que les Benetton rouleront Renault l'année prochaine ! Nous aurons enfin le n°1 ! » rappelle un malicieux ingénieur du Losange. Pour sa part, Flavio Briatore fait fi du championnat des écuries et ne regarde que le triomphe de Schumacher. « Désormais, nous serons considérés comme autre chose que des marchands de tricots ! » lance l'Italien, rigolard. Benetton ne perd pas pour autant son sens du marketing: dix minutes après l'abandon de Damon Hill, ses employés distribuaient déjà des pin's « Michael Schumacher, 1994 World Champion »...
Schumacher, vainqueur par K.O.
A 25 ans et 10 mois, Michael Schumacher devient le second plus jeune champion du monde de l'Histoire, derrière Emerson Fittipaldi. Une consécration qui lui permet d'adopter un discours de grand seigneur: « Cette année, j'ai fait quelques commentaires peu respectueux envers Damon », reconnaît-il. « Je dois admettre mes torts. Ce qu'il a fait, en particulier sur ces deux dernières courses, et même avant, fut fantastique. Il fut un grand rival et je présente mes excuses pour ce que j'ai pu dire de lui. » Le nouveau champion évoque aussi la mémoire du grand disparu de cette saison 1994: « Les émotions sont là, mais je ne sais pas les exprimer. Au début de la saison, il était clair pour moi que la couronne reviendrait à Ayrton Senna. Mais il n'était plus là ces derniers temps (sic), alors je voudrais lui dédier ce titre mondial qu'il aurait dû remporter. Il avait la meilleure voiture et c'était le meilleur pilote. J'ai toujours pensé à lui cette saison, même si je ne montre pas souvent mes sentiments. »
Damon Hill est extrêmement déçu de sa défaite, d'autant plus qu'admirable de pugnacité, il réalisait jusqu'à son abandon sa plus belle prestation de la saison. Malgré leur collision, le pilote anglais refuse d'engager la polémique avec Schumacher: « J'ai donné tout ce que j'ai pu dans cette course. Une épreuve terrible. Tout ce que je peux dire maintenant est qu'elle ne s'est pas terminée de la meilleure des manières pour moi. Les gens en ont eu pour leur argent et nous leur avons donné un sujet de conversation pour plusieurs années ! Schumacher a certainement senti la pression sur lui, d'où sa sortie. Moi j'ai vu l'opportunité de passer. Je devais essayer, c'était la course. Je crains qu'arriver à la dernière épreuve du championnat à un point du leader est malheureusement la meilleure façon de vous placer dans une situation où vous devez prendre certains risques. Je ne pouvais pas gagner ainsi. Ce sera pour l'année prochaine ! »
Cette déclaration fait honneur à Damon Hill et au « fighting spirit » censé animer tout bon sportif britannique, mais elle est quelque peu hypocrite. En revoyant la vidéo de l'accident, le nouveau vice-champion du monde s'est parfaitement rendu compte que Michael Schumacher s'était rabattu sur lui de manière à lui couper la trajectoire, voire tout simplement à le percuter. Certains membres de son entourage, comme le directeur sportif Ian Harrison ou l'ingénieur moteur Denis Chevrier, clament que l'Allemand est coupable d'un geste anti-sportif et devrait être sanctionné en conséquence. Mais sur les conseils de Barry Sheene, Hill décide de se tenir coi, sans doute afin de ne pas jeter un peu plus le discrédit sur cette saison 1994.
Il n'en demeure pas moins que la victoire de Michael Schumacher restera entachée par cette collision plus que suspecte. Bien sûr, l'intéressé omet d'évoquer une quelconque responsabilité dans l'incident: « Ma voiture était difficile à conduire, elle survirait beaucoup », raconte-t-il. « Je réussissais malgré tout à contenir Damon. Puis je suis passé sur une bosse. J'ai quitté ma trajectoire. J'ai dû rouler sur l'herbe et n'ai pu éviter de taper le mur. De retour sur la piste, j'ai voulu négocier le prochain virage quand j'ai vu Damon juste à côté de moi. Nous nous sommes touchés. Ma voiture est partie en l'air... J'ai redouté le tonneau. Ensuite est arrivé le pire moment. Celui de rester derrière le mur, de ne pas pouvoir continuer pendant que l'adversaire poursuit la course. Mais j'ai vu passer Mansell en tête, sans Hill derrière. J'ai alors compris que j'étais champion du monde. »
Cette version des faits est évidemment contestable. Schumacher a sans doute irrémédiablement endommagé la suspension de sa Benetton lors de son choc contre la muraille. Il a alors vu le titre mondial lui échapper et s'est franchement rabattu sur Hill au moment où celui-ci pointait le bout de son nez. Un geste que certains qualifient de réflexe naturel et compréhensible, comme par exemple Alain Prost: « Michael a montré qu'il était un vrai pilote de course. Il s'est rabattu instinctivement, il a simplement fermé la porte. C'était la seule chose qu'il pouvait faire à ce moment. C'était un acte d'auto-défense, et non d'attaque. » Bien sûr, on peut songer qu'en plaidant en faveur de Schumacher, Prost justifie aussi son propre comportement, très similaire, face à Ayrton Senna à Suzuka, en 1989... Le Français a toutefois raison lorsqu'il met en lumière cette hantise de la défaite inhérente aux grands champions. Mais ce trait de caractère est particulièrement prégnant chez Schumacher. Comme Senna jadis, l'Allemand est prêt à tout pour vaincre, y compris à commettre en piste des actes moralement répréhensibles.
Damon Hill n'est cependant pas étranger à son malheur. Comme le soulignent plusieurs spécialistes avisés, tel Jack Brabham, l'Anglais a péché par excès de précipitation: pourquoi diable a-t-il tenté de forcer immédiatement le passage alors qu'il n'avait qu'à attendre l'accélération suivante pour doubler la Benetton meurtrie ? Hill répond franchement qu'il n'a pas vu Schumacher frotter le muret et n'a donc pas eu le temps de comprendre que celui-ci ne pourrait guère aller plus loin. Son impatience l'a perdu.
Pour clore une saison de cauchemar
1994 s'achève donc par une énième polémique. Les (nombreux) détracteurs de Michael Schumacher estiment que la conclusion du championnat résume à merveille le parcours de l'Allemand: vainqueur de nombreux Grands Prix au volant d'une Benetton-Ford usant d'aides électroniques au pilotages illégales, il l'emporte par K.O. au prix d'une manœuvre douteuse. Les fans de « Schumi » rappellent pour leur part qu'il n'existe pas de preuve formelle que Benetton ait triché et que leur héros a été injustement suspendu pour deux courses après le scandale de Silverstone. Selon eux, Max Mosley et Bernie Ecclestone ont entravé la marche en avant de Schumacher pour entretenir un suspens artificiel et relever des audiences télévisées en chute libre depuis la mort d'Ayrton Senna. Quoiqu'il en soit, bien que contestable, le dénouement d'Adélaïde ménage une certaine morale: quelles que fussent les zones d'ombre qui entouraient sa voiture et son comportement, Schumacher fut bien incontestablement le meilleur pilote de la saison. Et Damon Hill, en contribuant au redressement d'une écurie Williams-Renault ébranlée par la tragédie d'Imola, n'a pas démérité et même conquis de haute lutte ses galons de grand pilote. Concluons donc sur ce jugement équitable cette horrible saison 1994, sans doute la pire de toute l'histoire de la Formule 1.
Tony