La Formule 1 au pays des kangourous
Cet ultime voyage aux antipodes est perçu comme une corvée par les pilotes qui en plus s'inquiètent d'étrenner le circuit urbain d'Adélaïde. Ils se souviennent en effet des précédents catastrophiques de Détroit et de Dallas. Mais heureusement leurs craintes sont rapidement balayées. Ce projet a été mûrement préparé par le Premier ministre d'Australie-Méridionale John Bannon qui souhaite promouvoir Adélaïde au rang de cité internationale. Grâce à d'importants fonds publics, les organisateurs ont dessiné un très beau circuit serpentant à travers un parc et empruntant une partie d'un hippodrome. Les infrastructures sont remarquables, les commissaires compétents et la piste large bordée de vrais vibreurs et de grandes zones de dégagement. Le tracé est original, avec un mélange de virages à angles droits et une longue pleine charge baptisée « Brabham Straight » en l'honneur du triple champion du monde australien. En fait, rien ici n'évoque le circuit temporaire, on se croirait sur un véritable autodrome. En outre, le printemps australien gratifie le week-end d'un temps superbe, avec des températures avoisinant les 30°C.
Très enthousiaste, le public australien se presse dès le jeudi aux abords du circuit. Les promoteurs n'ont pas ménagé leurs efforts. A Adélaïde, tout transpire la compétition automobile. La télévision, la radio, l'affichage public, les devantures des magasins vantent l'événement tandis que pas moins de 90 vols nationaux sont prévus vers la ville pour le jour de la course ! Le succès est phénoménal. « C'est potentiellement le meilleur circuit en ville du monde » déclare Niki Lauda. « Décors naturels, ambiance sympa, vraie fête de l'auto... Même sur le plan du pilotage ce tracé est intéressant ! » s'enthousiasme Alain Prost. Pour le bêcheur Keke Rosberg, c'est même « le meilleur circuit du monde ! » « Ce que viennent de réaliser les Australiens est très mauvais pour la Formule 1, ironise Bernie Ecclestone, car je connais quelques organisateurs qui sont loin de ça. Adélaïde place le standard du circuit en ville très haut. Ils viennent de créer le circuit qui nous manquait. »
Toutefois les coureurs se plaignent d'un revêtement glissant et bosselé qui soumet les pneumatiques à rude épreuve. Les pneus arrière de qualifications s'altèrent avant même que les avant aient pu approcher leur température optimale. Lors des essais, il faudra donc panacher en mettant des pneus de qualifications à l'avant et des pneus de course à l'arrière.
Lauda, Renault, Alfa Romeo: le temps des adieux
Le compte à rebours commence pour Niki Lauda dont ce sera bien le dernier Grand Prix. Il a en effet adressé un « non » définitif aux avances d'Ecclestone. Le triple champion du monde apparaît très détendu et enchaîne les plaisanteries. Il est très soulagé d'en finir avec la Formule 1. Il est déjà de plain-pied dans sa nouvelle existence de baron de l'aviation. Cependant, il tient à se dégoûter absolument de la compétition pour ne pas avoir de regrets. Aussi Lauda l'ordinateur, Lauda le sobre, Lauda le sérieux, se saoule volontairement jeudi soir lors de la soirée Marlboro afin d'avoir la gueule de bois le lendemain matin ! « Mon crâne éclate et j'ai un malaise lors des premiers essais, narre-t-il plus tard. En un mot, ça colle. Tout doit être sinistre et répugnant pour faciliter au maximum mes adieux. Pas de sentimentalisme, ni de scènes déchirantes ! »
La fabuleuse aventure de l'équipe Renault-Elf s'achève sous les tropiques. Les hommes de Daniel Champion travaillent sur les voitures comme si de rien n'était, mais ils ont le cœur gros. Jean Sage prend la direction des opérations suite à la démission du directeur de Renault Sport Gérard Toth. Cette nouvelle est très joyeusement accueillie par les mécanos. C'est dire l'ambiance détestable qui régnait au sein de l'écurie depuis le début de l'année. On apprendra quelques mois plus tard que Toth a détourné à son profit une partie des sommes versées par Ken Tyrrell pour l'achat du V6 turbo...
Alfa Romeo s'apprête également à liquider son écurie officielle au soir de ce Grand Prix. Après sept saisons médiocres voire pour certaines calamiteuses, le constructeur milanais arrête les frais avant de sombrer dans le ridicule. Jamais il n'aura su retrouver son lustre d'antan. Les Alfa n'ont pas réussi à gagner un seul Grand Prix entre 1979 et 1985. Pis encore, cette dernière saison s'achève sans un seul point au compteur. Le V8 turbo est un fiasco complet. Enfin, Benetton abandonne cet encombrant partenaire pour prendre le contrôle de la prometteuse équipe Toleman. Sans trop y croire, Giampaolo Pavanello affirme qu'Euroracing pourrait survivre avec un nouveau sponsor. Billevesées. Pour l'heure, Alfa Romeo continuera à fournir son moteur à Osella en 1986 et planche sur la conception d'un quatre cylindres.
C'est aussi la fin des haricots pour RAM qui a perdu son sponsor principal Skoal Bandit. John Macdonald ne s'avoue cependant pas vaincu et cherche un commanditaire pour 1986.
Benetton rachète Toleman et s'allie à BMW
Les frères Benetton confirment qu'à compter du 1er janvier 1986 l'écurie Toleman leur appartiendra à 100 %. Tout en conservant l'organigramme actuel, les milliardaires du textile sont partis à la recherche d'un bon moteur et ont conclu un accord avec BMW. Toutefois et à l'instar d'Arrows, Toleman ne recevra pas des blocs préparés par BMW Motorsport, mais par les ateliers d'Heini Mader. Ces moteurs « Mader » reçoivent en général les mêmes évolutions techniques que ceux entretenus par Paul Rosche, mais avec un Grand Prix de retard. Toleman met donc fin à la collaboration avec Brian Hart entamée en 1981. Côté pilotes, si Teo Fabi a été confirmé, le second volant attire de nombreux postulants, mais le favori est Gerhard Berger.
Toujours au sujet des quatre cylindres BMW, la firme munichoise a revu les termes de son contrat avec Arrows: plus de vente de blocs, mais des contrats de location. Autrement dit, Jackie Olivier doit trouver d'autres commendataires pour se payer des moteurs compétitifs.
Présentation de l'épreuve
Entre l'Afrique du Sud et l'Australie, Alain Prost et son épouse Anne-Marie sont reçus en audience privée par le pape Jean-Paul II à Rome. Un moment très émouvant pour le champion français qui ne fait pas mystère de sa foi catholique.
Le titre des constructeurs n'est pas encore attribué mais McLaren (90 pts) a une large avance sur Ferrari (80 pts). On voit mal comment la Scuderia pourrait renverser la tendance et gagner la course. Williams (62 pts) peut chiper la troisième position à Lotus (71 pts). Derrière Prost et Alboreto, la médaille de bronze des pilotes se dispute entre Senna (38 pts), de Angelis (33 pts), Mansell et Rosberg (31 pts chacun).
Peter Warr a choisi Derek Warwick pour remplacer Elio de Angelis chez Lotus la saison prochaine. Toutefois, Ayrton Senna n'est pas d'accord. Le jeune Brésilien souhaite que l'écurie Lotus tourne autour de son unique personne, et ne pourrait pas donc pas supporter le voisinage d'un pilote talentueux au caractère malcommode comme Warwick. Il se fâche donc à cette nouvelle et révèle que Bernie Ecclestone l'a invité à bord de son avion privé pour lui offrir un mirobolant contrat. Ne pouvant se permettre de perdre le jeune prodige, Warr déchire le contrat du pauvre Warwick qui se retrouve sans perspective pour 1986.
Enzo Ferrari a décidé de prolonger d'une année le contrat de Stefan Johansson qui s'est montré très méritant cette saison en se hissant souvent au niveau de Michele Alboreto.
Guy Ligier espère toujours conserver les V6 Renault pour 1986. La Régie n'y voit plus d'inconvénients, mais Peter Warr refuse que son partenaire fournisse plus de deux écuries. Avec Lotus et Tyrrell, le compte y est. Bernie Ecclestone s'emploie à ramener Warr à de meilleurs sentiments. En parallèle, Ligier s'adresse à ses « relations », comprendre le président de la république François Mitterrand. Fin novembre, il obtient de l'État français l'aide financière attendue via la Seita. Il pourra donc utiliser à nouveau les moteurs Renault la saison suivante, et engager René Arnoux aux côtés de Jacques Laffite.
Philippe Streiff fait son retour chez Ligier avant de partir définitivement chez Tyrrell l'année prochaine. Du coup, « Uncle Ken » rappelle Ivan Capelli, pourtant auteur d'un week-end très médiocre à Brands-Hatch.
Afin d'améliorer la souplesse de son V6, Ferrari adopte des turbos de diamètre réduit. La voiture de Patrick Tambay est à nouveau munie d'une caméra embarquée Thomson. Sur ce tracé urbain original, les pilotes hésitent entre une configuration aérodynamique type « circuits rapides » ou « type Monaco ». Le dernier choix est le meilleur, car si les Williams-Honda frôlent les 310 km/h en ligne droite, la moyenne de la pole n'est que de 170 km/h. Les portions sinueuses sont plus lentes que ce qu'avaient prévu les organisateurs.
Les qualifications
Une séance d'essais libres est organisée le jeudi après-midi pour permettre aux pilotes de se familiariser avec la nouvelle piste. Ceux-ci redoublent d'habileté car l'asphalte est aussi glissant que s'il était verglacé.
Senna s'adjuge sa septième pole position de la saison après un tour absolument extraordinaire (1'19''843'''), laissant Mansell à sept dixièmes ! Rosberg se repent d'avoir chaussé des pneus Goodyear E ultra-tendres moins efficaces que les C choisis par Mansell. Il est certes troisième mais concède deux secondes pleines à Senna. Un de Angelis démotivé est relégué au dixième rang, à plus de trois secondes de Senna. Prost est en petite forme à cause de maux de ventre et effectue plusieurs tête-à-queue. Il décroche tout de même la quatrième place. Victimes de pannes électriques, Lauda ne se classe que seizième au volant du mulet. Les améliorations effectuées sur les turbos KKK par Ferrari portent leurs fruits puisqu'Alboreto obtient une belle cinquième place. En revanche Johansson (15ème) se plaint d'un manque de motricité. Les Brabham-BMW glissent aussi beaucoup. Surprise: Surer (6ème) s'en sort mieux que Piquet (9ème). Les pilotes Arrows sont accablés de pannes en tout genre, mais Berger se classe tout de même septième et Boutsen onzième. Les Alfa Romeo de Patrese (13ème) et de Cheever (14ème) se comportent plutôt bien sur ce type de tracé, comme on l'a vu à Monaco, mais leur V8 manque de souffle...
Les Tyrrell-Renault sont comme bien d'autres confrontées à des problèmes de motricité. Malgré un sévère accident samedi, Brundle se qualifie au 17ème rang, cinq places devant Capelli qui s'est encore faire remarquer par sa maladresse, démolissant sa voiture jeudi contre un muret. Les pilotes Ligier (Streiff 18ème, Laffite 20ème) ne parviennent ni à équilibrer leurs châssis ni à faire chauffer leurs pneus. Ils encerclent un Jones très généreux devant son public pour compenser la tenue de route pitoyable de sa Lola-Hart. Les Toleman (Ghinzani 21ème, Fabi 24ème) connaissent des qualifications désastreuses à cause de pannes de moteurs et de pneus mal exploités, et végètent au milieu des Martini (23ème) et des Rothengatter (25ème).
Le Grand Prix
Les tribunes sont pleines à craquer sous un chaud soleil. Ce GP d'Australie est décidément une réussite complète. Deux courses de voitures historiques sont programmées en ouverture de la journée. De nombreuses vedettes visitent le paddock comme Denny Hulme, le motard Barry Sheene, ou les ex-Beatles George Harrison et Ringo Starr. Presque tous les pilotes partent en pneus tendres et prévoient de s'arrêter au cours de l'épreuve.
Tour de formation: De Angelis reste un temps inerte suite à un problème de moteur. Il parvient toutefois à démarrer et rattrape le peloton. Il dépasse alors ses adversaires pour reprendre sa position sur la grille, ce qui est interdit par le règlement...
Départ: Mansell prend le dessus sur Senna et aborde la première chicane en tête devant le Brésilien. Suivent Rosberg, Alboreto et Prost. Jones a calé et doit être poussé par les commissaires pour démarrer.
1er tour: Senna fait l'intérieur à Mansell dans le très étroit virage n°5 qui mène sur Flinders Street. Mais il n'y a manifestement pas la place pour passer. La Lotus harponne la Williams et l'envoie sur le bas-côté. Senna reprend la piste derrière Rosberg, tandis que Mansell retrouve au bout de quelques secondes sa place dans le peloton. En fin de tour, Rosberg mène devant Senna, Alboreto, Prost, Berger, Surer, Tambay, de Angelis, Piquet et Cheever. Mansell arrive chez Williams pour faire examiner sa machine et repart.
2e: Rosberg et Senna s'échappent. Le Finlandais a choisi de monter des freins en fonte qui selon lui tiendront plus longtemps que les freins en carbone de son adversaire. Mansell met pied à terre car son différentiel est endommagé. Il est très en colère contre Senna et quitte aussitôt l'Australie.
3e: Suite à une rupture de faisceau électrique, Brundle roule très lentement avec un moteur pétaradant. Il regagne les stands clopin-clopant.
4e: Senna menace Rosberg tandis que Prost se montre dans les rétroviseurs d'Alboreto.
5e: Martini commet une erreur et atterrit dans un bac à graviers. Les commissaires refusent de le pousser mais l'Italien insiste...
6e: Le duo Rosberg - Senna a deux secondes d'avance sur un peloton emmené par Alboreto, Prost, Berger et Surer. De Angelis prend la septième place à Tambay. Jones effectue une splendide remontée et pointe déjà au 17ème rang. Cheever renonce suite à une panne de moteur.
7e: Berger s'empare de la quatrième place aux dépens de Prost. Brundle a enfin regagné le stand Tyrrell. Laffite s'arrête chez Ligier pour faire remplacer un pneu qui tournait sur la jante et causait ainsi de terribles vibrations. Le Français redémarre au bout d'une minute en vingt-et-unième position. Après un coup de fil donné à la direction de course, les commissaires acceptent d'aider Martini à reprendre la route.
8e: Senna est collé derrière Rosberg mais son V6 Renault ne peut rivaliser avec le Honda à l'accélération. L'étonnant Berger menace désormais Alboreto.
9e: Piquet dépasse Tambay. Les pneus sont soumis à rude épreuve et déjà plusieurs pilotes constatent d'importantes dégradations.
10e: Berger a perdu toute adhérence sur son véhicule et stoppe chez Arrows pour chausser des pneus neufs. Rosberg précède Senna (1.1s.), Alboreto (9.6s.), Prost (10.1s.), Surer (12.2s.), de Angelis (12.6s.), Tambay (16.7s.), Piquet (17.9s.), Boutsen (19.4s.), Warwick (23.3s.), Lauda (26.2s.), Johansson (27s.) et Jones (32s.).
12e: Senna ralentit pour ménager ses pneus et concède maintenant trois secondes à Rosberg. Alboreto s'arrête chez Ferrari pour mettre des gommes neuves. Il repart en onzième position. Tambay et Fabi prennent aussi de nouveaux pneus. Surer menace Prost.
13e: Boutsen arrive aux stands pour changer ses pneus.
14e: Quatre secondes entre Rosberg et Senna. Changement de gommes pour Warwick.
15e: Piquet immobilise précipitamment sa Brabham en flammes sur le bas-côté. Un court-circuit a mis le feu à sa batterie, et comme celle-ci est située sous les jambes du conducteur...
16e: Rosberg est en tête devant Senna (4.3s.), Prost (14.5s.), Surer (15.4s.), de Angelis (21s.), Lauda (33.3s.), Jones (42s.) et Alboreto (50s.).
17e: De Angelis reçoit le drapeau noir pour avoir doublé des concurrents au cours du tour d'installation. Le Romain se demande pourquoi il a fallu attendre vingt minutes pour le disqualifier... Tambay prend la neuvième place à Streiff.
18e: Surer prend la troisième place à Prost. Changement de gommes pour Ghinzani.
19e: De Angelis regagne le stand Lotus pour se plier à la décision des commissaires. Jones rattrapait Lauda lorsqu'il est rappelé par le stand Beatrice pour résoudre un problème électrique. Il redémarre une minute plus tard.
20e: Rosberg devance Senna (9.2s.), Surer (18s.), Prost (18.5s.), Lauda (37s.), Alboreto (48.7s.), Tambay (51s.), Streiff (52.1s.), Boutsen (57.9s.), Capelli (1m. 12s.), Warwick (1m. 17s.) et Berger (1m. 19s.). Patrese change ses pneus.
21e: Tambay renonce suite à une rupture de couple conique.
23e: Prost reste derrière Surer et paraît en mesure de lui reprendre la troisième place. Jones et Ghinzani repassent par les stands.
24e: Jones revient définitivement à son garage pour renoncer avec un allumage hors d'usage. Il n'inscrira pas de point à domicile.
25e: Dix secondes séparent Rosberg et Senna. Prost reprend l'avantage sur Surer pendant que Warwick se défait de Capelli.
26e: Laffite est onzième après avoir doublé Johansson puis Berger.
27e: De la fumée s'échappe de la McLaren de Prost. Sa wastegate s'est grippée, entraînant la rupture d'un turbo. C'est la première fois cette saison que Prost abandonne suite à une défaillance technique.
29e: Constatant qu'il a retrouvé de l'adhérence, Senna se déchaîne et gagne une seconde par tour sur Rosberg. Ghinzani renonce avec un embrayage cassé. Il n'aura fini aucune de ses courses chez Toleman.
30e: Rosberg est en tête devant Senna (5.5s.), Surer (30s.), Lauda (43.4s.), Alboreto (1m. 06s.), Streiff (1m. 13s.), Boutsen (1m. 24s.), Warwick (1m. 25s.), Capelli (-1t.) et Laffite (-1t.).
32e: Senna fait bondir et rebondir sa Lotus contre les trottoirs. Ses stupéfiants réflexes le sauvent plusieurs fois de la catastrophe. Il n'a plus que trois secondes de retard sur Rosberg.
33e: Senna est revenu à une seconde et demie de Rosberg. Il dérape dans la poussière en voulant prendre un tour à Warwick mais se rattrape de justesse. Surer est à vingt-huit secondes des deux leaders. Warwick s'empare de la septième place aux dépens de Boutsen.
34e: Dans la courbe qui mène à Brabham Straight, Senna part en glissade, escalade le vibreur, se met à l'équerre... et se sauve superbement sans avoir levé le pied ! Une alerte très chaude pour le jeune Brésilien qui a toutefois accroché un sac en plastique à un de ses pontons. Boutsen effectue un second changement de pneus et perd deux places aux profits de Capelli et de Laffite.
35e: Senna n'est absolument pas calmé par son excursion hors-piste puisqu'il bat le record du tour.
37e: Senna est à trois secondes Rosberg. Laffite double Capelli. Boutsen change une troisième fois de pneus. Brundle redémarre avec une trentaine de tours de retard...
39e: Senna est de retour dans les roues de Rosberg. Bien plus loin, Lauda remonte peu à peu sur Surer. Suite à une rupture de canalisation d'huile, l'Arrows de Boutsen exécute une effrayante glissade et se fracasse contre un muret de béton. Une épaisse fumée recouvre les lieux de l'accident, mais le Belge est heureusement indemne.
40e: Rosberg domine devant Senna (0.3s.), Surer (40s.), Lauda (47.7s.), Alboreto (-1t.), Streiff (-1t.), Warwick (-1t.), Laffite (-1t.), Capelli (-1t.), Berger (-1t.) et Johansson (-1t.). Rosberg a pris un tour à Alboreto. Senna tente de s'infiltrer par l'intérieur du premier virage pour doubler l'Italien, mais celui-ci lui ferme la porte. Alboreto s'écarte un peu plus loin.
41e: Senna est collé derrière Rosberg. En fin de parcours, le Finlandais décide de changer ses pneus et braque pour entrer aux stands. Top proche de son rival, Senna perd son volet avant-gauche contre l'aileron arrière de la Williams. Le voici leader, mais en fort mauvaise posture. Rosberg redémarre en deuxième position.
42e: Senna refuse d'entrer aux stands malgré son aileron cassé. Mal lui en prend: dans la dernière épingle, il part en sous-virage et glisse dans le gazon. Pas démonté, Ayrton contourne le virage façon auto-cross et retrouve la piste sans avoir perdu le commandement ! Changement de pneus pour Streiff.
43e: Surer est victime d'une crevaison à l'avant-gauche. Il regagne les stands mais son moteur cale. Incapable de redémarrer, le Suisse est contraint à l'abandon. Senna a perdu son aileron avant et voit Rosberg fondre sur lui à vitesse grand V. Le Finlandais le dépasse non sans mal avant l'ultime épingle. Le Pauliste regagne son stand. Fabi renonce sur rupture de son quatre cylindres.
44e: Rosberg est désormais leader avec une trentaine de secondes d'avance sur Lauda qui a su préserver ses pneus. Senna change ses Goodyear et reçoit un nouveau museau. Il redémarre après vingt-cinq secondes d'immobilisation en troisième position. Patrese abandonne suite à une panne d'échappement.
45e: Rosberg est en tête devant Lauda (30s.), Senna (35s.), Alboreto (1m. 14s.), Warwick (-1t.), Laffite (-1t.), Streiff (-1t.), Berger (-1t.) et Johansson (-1t.).
47e: Gêné par Streiff en lui prenant un tour, Lauda voit Senna dans ses rétroviseurs. Laffite est sur les talons de Warwick.
49e: Senna est dans les roues de Lauda qui n'a toujours pas changé de pneus. L'Autrichien espère aller ainsi au bout et n'a pas l'intention de croiser le fer avec le galopin brésilien.
50e: Senna déborde Lauda dans Brabham Straight. Plus loin, Laffite prend la cinquième place à Warwick.
52e: Rosberg a vingt-six secondes de marge sur Senna. Mais le Scandinave n'amuse pas le terrain et a déjà usé son deuxième train de pneus... Face à ces deux fous furieux, Lauda toutes ses chances avant le sprint final !
53e: Rosberg arrive chez Williams pour chausser un troisième jeu de Goodyear. L'écrou de sa roue avant-gauche est grippé et il perd trente secondes dans cette opération. Senna retrouve le commandement mais ses propres pneus sont abîmés et ses freins faiblissent. Lauda devient menaçant.
54e: Lauda est dans la roue de Senna mais doit être prudent car il a lui-même des soucis de freins. Il est contraint de beaucoup « pomper ». Streiff passe devant Capelli qui fait une course « non-stop ».
55e: Senna est en tête devant Lauda (0.3s.), Rosberg (11s.), Alboreto (32s.), Laffite (1m. 08s.), Streiff (-1t.), Capelli (-1t.), Berger (-1t.) et Johansson (-2t.).
56e: Lauda déborde Senna dans la longue pleine charge et s'impose à l'épingle. Le voici en passe de remporter son dernier Grand Prix !
57e: Lauda sème facilement Senna. Rosberg réalise le meilleur tour de la course: 1'23''758'''.
58e: Les freins de Lauda ne répondent plus au bout de Brabham Straight. La McLaren se met à l'équerre et brise sa suspension avant-gauche contre le béton. Lauda sort de son habitacle sous les applaudissements de la foule qui salue le départ de cet immense champion. Autre moment émouvant: Warwick stoppe avec une boîte de vitesses bloquée. Ainsi s'achève l'histoire de l'écurie Renault-Elf.
59e: Senna retrouve le commandement mais n'a plus que cinq secondes d'avance sur Rosberg.
60e: Senna précède Rosberg (3.3s.), Alboreto (34.8s.), Laffite (1m. 12s.), Streiff (-1t.), Capelli (-1t.), Berger (-1t.) et Johansson (-2t.).
62e: La Lotus de Senna laisse échapper une fumée bleue. Le V6 Renault expire et Senna regagne son stand. Rosberg reprend la tête. La course est également terminée pour Alboreto dont le levier de vitesses vient de se détacher... Cela signifie que McLaren remporte le championnat du monde des constructeurs.
63e: Rosberg roule maintenant vers la victoire. Il a plus d'une minute d'avance sur les Ligier de Laffite et de Streiff.
65e: Senna repart pour un tour inutile avant de rentrer pour de bon à son garage. En fin de tour Rosberg passe chez Williams pour changer une troisième fois de gommes. Il espère ainsi vivre une paisible fin de course.
66e: Rosberg précède Laffite (46s.), Streiff (1m. 10s.), Capelli (1m. 26s.), Berger (-1t.) et Johansson (-1t.),
68e: Streiff se lance à la poursuite de son équipier Laffite et lui reprend plusieurs secondes à chaque boucle.
70e: A douze tours du but, Rosberg devance Laffite (42s.), Streiff (58.2s.), Capelli (1m. 23s.), Berger (-1t.), Johansson (-1t.), Rothengatter (-4t.), Martini (-4t.) et Brundle (-31t.).
72e: Johansson menace Berger pour le gain de la cinquième place. Pendant ce temps-là, Niki Lauda dit adieu à l'équipe McLaren et s'envole pour Ibiza.
74e: Streiff se rapproche de Laffite mais, ayant mal lu les panneaux brandis par son stand, il ignore que celui-ci est devant lui au classement. Le jeune Isérois se croit second.
75e: Rosberg devance Laffite (33s.), Streiff (47s.), Capelli (1m. 22s.), Berger (-1t.) et Johansson (-1t.).
77e: Berger manque le freinage de l'épingle et se fait doubler par Johansson. Puis, à cause d'une roue encrassée, il part tout droit dans la poussière au virage n°13 et heurte une pile de pneus. Cependant son museau n'est que légèrement endommagé. Il parvient à faire marche arrière et à rejoindre la piste en sixième position.
78e: Rosberg prend un tour à Capelli. Streiff n'a plus que neuf secondes de retard sur Laffite.
80e: Tandis que Rosberg roule en toute quiétude vers le succès, Streiff revient sur les talons de Laffite, lequel tente de lui faire comprendre par signes qu'il ne doit pas chercher à l'attaquer.
81e: Streiff est dans les roues de Laffite. Il tente de lui faire l'extérieur au virage de Wakefield Street mais Jacques le tasse contre le vibreur. Laffite verrouille ensuite systématiquement les portes. Streiff s'énerve et tente témérairement de plonger à l'intérieur au bout de Brabham Straight. Laffite se rabat devant lui et c'est l'accrochage: Streiff plie sa suspension avant-gauche contre la roue arrière-droite de son équipier ! Il décide tout de même de poursuivre sa route cahin-caha.
82ème et dernier tour: Streiff se traîne jusqu'au drapeau à damiers avec une roue traînant au sol. Quant à Laffite, il peut continuer mais maudit son jeune équipier.
Keke Rosberg remporte son cinquième Grand Prix devant Laffite. Streiff parvient à rallier l'arrivée sur trois roues. Capelli décroche trois points, les premiers de l'association Tyrrell-Renault. Johansson termine cinquième, Berger sixième. Rothengatter et Martini sont à l'arrivée, tout comme Brundle qui affiche 33 tours de retard. Quatrième après deux heures de course, le néophyte Ivan Capelli n'avait jamais roulé aussi longtemps et s'évanouit peu après avoir franchi la ligne d'arrivée. Il est hospitalisé afin d'être réhydraté.
Après la course: McLaren championne, colères contre Streiff et Senna
Malgré les abandons de Prost et de Lauda, Marlboro-McLaren remporte pour la seconde fois consécutive le trophée des constructeurs. Ron Dennis, Jo Ramirez, John Barnard, Steve Nichols et toute l'équipe se congratulent chaleureusement. 1985 fut pour eux une saison beaucoup compliquée que 84, et déjà Williams-Honda apparaît comme un adversaire redoutable pour 1986. L'écurie de Didcot termine troisième du championnat ex æquo avec Lotus. Brabham-BMW est cinquième devant Ligier-Gitanes qui réussit à finir devant Renault-Elf... Enfin, Rosberg subtilise à Senna la troisième du classement des pilotes.
Pendant que Keke Rosberg narre avec sa concision habituelle sa « super course », Jacques Laffite hurle contre un Philippe Streiff tout penaud d'avoir commis une grave erreur d'appréciation. Heureusement, Laffite n'est point méchant et s'apaise sitôt monté sur le podium. Après tout, deux Ligier parmi les trois premiers, ce n'était plus survenu depuis 1980 ! « T'as fait une grosse connerie mon gars, mais t'as aussi fait une belle course ! » plaisante Jacquot en tapant dans le dos de son équipier. Celui-ci se cherche tout de même des excuses: « Je pense avoir mal lu les panneaux, prenant celui de Jacques pour le mien. Si j'avais su qu'il était second et moi troisième, je ne l'aurais pas attaqué. Mais je l'ai cru en difficulté. Par deux fois il m'a fait signe de ne pas passer. Mais j'ai compris l'inverse... » Streiff ne convainc pas Gérard Larrousse qui évoque la faute professionnelle. « En course, les pilotes se débranchent le cerveau... » soupire- celui-ci. Un avis sévère car si Streiff a « perdu les pédales », il est en règle générale tout sauf un casse-cou.
Ayrton Senna est également la cible des commentateurs après avoir mené un Grand Prix chaotique qui n'est pas sans évoquer les prouesses du regretté Gilles Villeneuve. Le Pauliste a oscillé entre le pur génie et la folie la plus complète. La terre, le sable, le gazon, les bordures... Il aura tout emprunté cet après-midi. Pour un résultat nul. En outre, il rejette la responsabilité de l'accrochage du 41ème tour sur Rosberg... Jackie Stewart et James Hunt le critiquent sévèrement. Mais le plus virulent est Nigel Mansell qui ne digère pas d'avoir été « mis au dehors » lors du premier tour: « Senna fut un idiot intégral d'agir ainsi au départ d'une course de 82 tours. Il est peut-être rapide, mais il est loin d'être un bon pilote... » Toujours perspicace, ce sacré Nigel...
L'acmé de l'ère du turbo
Le rideau se baisse sur cette fantastique saison 1985, l'une des plus disputées et des plus palpitantes de l'histoire de la Formule 1. Pendant neuf mois, spectateurs et téléspectateurs ont frémi devant le spectacle de ces effrayants bolides de plus de mille chevaux s'affrontant à plus de 300 km/h. Le moteur turbo est à son apogée, avec ses excès, sa démesure, ses dangers, mais aussi l'incroyable exaltation qu'il suscite. Le public s'enthousiasme pour les passes d'armes de ces gladiateurs modernes que sont Alain Prost, « le professeur », Keke Rosberg, le « Finlandais volant », Michele Alboreto, le discret Italien, Niki Lauda, le froid « ordinateur », Nelson Piquet, le rusé Latino, Elio de Angelis, l'élégant aristocrate, Ayrton Senna, le mystérieux prodige, ou encore Nigel Mansell, le fier-à-bras de l'Île de Man. Certes, les puristes regrettent le romantisme et l'esprit chevaleresque d'autrefois, valeurs qui n'ont plus cours à l'heure du fric roi, de la globalisation économique et de la télévision omniprésente, tout ce qui forge le grand « Formula One Circus » dont le Monsieur Loyal est l'inévitable Bernie Ecclestone.
Tony