Le vétuste circuit de Mosport ayant été définitivement abandonné, le Grand Prix du Canada a désormais lieu à Montréal, sur l'île Notre-Dame, au milieu du Saint-Laurent. Cette île artificielle a été créée en 1967 à l'occasion de l'Exposition universelle. Le nouveau tracé est une succession de virages serrés et de courtes lignes droites. Freins, boîtes de vitesses et suspensions seront soumis à rude épreuve. Les murs sont proches de la piste, ce qui lui donne un caractère semi-urbain. Ce projet a été porté par le maire de Montréal Jean Drapeau qui obtient un beau succès deux ans après l'organisation des Jeux Olympiques dans sa ville.
Le circuit est diversement apprécié par les pilotes. Mario Andretti est très critique et le qualifie de « circuit Mickey Mouse ». En tout cas le public venu en masse n'a d'yeux que pour son idole Gilles Villeneuve dont il souhaite la victoire. Assuré de sa place chez Ferrari en 1979, le Québécois gagne en confiance et se place de plus en plus souvent aux avant-postes.
Brabham-Alfa Romeo aligne une troisième BT46 confiée au Brésilien Nelson Piquet qui sera le deuxième pilote de l'équipe en 1979.
Ensign n'engage qu'une seule voiture pour cette course, celle de Derek Daly, Mo Nunn ayant décidé de ne pas poursuivre l'aventure avec Brett Lunger. Bobby Rahal est toujours au volant d'une deuxième Wolf, mais devra se contenter de la vieille WR01, disparue depuis le GP de Belgique. Enfin, après sa course de suspension, Riccardo Patrese fait son retour dans le paddock, sous l'œil suspicieux de la plupart de ses collègues. L'Italien est très mal à l'aise et il lui faudra des mois, voire des années, pour surmonter ce terrible affront.
Enfin ce Grand Prix est le dernier pour le moteur V12 Matra. Jean-Luc Lagardère a décidé de retirer une deuxième fois sa marque du sport automobile. Cette dernière année de l'association Ligier-Matra a été terne. Si le douze cylindres s'est montré plus fiable que par le passé, la voiture n'était pas à la hauteur des espérances.
Cet ultime Grand Prix n'a plus guère d'enjeux. En cas de victoire, Niki Lauda ou Carlos Reutemann peuvent subtiliser le titre de vice-champion du monde au défunt Ronnie Peterson. Chez les constructeurs, Brabham-Alfa Romeo doit défendre sa deuxième place face à Ferrari. Quatre points seulement séparent les deux équipes.
Les qualifications
La météo n'est pas clémente pour ce week-end d'octobre. Le vendredi, les essais se déroulent sous une pluie fraîche, ce qui permet aux Ferrari, dont les pneus Michelin sont excellents dans ces conditions délicates, de réaliser les meilleurs temps.
Si le samedi la piste est sèche, la hiérarchie est assez surprenante. Certes une Lotus 79 est en pole position, mais c'est celle de Jarier qui ne cesse d'étonner Colin Chapman. Il devance d'un centième de seconde Scheckter qui obtient sa meilleure qualification de l'année. Villeneuve est troisième mais est déçu car il espérait obtenir la pole. Il devance Watson, Jones et Fittipaldi. En quatrième ligne on retrouve Lauda et l'étonnant Stuck. Il faut attendre la neuvième place pour trouver le champion du monde Andretti qui se débat avec une Lotus mal réglée. Il est devant Laffite et Reutemann. Sur la troisième Brabham Piquet est quatorzième. Les McLaren coulent à pic: Tambay est 17ème et Hunt 19ème. Le Français s'est accroché avec Rebaque tandis que l'Anglais a cassé un moteur et a dû prendre son mulet.
Jabouille n'est pas du tout content de son turbo dont le temps de réponse est trop long. Il se qualifie in extremis au 22ème et dernier rang.
La grille de départ étant réduite, il y a six non-qualifiés: Regazzoni, Gabbiani, Stommelen, Merzario, Rebaque et Bleekemolen.
Le Grand Prix
Le dimanche 8 octobre, le temps est couvert et très frais. Mais tout Montréal est là pour applaudir Gilles Villeneuve. Le Premier ministre canadien Pierre-Elliott Trudeau a fait le déplacement. Il est accompagné dans la tribune officielle par la pilote française Marie-Claude Beaumont.
Départ: Jarier conserve l'avantage de sa pole devant Scheckter. Jones prend un excellent envol et pointe au troisième rang devant Villeneuve et Watson.
1er tour: Dans le deuxième S, Scheckter fait un écart et Jones en profite pour lui subtiliser la deuxième place. A l'arrière, Stuck part en tête-à-queue et est heurté par Fittipaldi. Les deux hommes vont devoir abandonner, tandis que Laffite passe par le gazon pour éviter les deux voitures.
Jarier mène avec déjà quatre secondes sur Jones. Scheckter est troisième puis viennent Villeneuve, Watson, Andretti, Depailler, Lauda, Reutemann et Daly.
2e: Jarier s'échappe en tête, tandis qu'Andretti menace Watson. Stuck est rentré à son garage pour abandonner. Laffite entre aux stands pour faire vérifier sa voiture. Arnoux est quant à lui à son stand à cause d'un souci de suspension. Il pourra repartir en dernière position.
3e: Jarier compte six secondes d'avance sur Jones.
5e: Jones commence à subir la pression de Scheckter et de Villeneuve.
6e: Andretti attaque Watson mais loupe sa manœuvre: les deux voitures partent en tête-à-queue. Andretti et Watson parviennent toutefois à repartir, respectivement en dix-septième et dix-huitième position. Peu après, Lauda ralentit et va devoir abandonner à cause d'un problème de freins. Triste fin de saison pour l'Autrichien.
8e: Jones, Scheckter et Villeneuve roulent désormais en peloton. Depailler est cinquième devant Reutemann, puis viennent Daly, Piquet, Tambay et Patrese.
10e: Jarier mène avec douze secondes d'avance sur Jones. Rien ne semble pouvoir arrêter le pilote français. Watson est victime d'une sortie de route et tape légèrement le mur. Ainsi s'achève sa collaboration avec Brabham.
11e: Alors onzième, Rahal s'arrête aux stands pour changer de pneus.
12e: Scheckter est de plus en plus pressant derrière Jones. Laffite s'arrête chez Ligier pour changer un pneu.
14e: Jarier a désormais en point de mire Andretti, relégué à presque un tour et naviguant en quinzième position.
15e: Andretti concède un tour au leader. En difficulté, Tambay perd deux places aux profits de Patrese et de Pironi.
17e: Rahal est de retour au stand Wolf et cette fois-ci ne repartira pas à cause d'un souci d'alimentation.
18e: Scheckter attaque Jones et parvient à le dépasser. Voici le Sud-Africain deuxième.
19e: Villeneuve vient à son tour à bout de Jones, en difficulté avec ses pneumatiques.
20e: Jarier compte seize secondes d'avance sur Scheckter et dix-huit secondes sur Villeneuve. Depailler s'arrête à son stand pour changer de pneus. Il repart en treizième position. En difficulté, Piquet se fait doubler par Rosberg, Pironi et Tambay.
22e: Villeneuve se rapproche dangereusement de Scheckter. Patrese prend la sixième place à Daly. Rosberg est sur les talons de l'Irlandais.
24e: Toujours très rapide, Jarier bat le temps record du circuit.
25e: Avant la chicane précédant Casino, Villeneuve attaque Scheckter, qui ferme la porte au nez du Québécois. Mais celui-ci garde la tête froide, se place dans les échappements de la Wolf et la déborde à l'épingle. Le public exulte.
26e: Rosberg prend la septième place à Daly.
27e: Reutemann double un Jones dont les pneus sont presque détruits. Rosberg est au ralenti car une rotule de commande d'injection s'est détachée sur son ATS. Il regagne son stand.
28e: Jarier mène devant Villeneuve (24s.), Scheckter (27s.), Reutemann (42s.) et Jones (45s.). Patrese est sixième juste derrière l'Australien. Puis viennent Daly, Pironi, Tambay et Depailler.
29e: Jones ne résiste pas à Patrese et chute ainsi au sixième rang.
30e : Villeneuve augmente son avance sur Scheckter qui n'est pas en mesure de suivre la Ferrari.
33e: Jones s'arrête enfin à son stand pour changer de gommes. Il repart en douzième position.
35e: A la mi-course, Jarier mène avec 28 secondes d'avance sur Villeneuve. Scheckter est relégué à plus de trente secondes. Puis viennent Reutemann, Patrese, Daly, Pironi, Tambay, Depailler et Hunt.
37e: Depailler prend la huitième place à Tambay.
38e : Jabouille s'arrête chez Renault pour faire purger ses freins. Il naviguait en quatorzième position.
40e: Arnoux s'arrête dans l'herbe à cause d'un souci de pression d'huile. Rosberg a repris la piste après un quart d'heure d'immobilisation.
42e: Jarier compte toujours une trentaine de secondes d'avance sur Villeneuve qui semble devoir se contenter de la deuxième place. Une rude bagarre oppose Daly à Pironi pour la sixième place.
44e: Depailler est l'un des pilotes les plus rapides et il remonte sur le duo Daly-Pironi.
45e : Vingt-cinq secondes séparent Jarier et Villeneuve.
47e: Depailler dépasse Pironi et se lance à la poursuite de Daly.
48e: Depailler prend la sixième place à Daly.
50e: Tandis qu'il vient de doubler Tambay et Laffite, Jarier ralentit soudainement à l'abord de l'épingle du Casino. Une fuite d'huile se déclare sur la Lotus. Le Français revient à son stand où il ne peut que renoncer: l'huile des freins a englué un disque. C'est une immense déception pour lui car sa première victoire semblait acquise.
51e: Une grande clameur s'élève des tribunes: Villeneuve est désormais leader et, avec près de dix secondes d'avance sur Scheckter, seul un pépin mécanique pourrait lui enlever la victoire.
52e : Villeneuve mène devant Scheckter (31.5s.), Reutemann (46.3s.), Patrese (57.4s.) et Depailler (1m. 07s.). Suivent Daly, Pironi et Tambay. Andretti et Jones se battent pour la neuvième place.
53e: Sortie de route pour Hunt dont la McLaren atterrit dans la boue. C'est la fin d'une saison calamiteuse pour le champion du monde 1976.
55e: Après un Grand Prix catastrophique, Laffite renonce suite à une panne de boîte de vitesses.
57e: Jones s'impose face à Andretti.
60e: Les derniers tours de la course sont très calmes, du moins sur la piste, car dans les tribunes le public est survolté par la perspective de la victoire de Villeneuve.
63e: Trente secondes d'écart entre Villeneuve et Scheckter.
65e: Toutes les premières places sont désormais figées, bien que Depailler ne soit qu'à quelques secondes de Patrese. Derrière lui, Daly est parvenu à semer Pironi.
68e: Grâce à ses pneus plus frais que ceux de ses adversaires, Jones est le pilote le plus rapide de cette fin de course. Il convoite la huitième place de Tambay.
70ème et dernier tour: Tandis que les tribunes sont en fête, Gilles Villeneuve franchit la ligne d'arrivée en vainqueur. Il gagne son premier Grand Prix de Formule 1 devant son public. Scheckter conclut une saison moyenne par une belle deuxième place. Reutemann est troisième pour son dernier Grand Prix avec Ferrari. Patrese est quatrième et prend ainsi une belle revanche sur ses pairs qui l'ont mis à l'index après le GP d'Italie. Depailler finit cinquième et devance Daly, lequel inscrit le premier point de sa carrière et le seul de la saison pour Ensign. Sont aussi à l'arrivée Pironi, Tambay, Jones (qui a signé le meilleur tour en course dans la dernière boucle: 1'38''072), le champion du monde Andretti, Piquet et Jabouille. Rosberg termine non-classé.
Après la course
Fidèle à la tradition de la Formule Atlantic, Villeneuve réalise le tour d'honneur en brandissant le drapeau à damiers. La cérémonie du podium est magnifique. Les spectateurs s'agglutinent autour du podium en scandant le nom de Gilles. Celui-ci est embrassé par son épouse Joann, en pleurs. Le Premier ministre Pierre-Elliott Trudeau et le maire Jean Drapeau félicitent le champion. Lequel semble à la fois ravi et épuisé par sa course.
Ce succès de Ferrari permet à la Scuderia de souffler la deuxième place du championnat du monde des constructeurs à Brabham. Avec cinq victoires cette saison, l'équipe italienne a sauvé l'honneur face à la domination des Lotus 79. Marco Piccinini a remis de l'ordre dans une équipe en proie à l'anarchie au cours des deux années précédentes. De plus la collaboration avec Michelin s'annonce fructueuse. Pierre Dupasquier est très fier : son entreprise l'a emporté lors trois épreuves nord-américaines du championnat 1978, sur les terres de Goodyear. Son objectif pour 1979 est de remporter le titre mondial. La guerre des pneus n'en est qu'à ses débuts...
En revanche, dans le stand Lotus, un homme est effondré. Jean-Pierre Jarier tenait une occasion unique de remporter son premier Grand Prix. Il était véritablement seul au monde, jusqu'à cette stupide fuite d'huile... Le journaliste Renaud de Laborderie résumé parfaitement son désarroi : « En deux courses, à Watkins-Glen et à Montréal, il a vécu un raccourci saisissant de son destin de pilote. Il a frôlé le succès, pour mieux être accablé par la suite. » La tristesse de Jarier contraste avec l'indifférence de Mario Andretti. Depuis la mort de Peterson et l'assurance de son succès au championnat, le champion du monde a un peu l'esprit ailleurs...
La troisième position de Reutemann ne permet pas à celui-ci d'obtenir le titre de vice-champion du monde, qui revient donc au regretté Ronnie Peterson.
Jean-Marie Balestre élu président de la C.S.I.
Le 10 octobre 1978 la Commission sportive internationale se réunit à Paris pour élire son nouveau président. Le président de la FFSA Jean-Marie Balestre est élu avec 29 voix contre 11 à l'Américain Tom Bendford, président du Comité du sport automobile des États-Unis. Balestre, 57 ans, est un ancien journaliste sportif, militant de gauche avant la Seconde Guerre Mondiale. Pendant le conflit, il s'engagea en faveur de Collaboration et intégra même la SS française en 1943, avant d'être arrêté par la Gestapo et déporté en Allemagne en 1944. On ne saura jamais s'il était un agent double au service de la Résistance ou un simple tripatouilleur... Toujours est-il que devenu dirigeant sportif, il s'est fait remarquer par son autoritarisme mais aussi par son souci d'améliorer la sécurité des pilotes.
Pierre Ugeux laisse une CSI décrédibilisée par son impuissance à s'opposer à la FOCA qui s'est emparée du pouvoir économique sur la Formule 1. La mission de Balestre est simple : restaurer toute l'autorité du pouvoir sportif, notamment en renégociant le partage des bénéfices de la Formule 1 imposé par Bernie Ecclestone, quitte à entrer en conflit avec ce dernier. Pour cela Balestre reçoit carte blanche du président de la FIA Paul von Metternich. Désormais indépendante financièrement et politiquement, la CSI se transforme en Fédération Internationale du Sport Automobile (FISA). Loin des vieux aristocrates de la FIA, Balestre s'entoure de conseillers compétents, capables de discuter des questions économiques, commerciales et techniques avec la FOCA. Le bras de fer commence...
Mort de Gunnar Nilsson
L'année 1978 s'achève dans la tristesse. Le 20 octobre le cancer terrasse l'ancien pilote Lotus Gunnar Nilsson, âgé de seulement 29 ans. Grand espoir du sport automobile, vainqueur du GP de Belgique en 77, le jeune Suédois est fauché en pleine ascension. Après sa mort, sa mère Élisabeth fonde avec l'appui de Colin Chapman une association de lutte contre le cancer. Nilsson est inhumé à Helsingborg.
Après la mort de Ronnie Peterson, le sport automobile suédois a perdu en l'espace de six semaines ses deux champions. La passion pour la Formule 1 va logiquement chuter dans ce pays et le Grand Prix de Suède 1979 est annulé quelques semaines plus tard.
Tony