Le Grand Prix d'Allemagne se déroule sur le plus en plus contesté circuit du Nürburgring, réputé obsolète et trop dangereux pour la course automobile moderne. Pourtant, sous l'impulsion de Jackie Stewart, des efforts ont été produits par les organisateurs pour renforcer la sécurité et moderniser le vieux circuit. Le secteur du départ a été ainsi ré-asphalté. Sur la majeure partie du circuit, des barrières ARMCO en acier remplacent les buissons servant de « protections » tandis que des dégagements sablonnés ont été créés pour encadrer les lignes droites.
La course au titre mondial est des plus intéressantes puisque quatre pilotes se tiennent en deux points. Emerson Fittipaldi est en tête avec 37 points. Sa McLaren M23 est performante et fiable, mais n'est pas du niveau des Ferrari. Le Brésilien compte surtout sur sa parfaite régularité pour être titré. Chez Ferrari, Niki Lauda est incontestablement le pilote le plus rapide mais il a souffert de beaucoup de pépins mécaniques. Ainsi il se retrouve presque à égalité avec son équipier Clay Regazzoni qui n'a certes toujours pas gagné cette saison mais a fini huit courses sur dix dans les points. Ce qui n'est pas un mince exploit, Regazzoni n'étant pas à proprement parler réputé pour être un métronome... Enfin, quatrième larron, Jody Scheckter dont la Tyrrell 007 est très fiable et régulière. Mais plus que sa voiture, c'est le jeune Sud-Africain qui étonne. Réputé autrefois pour être un pilote dangereux faisant le bonheur des carrossiers, il est devenu très sage et reste ainsi sur neuf arrivées consécutives.
Des changements ont encore eu lieu dans le paddock. Chez Lotus, Colin Chapman décide de ressortir sa 76 revue et corrigée et la confie à Ronnie Peterson, Jacky Ickx se contentant de la plus sûre 72E. Chris Amon fait son retour au volant de sa propre monoplace. Hélas pour lui, il tombe malade et confie sa voiture au jeune pilote australien de F3 Larry Perkins. Chez Surtees, Derek Bell est de nouveau associé à Jochen Mass.
Frank Williams s'est encore trouvé un nouveau pilote pour sa deuxième Iso. Il s'agit du pilote français Jacques Laffite, 30 ans, révélation du championnat de Formule 2. La Maki de Howden Ganley tente de nouveau sa chance, de même que la Token, confiée cette fois à l'écurie Chequered Flag. C'est Ian Ashley, grand animateur des pelotons de Formule Ford, qui a l'honneur de la conduire.
Les qualifications
Malgré toutes les précautions prises en matière de sécurité, les essais sont encore marqués par un sérieux accident. Ganley détruit la Maki à Hatzenbach et se blesse sérieusement aux chevilles. Peterson est aussi victime d'un gros crash, dû à une rupture de suspension, mais il s'en tire sans dommage.
Lors des séances non-officielles, Lauda est devenu le premier pilote à conclure un tour en moins de sept minutes. Il ne renouvelle pas cet exploit lors des qualifications mais réalise tout de même la pole position, sa quatrième de rang, en sept minutes et huit dixièmes. Son équipier Regazzoni l'accompagne en première ligne. Leurs rivaux Fittipaldi et Scheckter se partagent la deuxième ligne. Depailler est cinquième devant Reutemann, Hulme et Peterson. En cinquième ligne on retrouve Ickx et Mass, régional de l'étape. L'autre Allemand Stuck est seulement vingtième. A noter les performances décevantes de Hailwood (douzième) et Hunt (treizième). Les BRM sont toujours aussi peu véloces. Beltoise est 15ème, Pescarolo 24ème et Migault... non qualifié ! Laffite est 21ème pour son premier Grand Prix. Bell et Ashley arrachent leurs qualifications.
Migault, Schenken, Edwards, Perkins, Amon et le malheureux Ganley sont éliminés.
Le Grand Prix
Le dimanche 4 août, un ciel menaçant recouvre l'Eifel. Sur la grille de départ Jackie Stewart et le prince de Metternich, président du CSI, donnent les consignes de sécurité aux pilotes.
Départ: Lauda démarre assez mal et se fait doubler par Regazzoni et Scheckter qui virent en tête au premier virage.
Reutemann est quatrième et précède Mass qui après un bon envol a doublé Depailler.
Fittipaldi n'arrive pas à enclencher la première vitesse. Il lève le bras et se fait doubler par tour le peloton mais est heurté par son équipier Hulme. Le Néo-Zélandais n'ira pas plus loin tandis qu'Emmo parvient tout de même à démarrer.
1er tour: Énervé par son mauvais départ, Lauda tente de doubler Scheckter dès la Nordkehre. Il plonge à l'intérieur et se rabat aussitôt mais sa manœuvre est trop hardie: il escalade une roue de la Tyrrell et est expédié dans les protections. Lauda sort indemne de sa monoplace mais avouera avoir fait une « grosse connerie ». De son côté Scheckter poursuit sa route.
Regazzoni est en tête avec deux secondes d'avance sur Scheckter. Reutemann et l'étonnant Mass suivent les deux leaders. Viennent ensuite Peterson, Depailler, Ickx, Hailwood, Beltoise et Hunt. En fin de boucle, Fittipaldi s'arrête à son stand pour changer un pneu suite à une crevaison. Watson rentre quant à lui à son garage, ayant endommagé sa Brabham lors d'une excursion hors-piste.
2e: Regazzoni creuse l'écart en tête de l'épreuve tandis que Scheckter prend de l'avance sur Reutemann et Mass. Beltoise perd deux places face à Hunt et Merzario. McLaren a décidé de jouer au « ni-vu-ni-connu je t'embrouille » en renvoyant Hulme en piste... avec la voiture de réserve. Laffite regagne les stands à cause d'un bris de porte-moyeu. Le débutant français doit abandonner. Il était seizième.
3e: Regazzoni a une dizaine de secondes d'avance sur Scheckter et Reutemann qui se tiennent en deux secondes. Mass est relégué à vingt secondes, Peterson à vingt-cinq secondes. Ce dernier doit surveiller un groupe composé de Depailler, Ickx et Hailwood. Fittipaldi regagne son stand. Ses suspensions arrière ont trop souffert du choc avec Hulme et il doit renoncer. Pace est pour sa part au stand Brabham pour faire resserrer ses écrous de roue.
4e: L'écart se creuse entre Regazzoni d'une part, Scheckter et Reutemann d'autre part. Peterson, Depailler et Ickx se rapprochent de Mass. La direction de course présente le drapeau noir à Hulme qui est contraint de s'arrêter.
5e: Regazzoni a 17s. d'avance sur Scheckter. Mass, Peterson, Ickx, Depailler et Hailwood sont roues dans roues. Merzario est au ralenti: en panne d'accélérateur, il va devoir abandonner. Schuppan tombe en panne de boîte de vitesses. Beltoise est aussi à l'arrêt suite à la rupture d'une conduite d'essence.
6e: Une petite averse éclate au niveau de Pflanzgarten. Scheckter et Reutemann lève le pied pour ne pas être surpris par l'humidité, tandis que Regazzoni continue de foncer. Bien lui en prend: son avance sur ses poursuivants monte à 32 secondes. Mass perd pied et se fait doubler par Peterson, puis par Ickx. Quant à Depailler, il dérape en voulant doubler Peterson et tape un rail après le pont d'Adenau. Il regagne les stands avec une roue arrière gauche complétement démolie.
7e: La pluie cesse. Peterson est à la peine: il se fait doubler par Ickx, puis par Mass et Hailwood.
8e: Regazzoni compte une trentaine de secondes d'avance sur Scheckter qui commence à prendre du champ sur Reutemann. Ickx est à près d'une minute et précède Mass, Hailwood, Peterson, Hunt, Stuck et Pryce. Ces deux derniers ont doublé Jarier.
9e: Peterson se rapproche de Hailwood et Mass. Hunt n'arrive plus à sélectionner ses vitesses et roule à vitesse réduite.
10e: Regazzoni mène avec environ cinquante secondes d'avance sur Scheckter. Reutemann suit à une minute. Ickx est quatrième et précède de peu Mass, Hailwood et Peterson. Pryce est huitième devant Stuck et Jarier.
11e: Scheckter réalise le meilleur tour en course: 7'11''1'. Après une superbe course, Mass voit son moteur s'arrêter. L'Allemand est contraint à l'abandon.
12e: Regazzoni a une cinquantaine de secondes d'avance sur Scheckter. Reutemann est à plus d'une minute du leader.
13e: Dans la descente de Pflanzgarten, la McLaren de Hailwood pique inexplicablement vers la droite et percute de plein fouet le rail de sécurité. Tout l'avant de la voiture est broyé et le malheureux pilote est coincé dans son épave, touché aux jambes. Les drapeaux jaunes sont déployés tandis que les secours viennent en aide à Hailwood.
14ème et dernier tour: Peterson parvient à chiper la quatrième place à Ickx.
Clay Regazzoni remporte enfin sa première victoire de la saison, la deuxième de sa carrière après le GP d'Italie 1970. Scheckter finit deuxième devant Reutemann qui monte sur son premier podium depuis Kyalami. Quatrième, Peterson inscrit les premiers points de la Lotus 76. Il précède Ickx. Pryce finit sixième et marque son premier point en F1. Suivent Stuck, Jarier, Hill, Pescarolo, Bell, Pace, Brambilla et Ashley, seul pilote à s'être fait prendre un tour par le leader. A noter qu'il n'y a pas une seule McLaren à l'arrivée, ce qui n'était pas arrivé depuis la saison 1971.
Après la course
Clay Regazzoni a réalisé une performance magistrale dans ces conditions difficiles. Il démontre une fois de plus sa grande classe au volant. « Je n'ai aucun commentaire à faire. Jamais encore cette année ma voiture n'avait si bien marché. Je n'ai pas eu le moins problème. Tout m'a semblé extrêmement facile », déclare le vainqueur du jour, peu loquace.
Du fait des abandons de Lauda et de Fittipaldi, Regazzoni est doublement le vainqueur du jour. Clay s'empare en effet de la première place du championnat avec 44 points contre 41 à Scheckter. Fittipaldi et Lauda ont désormais sept et huit points de retard sur Regazzoni, désormais favori pour le titre mondial.
Au classement des constructeurs, Ferrari fait aussi une excellente opération en doublant McLaren et en prenant huit points d'avance sur l'équipe de Teddy Mayer, désormais menacée par Tyrrell.
En revanche la course est assombrie par les graves blessures de Mike Hailwood: fracture du tibia, dislocation du genou et déchirure du tendon d'Achille. Sa saison est terminée et la convalescence sera assez lourde pour qu'on ne voit plus « Mike the bike » remontrer dans une monoplace.
Tony