Après sa tentative avortée de participer au Grand Prix d'Italie, Michael Schumacher s'astreint au repos pour permettre à ses fractures de se résorber complétement et surtout à son genou de désenfler après les efforts (trop) intensifs qu'il a fournis lors de ses essais au Mugello et à Monza. Il fait aussi planer le doute concernant un éventuel retour en 1999. Son agent Willi Weber et son porte-parole Heiner Buchinger laissent entendre dans les médias allemands qu'il ne pourrait revenir qu'en 2000. Ce qu'il confirme fin septembre: « Je ne ferai mon retour que lorsque j'aurai récupéré 100 % de ma forme physique ! » assène Schumacher.
Le 3 octobre 1999, le Pr. Gérard Saillant reçoit son célèbre patient à la Pitié-Salpêtrière. Son verdict est net: Michael Schumacher est rétabli. Le lendemain, lundi 4 octobre, le pilote allemand grimpe dans sa Ferrari F399 au Mugello. Officiellement, il s'agit uniquement d'aider Eddie Irvine à dénicher les bons réglages en vue du prochain GP de Malaisie. Schumacher laisse clairement entendre qu'il ne participera pas à cette épreuve, pas plus qu'au GP du Japon: « Ma condition n'est plus ce qu'elle était. J'ai tenté de revenir mais je ne peux plus me préparer comme par le passé. Dans ces conditions, reprendre la compétition n'aurait aucun sens. Ce ne serait pas raisonnable ». Et comme pour se donner raison à lui-même, il percute un rail après une embardée. Pourtant, ce même lundi, il parcourt plus de 300 kilomètres, soit à peu près la distance d'un Grand Prix...
Ses propos pessimistes ne cadrent manifestement pas avec la réalité. Du coup, beaucoup se demandent si Schumacher n'aurait tout simplement pas envie de revenir à la compétition dans ce contexte bien particulier, puisqu'il serait contraint de se mettre au service d'Eddie Irvine et de l'aider à devenir champion du monde. Bien sûr, au cours des dernières semaines, il a toujours prétendu que Ferrari pouvait compter sur lui et qu'il serait ravi d'épauler son ex-fidèle lieutenant dans sa quête de la couronne mondiale. Mais l'Allemand est orgueilleux. Lorsqu'il a signé avec Ferrari en 1995, son objectif était de replacer cette écurie au sommet de la Formule 1 et de lui offrir enfin ce titre mondial des pilotes qui lui fait défaut depuis 1979. La mission a été (presque) accomplie en 1997 et 1998, Schumacher manquant la couronne pour quelques points. Cette saison, le « Baron rouge » était de nouveau en lutte pour le sacre contre Mika Häkkinen... jusqu'à son terrible accident de Silverstone. Eddie Irvine a pris le relais. Qui pourrait croire que Schumacher serait heureux de voir celui-ci récolter les fruits des patients efforts qu'il a déployés depuis quatre ans ?
Certes, Irvine a sa part dans le redressement de la Scuderia. De 1996 à 1998, il fut un équipier tout à fait loyal, un auxiliaire précieux, que ce soit en course ou lors des essais de développement. Mais depuis sa victoire à Melbourne, en mars 1999, le natif de l'Ulster est entré en rébellion ouverte contre Jean Todt et Michael Schumacher. Las de son statut d'éternel second, voué à toujours se sacrifier au profit du « Kaiser », il a multiplié les sorties tapageuses devant les micros, proclamant que son esclavage était terminé et qu'il battrait Schumacher quand il le voudrait. Le destin ironique l'a transformé lui-même en leader de Ferrari après Silverstone. Entretemps, Irvine a aussi signé chez Jaguar et a confié à la presse ce qu'il pensait de management de Todt et du comportement de Schumacher à son égard. On comprend ainsi que, toute fierté mise à part, ce dernier n'ait guère envie de voir l'écuyer félon lui ravir le trône, et moins encore de l'aider dans cette entreprise. Il semble en outre que Willi Weber ne fasse rien pour ramener son client à de meilleurs sentiments, bien au contraire. L'homme d'affaires a déclaré en marge du GP d'Europe qu'il ne croyait pas Irvine capable de devenir champion du monde, s'attirant ainsi les foudres du président Montezemolo.
Mais il est exact que la doublure ne fait pas oublier la vedette. Le costume de n°1 de la Scuderia est trop grand pour un Irvine dont le réel talent est obéré par sa vie de bâton de chaise. En cet automne 1999, l'Irlandais se montre incapable de profiter des multiples déboires de Häkkinen et de McLaren. A deux étapes du terme de la saison, l'Irlandais ne concède que deux longueurs au Finlandais, mais il n'a inscrit que huit points lors des quatre dernières courses et paraît déboussolé face aux réglages complexes que réclame la F399. L'intérimaire Mika Salo est tout aussi perplexe. Et après le désastreux Grand Prix d'Europe, au cours duquel la Scuderia s'est illustrée par un pitoyable cafouillis, il devient évidemment que la belle machinerie rouge ne tourne plus très rond depuis que son « vrai » leader s'est cassé la jambe.
Bref, sans « Schumi », point de salut ! Voilà pourquoi Luca di Montezemolo et Jean Todt souhaitent ardemment que Schumacher remette son casque pour les dernières épreuves asiatiques de cette saison 1999. Par ailleurs, les dirigeants de Ferrari ne songent pas uniquement au titre des pilotes, mais aussi à celui des constructeurs qui risque une fois encore de leur échapper au profit de McLaren-Mercedes. Mais Schumacher se fait prier et ses premières déclarations au Mugello ferment a priori la porte à tout retour d'ici 2000. Bien évidemment, chacun y voit une preuve de son hostilité à l'égard d'Irvine. « Schumi » roulerait-il pour Häkkinen ?... Mardi 5 octobre, après une nouvelle journée d'essais ponctuée d'excellents chronos, l'Allemand ne peut plus faire croire à grand-monde qu'il est hors d'état de conduire. Montezemolo s'agace. Sans parler des assureurs... Schumacher toucherait 630 000 francs par jour depuis sa blessure !
Le lendemain, mercredi 6 octobre, Michael Schumacher se rend au Vatican avec ses collègues Jean Alesi, Luca Badoer et Giancarlo Fisichella. Ils sont reçus en audience solennelle par le pape Jean-Paul II qui leur procure sa bénédiction. « C'est le plus beau jour de ma vie ! » s'exclame Schumacher qui ne fait pas mystère de sa foi. Quelques heures plus tard, il rencontre Luca di Montezemolo, puis convie toute la Scuderia à un dîner dans une fameuse pizzeria romaine. Jeudi 7, il est à Fiorano, boucle 58 tours... et bat le record officieux du circuit. Entre deux « runs », il s'exerce dans une salle de gymnastique spécialement aménagée pour lui... Cette fois, Schumacher ne peut plus biaiser. Le bruit court que Luca di Montezemolo en aurait appelé à son sens des responsabilités. Toujours est-il que, vendredi 8 octobre, après une ultime séance à Fiorano, l'ex-blessé annonce qu'il fera son retour à la compétition à l'occasion du Grand Prix de Malaisie, huit jours plus tard. « Après ces derniers essais, je me retrouve en pleine forme, juste quelques petites douleurs au cou et au dos, mais rien de sérieux », explique-t-il en conférence de presse. Reste que ce revirement étonne. « Plutôt que de décevoir les gens une fois de plus, j'ai préféré dire que je ne reviendrais pas et faire de nouveaux essais pour être sûr de moi », argue-t-il. Les esprits forts émettent l'hypothèse que sa visite au Saint Père aurait miraculeusement apaisé ses derniers maux...
Sources :
- Auto Hebdo, 20 octobre 1999.
Tony