Alain Prost a passé l'année 1996 à développer son projet de reprise de l'écurie Ligier (voir les épisodes précédents). Directement sollicité par le gouvernement français, le quadruple champion du monde s'est donné pour mission de sauver l'« équipe nationale » et de la conduire au sommet de la Formule 1. À l'orée de l'hiver 1996-1997, les grandes lignes du dossier sont éclaircies: Flavio Briatore donne son accord à la vente et Prost réunit un budget d'environ 250 millions de francs grâce au soutien de trois grandes entreprises françaises: la Seita (Gauloises Blondes), Alcatel et Canal +. Mais en ce qui concerne le rachat proprement dit, le Forézien doit mettre lui-même la main à la poche ! « Je rachète toute l'équipe Ligier avec mon argent personnel. Je prends donc un risque financier, et pour mon image, très important. », confie-t-il.

 

Reste cependant à résoudre le problème de la future motorisation. Si les monoplaces bleues seront toujours mues en 1997 par le V10 Mugen-Honda, Alain Prost et ses soutiens politiques veulent absolument qu'elles utilisent un moteur français en 1998, afin de donner sens à ce projet national. Renault quittant la Formule 1, Peugeot demeure la seule option. Les discussions remontent à l'hiver 1996. Or Jacques Calvet, le président de PSA, déjà mal disposé envers la Formule 1, envisage de tout arrêter fin 1997, terme de l'accord de partenariat entre Jordan et Peugeot. Celui-ci n'a en effet absolument pas donné satisfaction et, après trois ans d'implication dans la discipline avec McLaren puis Jordan, le Lion est toujours en quête de sa première victoire. Au cours de l'été et de l'automne 1996, Prost fait ainsi le siège de M. Calvet qui finit par céder devant l'aura du champion, mais sans doute aussi sous la pression de ses amis chiraquiens, les ministres Guy Drut et Jacques Toubon, voire du président de la république lui-même. Début février 1997, Peugeot s'engage à fournir ses V10 à la future écurie Prost à compter de 1998, et ce pour une durée de trois ans. « Il est exact que j'ai jadis émis quelques réserves sur le milieu de la Formule 1 », reconnaît Jacques Calvet, « mais connaissant les compétences sportives et de chef d'entreprise d'Alain Prost, je me sens en confiance. En outre, moi-même et le groupe PSA sommes sensibles à la dimension nationale de ce projet. » Comme on le voit, l'enthousiasme est à son comble.

 

Dernier détail à régler, celui du changement de dénomination. À l'origine, Alain Prost souhaitait soit conserver le nom de Ligier, soit rebaptiser la structure « Écurie France ». Mais ses partenaires le persuadent d'imposer son propre patronyme, plus susceptible de susciter l'intérêt du public et des sponsors. Ainsi naît Prost Grand Prix. Toutefois, afin de bénéficier des avantages offerts par la FOCA (droits TV, primes de départ, tarifs préférentiels pour le transport du matériel etc.), ce changement de nom doit, en vertu des Accords Concorde, être validé par l'ensemble des autres constructeurs. Eddie Jordan, qui redoute à juste titre de perdre le moteur Peugeot, se fait un malin plaisir à refuser sa signature. Peugeot intervient alors pour assurer à l'Irlandais qu'il pourrait (tout est dans le conditionnel) bénéficier encore, malgré tout, du V10 de Vélizy en 1998. Jordan n'est évidemment pas convaincu, mais il cède devant l' « amicale pression » de Bernie Ecclestone qui soutient Prost depuis le début.

 

Ainsi, le 13 février 1997, Alain Prost signe à Genève le contrat de rachat de l'Équipe Ligier. Le lendemain, lors d'une conférence de presse avenue de la Grande-Armée, à Paris, siège de Peugeot Automobiles, il annonce la création de Prost Grand Prix et son futur partenariat avec Peugeot. Il précise par ailleurs que la structure basée à Magny-Cours ne subira aucun changement. Bruno Michel demeure administrateur et Cesare Fiorio est confirmé dans ses fonctions de directeur sportif. Un maintien qui peut sembler surprenant, tant Prost et Fiorio se sont jadis affrontés chez Ferrari, mais les deux hommes se sont depuis réconciliés. Le changement dans la continuité, tel pourrait être le slogan du nouveau patron des Bleus d'autant que, changement de motoriste oblige, 1997 sera une énième « année de transition »...

Tony