Retrait de Renault
Début 1996, la presse économique fait état de rumeurs selon lesquelles Renault envisagerait de se retirer de la Formule 1 au terme de ses contrats avec ses deux partenaires, Williams et Benetton, fin 1997. Bien que démenti au fil des Grands Prix par Patrick Faure et Christian Contzen, les président et directeur général de Renault Sport, ce bruit est entièrement fondé. Après moult débats au sein du conseil d'administration, le président du groupe Louis Schweitzer estime en effet que Renault, revenu en F1 comme motoriste en 1989, a entièrement rempli sa mission avec trois titres de champion du monde des pilotes (Nigel Mansell en 1992, Alain Prost en 1993, Michael Schumacher en 1995) et quatre titres consécutifs chez les constructeurs (avec Williams de 1992 à 1994, puis Benetton en 1995). Le V10 conçu par les hommes de Bernard Dudot domine la discipline depuis cinq ans. Repu, le Losange peut partir la tête haute. Du reste, et bien que 1996 s'annonce comme une nouvelle campagne victorieuse grâce à Damon Hill et à Williams, la concurrence emmenée par Ferrari, Mercedes et Peugeot a fait d'indéniables progrès. En 1997, le V10 Renault ne sera sans doute plus aussi dominateur. « Il vaut mieux partir en pleine gloire et éviter le combat de trop », confie Patrick Faure.
Cependant, comme le souligne Philippe Rochette dans Libération, ce sont avant tout des considérations marketing qui ont emporté la décision. Paradoxalement, Renault pâtit d'une « overdose » de succès: trop de victoires tue l'engouement et anesthésie les effets des campagnes publicitaires. L'image de la firme française, simple fournisseur de moteurs, s'en trouve banalisée. Et puis, en remplissant ses objectifs sportifs, Renault a également atteint ses buts commerciaux. Désormais, les retombées ne vaudront plus l'investissement requis (estimé à 600 millions de francs par an). Or la Régie prépare sa privatisation et a donc besoin de faire des économies. Enfin, le marketing issu de la F1 ne touche guère que l'Europe, largement surreprésentée dans le calendrier du championnat (onze Grands Prix sur seize). Pour percer sur d'autres marchés (notamment l'Amérique du Sud et l'Asie), Renault doit développer d'autres stratégies.
Ainsi, le 20 juin 1996, Renault annonce officiellement son retrait de la Formule 1 à l'issue de la saison 1997. Alors que Louis Schweitzer explique sa décision aux salariés de Viry-Châtillon, Patrick Faure affronte la presse à Boulogne-Billancourt et Christian Contzen apprend la mauvaise nouvelle à Frank Williams et Flavio Briatore. Toutefois, comme lors de son précédent départ, en 1986, le constructeur français ne fait pas des adieux définitifs à la discipline reine des sports mécaniques. Patrick Faure assure la pérennité de Renault Sport sous la double houlette de Christian Contzen et de Bernard Dudot, alors qu'une « cellule de veille technologique » sera chargée de préparer, à terme, une éventuelle nouvelle implication... « Il n'est pas exclu que Renault revienne un jour en Formule 1 » assure Faure, début juillet, dans les colonnes de Sport Auto. Au fond, comme le rappelle Renaud de Laborderie, entre le 22 septembre 1986 et le 7 juin 1988, Renault n'avait mis que vingt mois pour renouer avec la F1...
Retrait d'Elf
Cinq jours plus tard, le 25 juin, Elf, partenaire historique de Renault en compétition automobile, officialise son propre départ de la Formule 1, et ce dès la fin de la saison 1996. La décision a été prise huit jours plus tôt, à la Défense, au siège du groupe Elf-Aquitaine. Le président Philippe Jaffé et le directeur général Bernard de Combret enterrent sans fleurs ni couronnes près de trente années d'implication victorieuse en F1. Plusieurs indices laissaient entrevoir un tel dénouement. Tout d'abord, l'inexorable rétrécissement du service compétition dont l'effectif est tombé de 72 personnes en 1989 à 22 en 1996. D'autre part, le contrat 1996 signé avec Benetton est à option bloquée, c'est-à-dire que les sommes versées ne dépendent pas des résultats de l'écurie. Jamais Elf n'avait fait preuve d'une telle parcimonie. Williams n'est guère mieux lotie, bénéficiant seulement d'un petit soutien financier pour ses pilotes. De toute évidence, le pétrolier français – lui aussi en voie de privatisation – a fini par juger la F1 trop dispendieuse avec un budget annuel dépassant allègrement les 100 millions de francs. Selon Bernard de Combret, il faut réduire les dépenses pour faire face à un environnement général peu engageant (fermeture de 300 stations-services en 1996 sur le territoire français, part dans le marché national en constante diminution, tensions sociales etc.). Devant ces arguments, les excellentes retombées marketing générées par la Formule 1 ne pèsent pas lourd.
Averti de ces sombres rumeurs, Flavio Briatore s'est rendu plusieurs fois à La Défense durant l'hiver 1995-1996 pour plaider la cause de Benetton et accessoirement celle de Ligier. « Je vous amène Jean Alesi et, d'autre part, Ligier est bien la seule écurie française en course », argue-t-il en substance. Les dirigeants d'Elf sont demeurés insensibles. Puis, en mai, un incident apparemment anodin a suscité leur courroux: à Monaco, Olivier Panis est monté sur le podium vêtu d'une combinaison dépourvue de tout badge Elf. Le pétrolier manquait ainsi à l'appel de cette retentissante victoire. Cette erreur a renforcé la position des partisans d'un retrait rapide de la F1, ainsi que les détracteurs de Ligier. Par ailleurs, les relations entre Elf et Renault se sont distendues ces derniers mois, le plus souvent pour des peccadilles. Le Losange reproche au pétrolier d'avoir plus communiqué sur la victoire de Panis à Monaco que sur celles glanées par Damon Hill et Jacques Villeneuve avec Williams. Dernière conséquence de cet éloignement: Renault n'avertit son partenaire de son départ de la Formule 1 que quelques heures avant l'annonce officielle. Piqué à vif, le comité directeur de la Défense décide de précipiter son propre retrait. Elf n'accompagnera même pas Renault pour une dernière saison en 1997. Williams et Benetton devront se trouver de nouveaux fournisseurs en essence et lubrifiants.
Cependant, et sans doute afin de ne pas désespérer le petit monde du sport automobile français, le sévère M. de Combret consent à maintenir en activité la filière Elf d'où sont sortis tant de talents depuis vingt-cinq ans. Seulement, quel peut être l'avenir de cette pépinière si elle ne propose à ses élèves que des perspectives restreintes ? François Guiter, son dirigeant historique, fait part de son désarroi: « Comment motiver les jeunes si nous ne les accompagnons vers l'objectif suprême de la F1 ? » Entre les technocrates du sommet et les authentiques passionnés du terrain, le divorce est consommé. Avec l'effacement d'Elf, c'est tout un pan de l'histoire du sport automobile français qui s'effondre.
Sources:
- Renaud de Laborderie, Le livre d'or de la Formule 1 1996, Solar, 1996
- Libération du 21 juin 1996.
Tony