Présentation de l'épreuve
Fort de ses quatre victoires en cinq courses, Damon Hill aborde ce Grand Prix de Monaco en grandissime favori. L'Anglais désire surtout se rattraper de son échec de l'an passé (parti en pole, il avait fini second derrière Michael Schumacher) et inscrire enfin son nom au palmarès de cette épreuve que son père Graham a remportée cinq fois. Accessoirement, il permettrait aussi à Williams de gagner en Principauté pour la première fois depuis... 1983. Les espoirs de l'écurie nouvellement installée à Grove reposent en tout cas ici presque entièrement sur Damon Hill, car Jacques Villeneuve, quoique résidant monégasque depuis son enfance, n'apprécie pas du tout ce circuit étroit et tortueux. « Je n'ai pas l'impression d'être chez moi, même si je vis ici depuis dix-sept ans », lâche-t-il, inquiet.
Comme tous les ans, le Grand Prix de Monaco attire de nombreux V.I.P. On reconnaît ainsi le cinéaste Roman Polanski, grand amateur de sport automobile, reçu chez Ferrari par Jean Todt et Eddie Irvine. Guy Drut, ex-champion d'athlétisme et ministre français des Sports, s'entretient avec Christian Contzen de l'avenir de Renault en Formule 1, alors que grossissent les rumeurs de retrait du Losange. Jeudi après-midi, le ministre de la Culture Philippe Douste-Blazy convie plusieurs personnalités du sport automobile français à participer avec lui à l'enregistrement de l'émission « L'esprit du sport », sur la Cinquième. Jean Alesi, Philippe Alliot, Jean-Pierre Beltoise et Bernard Dudot entourent le ministre. Le journaliste « cuisine » surtout Alesi. Quand on lui demande s'il aimerait travailler avec Alain Prost dans le cadre d'un projet français, il répond par l'affirmative. Et lorsqu'on lui fait remarquer que Prost est sous contrat avec McLaren, il répond: « Oh, vous savez, Alain m'a dit qu'il était chez McLaren juste pour s'occuper... » Voilà qui sera retenu.
Vendredi soir, Ron Dennis réunit ses collaborateurs au Royal Golf Club de Mougins pour célébrer le trentième anniversaire de McLaren qui est apparue en Formule 1 lors du Grand Prix de Monaco 1966. Mika Häkkinen et David Coulthard se mettent pour cette occasion sur leur trente-et-un: le Finlandais apparaît en queue-de-pie, l'Écossais en kilt ! Alain Prost et Keke Rosberg, les deux champions du monde conviés, présentent quelques trophées qu'ils ont glanés pour McLaren. Tyler Alexander, le coordinateur du team, conte ses souvenirs: il est le seul employé qui était déjà présent en 1966. « Bruce McLaren avait un tel charisme que l'on se serait jeté dans le feu pour lui », dit-il, nostalgique. Cette soirée comporte aussi un versant diplomatique. Ron Dennis et Mansour Ojjeh accueillent Dieter Zetsche, un jeune cadre influent de Daimler-Benz que l'on dit destiné aux plus hautes fonctions. Le toast porté par Dennis en fin de soirée s'adresse indirectement à ce personnage: « Dans une vie, le cap de la trentième année est important. Nous aurions aimé avoir des débuts plus faciles avec Mercedes. Mais nous sommes proches du succès. » Le Dr. Zetsche applaudit.
Après les excellentes performances de Michael Schumacher au Nürburgring et à Imola, Jean Todt déborde d'optimisme et croit proche la victoire d'une Ferrari. Il confirme que le nouveau V10 Evolution sera cette fois monté dans les deux voitures pour la course. Quant à ses relations avec Schumacher, elles sont on ne peut plus harmonieuses: « Nous marchons vraiment dans la même direction », assène le Français. Le fait est qu'une vraie amitié semble naître dans les deux hommes, animés par la même passion pour la victoire.
Comme chaque année à Monte-Carlo, les monoplaces sont configurées afin de générer le maximum d'appui. Par exemple, chez Williams, la monoplace de Hill reçoit deux mini-ailerons en position ultra-basse près du canal central du diffuseur. C'est Tyrrell qui utilise probablement les plus gros ailerons du plateau, de larges plans déjà vus l'an passé sur même circuit. McLaren inaugure l'évolution de sa MP4/11, longuement testée lors des essais privés qui se sont déroulés à Imola après le GP de Saint-Marin. Cette version dite « courte », car réduite de cinq centimètres, a été dessinée par Steve Nichols sur les conseils d'Alain Prost. La répartition des masses est bouleversée dans l'espoir d'obtenir un meilleur équilibre. Les triangles de suspensions sont repositionnés et la carrosserie arrière affiche désormais une forme de « bouteille de Coca », plus étroite. Pour ce tracé lent et sinueux, les Jordan sont gréées avec le petit aileron central apparu en Argentine. D'autre part, Jean-Pierre Boudy et les motoristes de Peugeot ont adapté leur V10 en travaillant sur le couple et la souplesse à bas régime grâce à de nouveaux types d'échappements. À noter enfin que cette fois Montermini bénéficie à son tour de la nouvelle Forti.
Essais et qualifications
Häkkinen s'adjuge le meilleur chrono de la séance libre du jeudi après avoir chaussé un train de pneus neufs dans les ultimes instants. Hill et sa Williams-Renault ont cependant dominé ce premier jour. Le leader du championnat est à nouveau le plus rapide lors des sessions du samedi alors que Schumacher heurte le rail à Sainte-Dévote. De nombreux pilotes tâtent les glissières lors des entraînements.
La séance qualificative tourne au duel Schumacher - Hill. L'Allemand détient longtemps le meilleur chrono, mais il est battu à dix minutes du drapeau à damiers par l'Anglais, lequel a à cet instant épuisé ses douze tours réglementaires. Le pilote Ferrari repart alors pour un dernier run et arrache la douzième pole de sa carrière (1'20''356'''), une demi-seconde devant Hill qui l'accompagne en première ligne. Schumacher offre à Ferrari sa première position de pointe sur le Rocher depuis 1979. Son équipier Irvine (7ème) est toujours très en retrait, en proie à un sous-virage récurrent. Peu à l'aise, Villeneuve est hors du coup et se contente d'une piètre dixième place. Les Benetton-Renault retrouvent enfin des couleurs: Alesi (3ème) et Berger (4ème) monopolisent la deuxième ligne. Coulthard amène sa McLaren-Mercedes en cinquième position. Son équipier Häkkinen (8ème) gâche ses chances en fin de séance en faisant un travers pour éviter l'incident Schumacher - Berger (voir plus loin). Chez Jordan-Peugeot, Barrichello (6ème) fait comme d'habitude beaucoup mieux qu'un très décevant Brundle (16ème).
Frentzen (9ème) réalise des prodiges pour maintenir en piste une Sauber-Ford très instable. Herbert (13ème) rencontre pour sa part plusieurs problèmes de suspension arrière. Les avaries pleuvent sur les pilotes Tyrrell-Yamaha: Salo (11ème) casse un moteur puis une boîte et Katayama (15ème) rencontre des pannes électriques. Les deux pilotes Arrows-Hart se distinguent en tapant le rail à la Rascasse. Verstappen (12ème) devance nettement Rosset (20ème) qui découvre le circuit monégasque. Rapide en essais, Panis (14ème) ne peut défendre ses chances en qualifications car il est longtemps immobilisé par une panne électronique. Sur l'autre Ligier-Mugen, Diniz (17ème) souffre d'un gros sous-virage et sort à la Rascasse. Chez Minardi, Fisichella (18ème) devance une fois de plus Lamy (19ème) qui a heurté deux fois les glissières. Les nouvelles Forti-Ford se qualifient, malgré bien des déboires: Badoer (21ème) subit deux touchettes et Montermini (22ème) endommage son train arrière samedi après-midi à Anthony Noguès.
Alors que la séance qualificative s'achève, Schumacher quitte le tunnel au petit trot pour saluer la foule lorsque déboule Berger, lancé à pleine vitesse pour un dernier tour rapide. L'Autrichien freine en catastrophe et se met en tête-à-queue à 270 km/h pour éviter la Ferrari. Il atterrit en marche arrière dans l'échappatoire de la chicane, sans n'avoir rien touché. Plus de peur que de mal, mais Flavio Briatore, furibard, prend le chemin de la direction de course pour réclamer une sanction contre son ancien pilote. Schumacher, confus, présente ses excuses à Berger, tandis que Jean Todt parvient à raisonner à l'impétueux Briatore.
L'épreuve de Formule 3 est remportée par l'espoir allemand Marcel Tiemann sur Dallara-Opel devant le Hollandais Tom Coronel et un autre Allemand, Arnd Meier. A la septième place, on retrouve Anthony Beltoise, le fils de Jean-Pierre. « Bébel » encourage son fiston et se remémore évidemment sa première et unique victoire en Formule 1, survenue ici même sur le Rocher, il y a vingt-quatre ans.
Le Grand Prix
L'échauffement du dimanche matin se déroule sous un ciel menaçant. À la surprise générale, Panis signe le meilleur chrono avec sa Ligier, certes peu chargée en essence. Schumacher est quant à lui stoppé par une panne, heureusement bénigne. Juste après le warm-up, les nuages crèvent, et une forte averse inonde Monte-Carlo. Le Grand Prix démarrera à 14h30 sur une piste très humide. Afin que les pilotes s'acclimatent à ces nouvelles conditions et peaufinent leurs réglages, de courts essais d'un quart d'heure sont lancés à 13h15. À cette occasion, Montermini détruit sa nouvelle Forti contre les glissières de la chicane du Port. Faute de mulet homologué, l'Italien ne prendra pas le départ. Häkkinen abîme quant à lui sa McLaren dans la courbe du bureau de tabac et s'élancera avec sa voiture de réserve.
Au cours de ce warm-up, David Coulthard s'est aperçu que la visière de son casque, trop fumée et dépourvue de dispositif anti-buée, ne lui offrait aucune bonne visibilité dans ces conditions humides. Il demande donc à Michael Schumacher (comme lui sponsorisé par Marlboro) la permission de lui emprunter un de ses couvre-chefs, ce que l'Allemand accepte bien volontiers. Coulthard courra donc avec le casque bleu-blanc-rouge du champion du monde !
En début d'après-midi, la piste est toujours très humide et glissante, même s'il ne pleut plus. Tous les pilotes partent en pneus rainurés, excepté Verstappen qui fait le pari extrêmement risqué de s'élancer avec des slicks. Du fait de ces conditions, la consommation en essence sera bien moindre qu'à l'ordinaire et quelques pilotes, comme Panis, partent avec le plein.
Départ: Schumacher patine quelque peu des roues arrière, ce qui permet à Hill de virer en tête à Sainte-Dévote devant l'Allemand. Suivent Alesi, Berger, Irvine et Barrichello. Chaussés de slicks, Verstappen tire tout droit au freinage et s'encastre dans la barrière de pneus. Quelques mètres plus loin, Lamy harponne son équipier Fisichella. Le jeune Italien abandonne sa machine dans la montée vers le Casino. Le Portugais s'immobilise un peu plus loin.
1er tour: Les pilotes évoluent sur une patinoire. Lancé aux trousses de Hill, Schumacher escalade le vibreur humide au premier droit du Portier. La Ferrari dérape et s'encastre directement dans le rail. L'Allemand n'a plus qu'à se ranger dans l'échappatoire suivante avec une suspension avant-gauche pliée. Puis, déjà touché dans la montée de Beaurivage, Barrichello part en tête-à-queue avant la Rascasse et heurte les glissières. À l'issue de cette première boucle tourmentée, Hill mène avec quatre secondes d'avance sur Alesi. Suivent Berger, Irvine, Frentzen, Coulthard, Villeneuve, Salo, Herbert et Häkkinen. Cinq pilotes sont déjà out !
2e: L'asphalte demeure très piégeur. Les commissaires évacuent les Minardi ainsi que la Jordan accidentée de Barrichello. Irvine manque son freinage à la chicane et tire tout droit. Il se retrouve sous la menace de Frentzen.
3e: À l'abri des projections d'eau, Hill s'envole et jouit de neuf secondes d'avance sur Alesi. Katayama part en aquaplanage à la sortie du virage du Bureau de Tabac et s'encastre dans les glissières. Le Japonais laisse là sa Tyrrell, très vite retirée par les commissaires.
4e: Hill possède une large avance sur les deux Benetton. Loin de là, Irvine résiste à Frentzen et Coulthard. L'Allemand de Sauber rattrape un début d'embardée au Bureau de Tabac. Le carnage se poursuit: Rosset perd le contrôle de son Arrows avant la Rascasse et heurte le rail en marche arrière. Après quatre tours, il n'y a déjà plus que treize pilotes en piste !
5e: Hill mène devant Alesi (13.3s.), Berger (15.4s.), Irvine (26.5s.), Frentzen (26.7s.), Coulthard (27.3s.), Villeneuve (28.5s.), Salo (29.2s.), Herbert (30.1s.), Häkkinen (30.8s.), Brundle (32.2s.), Panis (32.8s.), Badoer (46s.) et Diniz (58s.).
6e: Irvine verrouille toutes les portes devant un Frentzen très entreprenant. Diniz part en tête-à-queue à la sortie du tunnel et atterrit dans l'échappatoire de la chicane, par bonheur sans rien toucher. Le jeune Brésilien cale néanmoins son moteur et doit abandonner.
7e: Hill compte quatorze secondes de marge sur Alesi, dix-sept secondes sur Berger. Irvine contient un impressionnant peloton comprenant Frentzen, Coulthard, Villeneuve, Salo, Herbert et Häkkinen. Panis déborde Brundle dans la montée de Beaurivage.
9e: La piste s'assèche peu à peu mais la trajectoire est encore humide. Les pilotes sont prudents, ainsi Hill tourne seulement en 1'48''.
10e: Berger ne parvient plus à descendre ses rapports. Il regagne les stands et renonce: sa commande électronique de boîte a cédé. La moitié du plateau est éliminée après seulement dix tours !
11e: Hill est premier devant Alesi (17s.), Irvine (44.5s.), Frentzen (45s.), Coulthard (46s.), Villeneuve (48s.), Salo (49.3s.), Herbert (50.2s.), Häkkinen (51.3s.), Panis (52.7s.), Brundle (53.7s.) et Badoer (1m. 25s.).
13e: Irvine résiste toujours farouchement à Frentzen, sous le regard de Coulthard. Un peu plus loin, Villeneuve peine à décramponner Salo.
14e: Dix-huit secondes séparent Hill et Alesi. Le leader a pris un tour à Badoer. Irvine subit un fort sur-virage à chaque réaccélération mais contient toujours Frentzen.
15e: Frentzen tente en vain de surprendre Irvine au premier freinage de la Piscine. Panis dépasse Häkkinen à Mirabeau.
17e: Le bitume commence à s'assécher franchement. Hill tourne en 1'46''772'''. Surpris par un louvoiement d'Irvine à la Piscine, Frentzen écrase sa pédale de frein et rattrape in extremis un début d'embardée. La tension monte entre l'Irlandais et l'Allemand.
18e: Frentzen tente de faire l'extérieur à Irvine avant le freinage de Sainte-Dévote, là où la piste est encore très mouillée. Hélas, l'Irlandais ferme la porte. « HHF » touche la Ferrari avec sa roue avant-droite: son aileron s'effondre et il subit une crevaison instantanée. Il laisse passer Coulthard, puis tout le peloton, avant de regagner les stands.
19e: Hill précède Alesi de vingt secondes. Frentzen arrive chez Sauber pour remplacer sa calandre. Il reprend aussi des pneus rainurés, puis redémarre en onzième position.
21e: Hill domine devant Alesi (24s.), Irvine (1m.), Coulthard (1m. 03s.), Villeneuve (1m. 04s.), Salo (1m. 05s.), Herbert (1m. 06s.), Panis (1m. 07s.), Häkkinen (1m. 09s.), Brundle (1m. 12s.), Frentzen (1m. 41s.) et Badoer (-1t.).
22e: Irvine est la locomotive d'un train comprenant Coulthard, Villeneuve, Salo, Herbert et Panis. Häkkinen tente de s'y accrocher en dépit d'un mulet très rétif.
24e: Le bitume a absorbé une bonne partie de l'humidité, une trajectoire « claire » apparaît. Les chronos commencent à tomber.
25e: Frentzen s'écarte à la chicane devant Hill qui lui prend un tour. Panis est en grande forme: il se défait de Herbert à l'épingle du Loews et grimpe en septième position. Le jeune Français a doublé trois concurrents depuis le coup d'envoi.
26e: Hill et Alesi tournent tous deux en 1'41''. L'intervalle entre eux se chiffre à vingt-trois secondes. Irvine a repoussé Coulthard à trois secondes. Frentzen passe chez Sauber pour prendre des gommes lisses.
28e: Hill apparaît au stand Williams pour ce qui doit être son unique ravitaillement. Ses mécaniciens lui remettent de l'essence et l'équipent de pneus lisses (10s.). Alesi recueille le commandement provisoire. Irvine, Panis et Brundle font aussi escale aux stands et tous chaussent des slicks. Parti avec le plein, Panis change seulement de pneus et exécute donc un arrêt-éclair. Frentzen roule en 1'31'' et est désormais le plus rapide en piste.
29e: Alesi n'a qu'une petite seconde d'avance sur Hill. Villeneuve passe chez Williams pour prendre de l'essence et des slicks. Ses mécaniciens en profitent pour lui ôter de l'appui à l'arrière. Le Canadien fait une mauvaise affaire puisqu'il ressort derrière Panis et Brundle. Salo et Häkkinen ravitaillent aussi et perdent des positions.
30e: Hill déborde facilement Alesi dans la montée de Beaurivage et retrouve la première place. En fin de boucle, l'Avignonnais ravitaille et chausse les slicks (7s.). Coulthard effectue la même opération (10s.) et ressort derrière Panis, grand bénéficiaire de cette salve d'arrêts. Herbert et Badoer passent également aux stands.
31e: Brundle part en glissade en sortant de la courbe de Massenet et heurte le rail avec sa roue arrière-gauche. L'Anglais se retrouve à contre-sens devant le Casino, par bonheur hors trajectoire. Il doit renoncer.
32e: Panis vole avec ses pneus slicks et tourne en 1'29''. Il remonte aisément sur Irvine et peut entrevoir le podium. Plus loin, Herbert emmène un peloton comprenant Villeneuve, Salo, Häkkinen et Frentzen.
33e: Hill mène devant Alesi (28.8s.), Irvine (53s.), Panis (55.4s.), Coulthard (1m. 04s.), Herbert (1m. 11s.), Villeneuve (1m. 12s.), Salo (1m. 13s.), Häkkinen (1m. 14s.), Frentzen (1m. 15s.) et Badoer (-3t.).
34e: Panis est le plus véloce en piste. Il fait la jonction avec Irvine dont la Ferrari est toujours aussi instable.
35e: Panis roule dans les échappements d'Irvine qui, comme à l'ordinaire, oppose une défense musclée. Villeneuve harcèle Herbert.
36e: Panis se blottit derrière Irvine dans la descente vers l'épingle du Loews et se jette à l'intérieur. L'attaque est téméraire et le défenseur braque vivement vers la gauche. Les roues des deux monoplaces s'entrechoquent. Panis franchit l'obstacle alors qu'Irvine se retrouve face au rail. Les commissaires de piste interviennent et remettent la Ferrari dans le sens de la marche, tandis que l'Irlandais parvient à relancer son moteur. Les drapeaux jaunes sont bien évidemment agités dans ce secteur.
37e: Hill compte toujours vingt-huit secondes de marge sur Alesi. Panis, désormais troisième, poursuit sans peine malgré une direction un peu plus raide. Irvine regagne pour sa part le stand Ferrari pour remplacer son museau. Ses mécaniciens prennent aussi le temps de resserrer son harnais. Puis, il cale au redémarrage et perd en tout deux minutes.
38e: Panis abaisse le record du tour à chaque passage (1'26''687''').
40e: Hill précède Alesi (26.3s.), Panis (48.5s.), Coulthard (56s.), Herbert (1m. 06s.), Villeneuve (1m. 07s.), Salo (1m. 08s.), Häkkinen (1m. 09s.), Frentzen (1m. 10s.), Irvine (-2t.) et Badoer (-4t.).
41e: Hill s'aperçoit que son voyant moteur clignote de façon inquiétante. Quelques secondes plus tard, alors qu'il s'engage sous le tunnel, son V10 Renault explose. Le Britannique n'a plus qu'à se laisser glisser vers l'échappatoire. Il quitte son habitacle fort déçu: il est décidément maudit sur le Rocher ! Alesi recueille le leadership.
42e: Panis glisse sur l'huile répandue par Hill et part en tête-à-queue à la chicane du port. Par bonheur, il garde le contrôle de sa Ligier, se redresse au moyen d'un second tête-à-queue et regagne la piste. Mais Coulthard est revenu sur ses talons.
43e: Panis parvient à décramponner Coulthard et continue d'améliorer le record du tour. Villeneuve laisse filer Herbert et se retrouve sous la menace des deux Mika, Salo et Häkkinen.
45e: Panis se retrouve à nouveau derrière Irvine, lequel le bouchonne du boulevard à Mirabeau... Toutefois, Coulthard n'en profite pas pour rejoindre le Français. Pendant ce temps-là, Hill regagne les stands à pied, l'œil hagard.
46e: Alesi mène devant Panis (33s.), Coulthard (36s.), Herbert (45.2s.), Villeneuve (45.7s.), Salo (46.1s.), Häkkinen (46.6s.). Frentzen (48.3s.), Irvine (-2t.) et Badoer (-4t.).
48e: Villeneuve, Salo et Häkkinen se bagarrent pour la cinquième place, sous le regard de Frentzen qui a pris un peu de champ.
50e: L'asphalte est désormais complétement sec mais de gros nuages s'amoncellent au-dessus du Rocher. Panis est un petit peu plus rapide qu'Alesi et réduit son retard à vingt-huit secondes. Coulthard est semé.
51e: Alesi roule en 1'25''718''' et repousse Panis à trente secondes.
53e: Alesi hausse le ton tandis que ses mécaniciens préparent un pit-stop. Panis concède maintenant trente-quatre secondes à son compatriote.
54e: Alesi entre aux stands afin de chausser un train de pneus neufs et remettre un peu d'essence (8s.). Une précaution ou une nécessité ? Toujours est-il que le pilote Benetton reprend la piste sans avoir perdu les commandes de l'épreuve.
55e: Alesi devance Panis (14.4s.), Coulthard (21.1s.), Herbert (33.4s.), Villeneuve (35.4s.), Salo (36s.), Häkkinen (36.6s.), Frentzen (40.1s.), Irvine (-2t.) et Badoer (-5t.).
56e: Frentzen effectue son troisième arrêt aux stands et ne perd aucune position.
58e: L'intervalle n'évolue pas entre les deux Français de tête. En revanche, Coulthard a repris une seconde à Panis. Villeneuve résiste toujours aux Finlandais Salo et Häkkinen.
59e: Alesi signe le meilleur chrono de la course (1'25''205'''). Quelques gouttes de pluie sont signalées.
60e: Alesi ressent une faiblesse à l'arrière-droit de sa Benetton et rejoint son garage. Les mécaniciens examinent sommairement les suspensions et les freins, avant de relâcher leur pilote. Mais entretemps, Panis, Coulthard et cie. sont passés !
61e: Parti quatorzième, Panis est désormais premier, cinq secondes devant Coulthard ! Chez Ligier, on n'ose encore croire à une victoire... Alesi est en revanche dévasté et rentre pour de bon à son garage. La barre de torsion de sa suspension arrière-droite a cédé.
62e: Panis est maintenant leader devant Coulthard (2.8s.), Herbert (21s.), Villeneuve (22s.), Salo (24.1s.), Frentzen (50s.), Irvine (-2t.) et Badoer (-5t.).
64e: Irvine est inséré entre Panis et Coulthard et fait quelque peu bouchon devant l'Écossais. Cependant, Panis trépigne quelques instants derrière Badoer en fin de tour, ce qui permet à Coulthard de revenir à une seconde et demie.
65e: Panis réplique et boucle son meilleur chrono de la journée (1'25''581'''). Plus loin, Villeneuve recolle à Herbert et lorgne sur la troisième marche du podium.
66e: On approche des deux heures de course et il est peu probable que les 78 tours prévus seront complétés. Coulthard roule toujours derrière Irvine, sans pouvoir s'en rapprocher. Néanmoins, Panis ne s'envole pas car il doit surveiller sa consommation d'essence.
67e: Herbert arrive sur Badoer qui s'écarte au virage de Mirabeau. Pressé d'en finir, Villeneuve s'insère dans l'ouverture laissée par l'Italien... qui ne l'a pas vu. La Williams se retrouve coincée entre la muraille et la Forti. La roue avant-gauche de Villeneuve harponne la roue arrière-droite de Badoer. Le Canadien se laisse glisser jusqu'au Loews alors que Badoer se gare à l'entrée du tunnel. Les drapeaux jaunes sont déployés.
68e: Les commissaires évacuent la Williams. Il n'y a plus que sept concurrents sur le circuit.
69e: Panis précède Coulthard (2.3s.), Herbert (24.7s.), Salo (29.1s.), Häkkinen (30s.), Frentzen (52s.) et Irvine (-2t.).
70e: Le compte à rebours est désormais lancé: le Grand Prix n'ira pas au bout de la distance originelle et devrait s'achever au 75ème tour. En outre, la pluie refait son apparition ! Irvine libère Coulthard en rejoignant les stands. Il reprend de l'essence et des pneus neufs.
71e: Coulthard revient à moins d'une seconde de Panis. Irvine part en tête-à-queue dans le droit qui mène au Portier. Le Nord-Irlandais se redresse sans regarder ses rétroviseurs... Surgissent alors Salo et Häkkinen, en bagarre pour la quatrième place ! Häkkinen tamponne Salo qui tamponne Irvine ! Voici trois nouveaux pilotes éliminés. Häkkinen bondit hors de son cockpit pour enguirlander Irvine, mais il est repoussé par les commissaires qui doivent évacuer ces trois bolides en un minimum de temps.
72e: La course s'achève avec... quatre pilotes ! Panis devance Coulthard (1.6s.), Herbert (27s.) et Frentzen (56.5s.). Les commissaires ont pu ranger les bolides accidentés.
73e: L'averse s'intensifie et la piste redevient piégeuse. C'est une aubaine pour Panis car Ron Dennis demande à Coulthard d'être prudent et d'assurer la seconde place.
74e: Les deux heures de course sont atteintes: le prochain tour sera le dernier. Panis file la victoire avec trois secondes et demie d'avance sur Coulthard.
75ème et dernier tour: Olivier Panis remporte une incroyable victoire à Monaco, la première d'une Ligier depuis quinze ans. Coulthard finit second à cinq secondes du Français. Herbert se classe troisième et inscrit ses premiers points pour Sauber-Ford. Frentzen, quatrième, rejoint directement son stand, sans couper la ligne. Il n'y a donc officiellement que trois pilotes à l'arrivée ! Salo et Häkkinen sont respectivement classés cinquième et sixième et inscrivent donc des points.
Après la course: Panis - Ligier, le jour de gloire est arrivé
Dès qu'Olivier Panis reçoit le drapeau à damiers, l'équipe Ligier chavire de bonheur. Voilà exactement quinze ans, et le succès de Jacques Laffite au Grand Prix du Canada 1981, qu'elle n'avait pas connu l'ivresse de la victoire ! Ce même Laffite est présent sur la murette pour embrasser Bruno Michel, le patron des Bleus, et André de Cortanze, le directeur technique, avant le retour du héros. Panis vogue sur un petit nuage et salue la foule en brandissant un grand drapeau tricolore. « Depuis que je cours, je n'ai jamais été aussi heureux », lâche-t-il en sortant de son habitacle. Il est aussitôt assailli par ses mécaniciens et même quelques spectateurs. Il a juste le temps d'embrasser son épouse Anne avant de retrouver le prince Rainier pour la cérémonie du podium. À quelques centaines de kilomètres de là, à Thiel-sur-Acolin, Guy Ligier pleure de joie devant son téléviseur. Il aura vu ses « p'tits gars » remporter un dernier Grand Prix ! « Que voulez-vous, lâche-t-il à un journaliste qui l'a contacté, vous allez dire que le vieux est ringard de pleurer, mais c'est encore « mon » équipe. Elle est en France, elle est bleue, et ce n'est pas à mon âge que vous me changerez. »
Ce triomphe monégasque rassérène grandement une écurie durement éprouvée par les plans de « restructuration » pratiqués ces derniers mois par Flavio Briatore et Tom Walkinshaw. Les effectifs ont ainsi fondu de moitié et l'argent se fait rare. « L'avenir proche est assuré, mais l'horizon lointain n'est pas de notre ressort. Après tout, Lotus et Brabham ont disparu », rappelle Bruno Michel. « Il faut espérer que ce résultat redonnera de la vigueur à nos partenaires actuels et provoquera l'arrivée de nouvelles forces. » Il salue aussi l'excellence du V10 Mugen-Honda qui donne au Japon son premier succès en F1 depuis le retrait officiel de Honda, fin 1992.
Olivier Panis, 29 ans, est sans aucun doute le vainqueur de Grand Prix le plus inattendu depuis des lustres. Inattendu mais pas illégitime car, s'il a profité des abandons des favoris, il a tout de même doublé en piste quatre concurrents, dont le teigneux Eddie Irvine, au prix d'une manœuvre très « virile ». Le natif de Lyon ne se départ pas de sa réserve naturelle et évoque sans émotion apparente son exploit devant Didier Braillon de L'Équipe: « J'ai toujours du mal à réaliser ce qui m'arrive après une victoire. C'est encore le cas aujourd'hui. Il va me falloir du temps, mais je sais que c'est important pour la suite de ma carrière et pour Ligier. J'étais très déçu après mes déboires aux essais. Mais en course, avec la pluie, je savais qu'entre les rails, en attaquant très fort, je pourrais amoindrir l'écart avec les meilleurs (...) C'est aussi une victoire stratégique. Quand les grosses averses sont tombées en fin de matinée, les motoristes de Honda ont refait leurs calculs. Leur V10 consommant moins sous la pluie, ils nous ont incité à partir avec le plein, soit environ 100 kg. Nous savions que si nous faisions 26 tours sous la pluie, nous n'aurions pas besoin de ravitailler. Et on a finalement couvert 28 tours avant de passer les slicks (...) Dans ma position, il m'était important de doubler le plus vite possible. Cela a été facile avec Brundle, Häkkinen et Herbert. Mais Irvine ne voulait pas lâcher. Je l'ai touché, cela a été un peu mouvementé, mais je m'en suis sorti sans dommage, à part une biellette de direction tordue. Elle ne m'a pas gêné. »
La fin de l'épreuve fut cependant pénible pour Panis qui, après s'être très bien sorti d'un tête-à-queue à la chicane du port, a dû, une fois en tête, surveiller sans cesse le retour de David Coulthard: « C'est vrai que David poussait fort, mais j'arrivais à bien gérer cette pression. J'ai gagné des courses de Formule 3000 devant lui ! C'est dur d'être en tête et de rester concentrer, mais je sais que je peux le faire. Quand j'ai vu le drapeau à damiers, cela a été comme une explosion. Je n'avais plus gagné depuis le temps de la F3000, il y a deux ans et demi. Cela commençait à me chatouiller un peu ! » Après l'effort et le réconfort, viennent les mondanités: ce dimanche soir, les époux Panis sont les invités (surprise) de Rainier III lors du gala du Sporting Club de Monaco. Le pilote français, ému, est plus applaudi que Michael Schumacher...
Fait rare: tous les ténors du peloton ont fini cette épreuve monégasque au tapis. Damon Hill, frappé une très rare panne du V10 Renault, est surtout déçu de ne pouvoir rejoindre son père au palmarès de cette épreuve, car, du fait de l'abandon de Jacques Villeneuve, son avance au championnat demeure intacte. À signaler que prend une fin une incroyable série de seize victoires consécutives pour le motoriste français. Jean Alesi est effondré d'avoir laissé échapper une énième victoire pour une raison inexplicable, puisqu'il jure à Flavio Briatore n'avoir rien touché ! Mais le plus penaud est Michael Schumacher dont la course a duré... quarante secondes: « J'ai fait une erreur. Je suis désolé pour l'écurie. Je m'en veux terriblement... Au freinage du Portier, j'ai opté pour une trajectoire plus élargie. C'était une erreur. Il n'y avait aucun grip à cet endroit. » Mais Jean Todt ne lui veut aucunement: « Michael accepte plus volontiers les erreurs des autres que les siennes propres. C'est une qualité rare et c'est une des raisons pour lesquelles nous sommes fiers de le compter parmi nous. C'est un grand monsieur ! »
Ron Dennis et Norbert Haug sont en revanche très satisfaits de ce week-end qui rapporte sept points à McLaren-Mercedes. La victoire attendra cependant car David Coulthard a justement estimé qu'il ne pouvait pas rattraper la Ligier de tête. « Panis pilotait fantastiquement, et je ne pouvais le doubler qu'à condition qu'il commette une erreur », explique le Britannique. « Pour l'avoir pratiqué de près en F3000, je savais qu'il n'en ferait sans doute pas ! Aussi ai-je préféré ramener la voiture à l'arrivée. » Enfin, les troisième et quatrième places de Johnny Herbert et d'Heinz-Harald Frentzen permettent à Sauber d'inscrire enfin ses premiers points en 1996. Il était temps, car Ford, le motoriste de l'écurie helvète, commençait à s'impatienter. Mais si Herbert est heureux de grimper sur le podium, après un début de saison calamiteux, Frentzen est mécontent car il estime que, sans sa collision avec Eddie Irvine, il aurait pu gagner la course. Si on ajoute que Mika Häkkinen veut lui casser la figure, on peut dire que le Nord-Irlandais s'est fait beaucoup d'amis ce dimanche après-midi !...
Tony