Depuis le lancement de sa candidature à la présidence de la FISA, au début de l'été, Max Mosley a patiemment rallié à lui de grandes fédérations nationales irritées par l'autoritarisme et la prétendue mauvaise gestion de Jean-Marie Balestre. On l'a vu, le monde britannique s'est massivement et sans surprise rangé sous sa bannière. C'est d'ailleurs la Nouvelle-Zélande qui présente sa candidature. Mais Mosley profite aussi de sa position de président de la commission des constructeurs pour nouer des alliances avec des grandes firmes mondiales, notamment américaines (Ford, General Motors) et japonaises (Toyota, Nissan). Honda reste officiellement neutre, mais son patron Nobuhiko Kawamoto souhaite le succès de Mosley. Il n'a en effet pas du tout apprécié les immixtions de Balestre dans le déroulement des derniers championnats du monde de Formule 1. Les Allemands (Mercedes et BMW en tête) embrassent aussi la cause de l'avocat anglais, même si l'AvD vote Balestre. Les Français (Renault, Peugeot, Citroën) demeurent à l'écart de la compétition, mais Mosley peut compter sur l'appui (non négligeable) de Guy Ligier, auquel il a servi de conseil dans l'installation de la soufflerie de Magny-Cours. Restent les Italiens. Fiat discute avec les deux camps, et Balestre parvient à conserver l'appui conditionnel de Fabrizio Serena di Lapigio, l'influent président de la CSAI.

 

Au cours du mois de septembre, Jean-Marie Balestre comprend que le sol est en train de se dérober sous ses pieds. Certes, il peut compter sur un groupe de soutiens encore solide (les Arabes, les Africains francophones, les Européens de l'Est etc.) et quelques grands barons comme Michel Boeri. Mais en treize années de gestion autocratique et arbitraire, il s'est fait beaucoup trop d'ennemis. Par exemple les pays extra-européens organisateurs des rallyes (« un domaine gangrené par la pagaille et la magouille » dixit une huile de la fédération), Kenya en tête, se tournent vers Mosley. Aussi, lorsqu'il annonce très tardivement sa propre candidature, le 24 septembre, le président sortant est déjà résigné. Son programme est vide. Il se contente de capitaliser sur son bilan qui est loin d'être nul. Sous son règne, le sport automobile a connu un impressionnant essor et compte à ce jour 70 millions de licenciés à travers le monde. L'autorité sportive a été restaurée, au prix, il est vrai, en ce qui concerne la F1, d'un accommodement avec Bernie Ecclestone et son empire FOCA-FOPA. Surtout, Balestre a mené un ardent combat pour la sécurité qui a apporté des résultats impressionnants. Des dizaines de pilotes lui doivent indéniablement la vie. Mais ce personnage vaniteux et hautain, ne souffrant aucune opposition, prompt à humilier ses contradicteurs, est craint et non pas aimé. Aujourd'hui que ses ennemis ont trouvé un champion en la personne de l'habile Mosley, ils ne vont pas laisser passer l'occasion de s'en débarrasser.

 

Le scrutin se tient le 9 octobre 1991 à Paris, à l'occasion du Conseil mondial de la FISA. Les jours précédents, les deux candidats élisent domicile à l'Hôtel Crillon. Là, ils se livrent à d'ultimes manœuvres électorales. À Serena di Lapigio qui réclame des réformes, Balestre promet tout ce qu'il veut. La veille du vote, arrivent Burdette Martin, président de l'ACCUS, et Marami Makino, directeur de la fédération japonaise. Tous deux annoncent qu'ils voteront Mosley. Pour Balestre, c'est le coup de grâce. Bernie Ecclestone, qui a jusqu'ici suivi l'ascension de son ancien bras droit avec détachement, s'en mêle enfin. Il téléphone à Balestre, son vieil ennemi, pour lui demander de se retirer, afin d'éviter une humiliante défaite. Le Français refuse. Le 9 octobre, à 13h30, le résultat du scrutin tombe. Max Mosley est élu président de la FISA avec 43 voix contre 29 à Jean-Marie Balestre. Celui-ci, très digne, félicite son vainqueur et procède immédiatement à la passation de pouvoirs. Le nouveau président est un peu surpris: il ne s'attendait pas à une aussi large victoire. « Jusqu'au dernier moment, les alliances se font et se défont ! Et Balestre est un fin politicien... » lâche-t-il, rassuré...

 

Aussitôt, Mosley dévoile à la presse les grandes lignes de sa future action: fin de la « dictature balestrienne », plus de dialogue, de consensus, paix avec les autorités sportives américaines... « Le président Balestre est un entrepreneur et agissait comme tel. Aujourd'hui, une page est tournée, la FISA avait besoin de changement et j'en suis l'instrument », affirme-t-il. Par ailleurs, il annonce qu'il remettra son mandat en jeu dans un an, afin de montrer qu'il cherche avant tout l'efficacité. En ce qui concerne la Formule 1, Mosley développe quelques idées précises. Là encore, il entend rompre avec le passé, et notamment avec l'interventionnisme à la Balestre. « Le président de la FISA n'a pas à participer aux briefings des pilotes. Je n'assisterai qu'à deux ou trois courses par an », clame-t-il. Afin de réduire les coûts, il propose de remplacer l'essence spéciale par de l'essence du commerce. Enfin et surtout, le Britannique juge que la Formule 1 a pris trop d'importance par rapport aux autres disciplines (Endurance, Rallye, Tourisme...) qui manquent de spectateurs, donc de visibilité, de publicité et d'argent. Les passionnés de ces sports l'attendent au tournant: Mosley est l'ami d'Ecclestone, l'homme qui les étouffe depuis dix ans en drainant les crédits et les sponsors vers la F1. Le nouveau président est-il, comme il le jure évidemment, un homme neuf, libre de toute attache ? Ou le stipendié du « Grand Argentier » ? Réponse dans quelques mois...

 

Quant à Balestre, vaincu, il n'est néanmoins pas dépourvu d'un certain pouvoir de nuisance. Il demeure président de la FIA et son mandat ne s'achèvera que fin 1993. Or, c'est la FIA qui détient les droits de tous les championnats mondiaux et garantit le respect du Code sportif. Cette instance a les moyens de contrecarrer l'action de la FISA de Mosley. Reste à savoir si, à 70 ans passés, Balestre a envie de mener une guérilla contre son rival ou s'il se résoudra à peu à peu passer la main. En tout cas, en conservant sa double casquette de président de la FIA et de la FFSA, il ne sera absolument pas désœuvré.

Tony