Nouveautés réglementaires
La FISA introduit quelques changements techniques à l'orée de cette nouvelle saison, principalement dans une perspective sécuritaire. Les cockpits sont ainsi élargis afin de permettre à un pilote de s'en extraire en moins de six secondes sans retirer le volant, ce qui est très important en cas de risque d'incendie. De même la forme de l'habitacle est revue pour permettre une meilleure protection. L'arceau de sécurité fait dorénavant corps avec la coque grâce à des points d'ancrage, et ce afin de protéger encore un peu plus la tête du pilote si la voiture fait des tonneaux. Enfin le poids minimal des bolides est fixé à 505 kilogrammes afin de prendre en compte les caméras embarquées que Bernie Ecclestone entend faire proliférer. Cette nouvelle réglementation entrera en vigueur au Grand Prix de Saint-Marin afin de laisser le temps aux écuries d'adapter tous leurs modèles.
Au grand désarroi des petites équipes, le format des pré-qualifications n'est pas modifié. Elles auront toujours lieu sur une heure le vendredi matin. Là encore, la FISA et la FOCA agissent de concert afin de décourager les concurrents les plus faibles.
Présentation des écuries
Les quatre top-teams
McLaren-Honda a une double couronne à défendre face à une concurrence de plus en plus agressive. Une nouvelle équipe technique s'installe sous la seule direction de Neil Oatley. Steve Nichols a accompagné Prost chez Ferrari tandis que Gordon Murray, démotivé, a choisi de quitter la F1. La faiblesse de la MP4/5 était l'aérodynamisme. La nouvelle MP4/5B est semblable à sa devancière mais se singularise par un extracteur arrière « à ogives » censé apporter plus d'effet de sol. Honda présente son V10 RA 100E conçu pour faciliter son exploitation par le pilote. La centrale de gestion électronique est inédite tandis que les coulisses de gaz sont remplacées par des papillons. Le bloc développe 690 chevaux à 13 000 tr/minute. Après un hiver mouvementé, Ayrton Senna revient bien décidé à reconquérir le titre mondial. Son nouvel équipier est le jovial Gerhard Berger avec lequel les relations devraient être beaucoup plus apaisées qu'avec Prost. Mais l'Autrichien ne fait pas mystère de ses ambitions et souhaite lui aussi devenir champion du monde. Pour développer la McLaren et surtout le futur V12 Honda, Ron Dennis compte aussi sur deux pilotes d'essais: l'expérimenté Jonathan Palmer et le jeune Écossais Allan McNish.
Ferrari aborde 1990 avec une certaine circonspection. En effet John Barnard a quitté le navire en laissant en plan la conception de la 641. Steve Nichols, arrivé de McLaren dans les bagages d'Alain Prost, est chargé de la finition. Il rajoute un nouvel extracteur et des pontons arrondis pour loger de plus gros réservoirs. La boîte de vitesses électromagnétique possède dorénavant un dispositif de court-circuitage des rapports qui devrait prévenir de nombreuses pannes. Aussitôt arrivé, Prost prend les choses en main à Fiorano. Son but est simple: décrocher sa quatrième couronne mondiale avec les Rouges. Il se concentre sur le réglage des châssis, laissant les ingénieurs tirer le maximum de puissance du V12. Il apprend l'italien pour communiquer avec ses collaborateurs, ce qui d'emblée indispose son collègue Nigel Mansell qui ne parle pas un mot de la langue de Dante. La cohabitation entre les deux hommes s'annonce complexe... Cesare Fiorio n'en a cure et proclame jouir du meilleur duo au monde !
Les deux victoires décrochées en 1989 ont gonflé le moral de l'association Williams-Renault-Elf qui cette année vise des succès réguliers, avant d'envisager le titre mondial en 1991. Patrick Head et ses deux assistants, Enrique Scalabroni et Eghbal Hamidy, retouchent la FW13, apparue à la fin de l'année dernière et destinée à disputer toute cette saison. Le V10 Renault, plus court, développe 660 chevaux et nécessite des adaptations au niveau de la coque et du châssis. La suspension avant est modifiée, d'où l'apparition de deux inesthétiques bosses sur la calandre. Le moteur dispose d'une centrale de gestion Marelli-Weber dernier cri. Malgré ses victoires en 1989, Thierry Boutsen est attendu au tournant par Frank Williams car il n'a pas su prendre la mesure de son équipier, le vétéran du paddock Riccardo Patrese qui entame à 36 ans sa quatorzième saison de F1.
Le flamboyant Flavio Briatore a totalement réorganisé Benetton et engagé John Barnard, chargé avec Rory Byrne de dessiner la future B190 qui n'apparaîtra qu'au GP de Saint-Marin. La B189 assure l'intérim sans modification. Ford et Cosworth préparent de leur côté un nouveau V8 qui doit offrir vingt chevaux de plus que l'an passé. Vainqueur de sa première course l'an dernier, Alessandro Nannini espère récidiver et, pourquoi pas, rivaliser avec son nouvel équipier Nelson Piquet. A 37 ans, le triple champion du monde possède un curieux contrat sans salaire, mais qui prévoit une prime de 50000 $ à chaque point inscrit ! De quoi entretenir la motivation du Carioca qui a sérieusement entaché sa réputation ces deux dernières années chez Lotus. Beaucoup pensent en effet que Piquet est un « has-been » qui ne cherche plus qu'à remplir son compte à banque en prévision de sa retraite. A lui de les contredire... Enfin Barnard apporte avec lui l'ingénieur Giorgio Ascanelli, qui travaillait avec Gerhard Berger chez Ferrari, et se chargera dorénavant de la voiture de Piquet.
Les outsiders
L'an passé Tyrrell a vécu sa meilleure saison depuis fort longtemps en décrochant la cinquième place du championnat des constructeurs. Le team d'Ockham repart donc de l'avant, d'autant plus qu'il disposera en 1991 du V10 Honda. Pour l'heure, il faut composer avec le V8 Cosworth DFR autour duquel Harvey Postlethwaite et Jean-Claude Migeot bâtissent la future 019. L'ancienne 018 disputera les deux premières épreuves de la saison. Sa livrée bleue et blanche met en valeur deux nouveaux sponsors (Epson et PIAA). Côté pneus, Tyrrell délaisse Goodyear pour Pirelli. Le grand espoir français Jean Alesi, champion d'Europe de Formule 3000, doit confirmer les excellentes dispositions dont il a fait montre en 1989. Quant à son collègue Satoru Nakajima, véritable VRP de Honda, il tentera de ne pas être trop distancé.
Avec un ex-propriétaire (Joachim Lüthi) en prison et plusieurs plaintes déposées par Peter Windsor et Martin Brundle (salaires impayés) sur le dos, Brabham a failli ne pas passer l'hiver. Après avoir envisagé une fusion avec Onyx, Bernie Ecclestone a finalement convaincu Nakauchi Isao, le propriétaire du groupe japonais Middlebridge, d'investir dans son ancienne écurie. Problème: celui-ci a aussi racheté Onyx ! Finalement, à l'issue d'un tour de passe-passe pour le moins nébuleux, les Brabham sont au départ de Phoenix. Les hommes d'Herbie Blash alignent une BT58-Judd qui n'a pu être modifiée durant l'hiver. Le choix des pilotes est aussi l'occasion d'un bel imbroglio: en partance vers Arrows, Stefano Modena est retenu par la manche à la dernière minute. Son équipier est Gregor Foitek qui apporte l'argent de son père Karl mais ne dispose que d'un contrat de deux courses.
Rachetée par le groupe japonais Footwork, Arrows a conclu un accord avec Porsche qui doit lui fournir un V12 atmosphérique en 1991. Alan Rees et Jackie Oliver ont recruté Alan Jenkins pour concevoir l'A12 qui devra l'accueillir. En attendant, 1990 sera une année de transition avec une A11B construite par James Robinson, l'ex-adjoint de Ross Brawn, et munie du V8 Ford-Cosworth DFR préparé par Brian Hart. Côté pilotes, l'expérimenté Michele Alboreto, 33 ans, souhaite connaître encore quelques belles années avec cette équipe de milieu de tableau. Il fera équipe avec le fougueux Alex Caffi qui espère voir enfin sa carrière décoller.
Lotus a vécu en 1989 une des pires saisons de son histoire avec seulement quinze points inscrits en fin de saison, mais peut a priori aborder 1990 avec optimisme. Tony Rudd a conservé le soutien de Camel et obtenu le prometteur V12 Lamborghini. Les pilotes sont l'expérimenté Derek Warwick et le prometteur Martin Donnelly. Hélas, durant l'hiver, alors qu'il dessine la nouvelle 102, Frank Dernie omet de prendre en compte les recommandations de Mauro Forghieri concernant les dimensions du réservoir d'huile. Celui-ci s'avère trop petit, et les ingénieurs doivent en concevoir un autre exemplaire en catastrophe quelques jours avant le GP des États-Unis. C'est donc avec une monoplace ayant peu roulé que Warwick et Donnelly arrivent à Phoenix.
Leyton House a entièrement racheté le groupe March et donne désormais son nom à l'équipe de Bicester. Adrian Newey revoit sa copie après une saison 1989 totalement manquée. La nouvelle CG891 possède une coque largement modifiée mais sa version définitive apparaîtra plus tard. Par ailleurs, Newey est maintenant chapeauté par Gustav Brunner, promu directeur technique. La Leyton House est toujours propulsée par un V8 Judd, mais Ian Phillips a signé un accord pour utiliser à partir de la saison prochaine un moteur conçu par l'atelier britannique Ilmor fondé par les ingénieurs Mario Illien et Paul Morgan. Pour le moment, Ivan Capelli et Maurício Gugelmin entame leur troisième année de compagnonnage avec l'ambition d'inscrire des points régulièrement.
Les sans-grade
Désormais allié au consortium japonais Espo, Gérard Larrousse souhaite enfin obtenir de bons résultats en 1990. Sous la houlette de Gérard Ducarouge, Chris Murphy affine et allège sa LC89, en attendant la nouvelle voiture qui arrivera à Imola. A noter que ces machines sont engagées sous le nom de « Lola », un détail qui aura plus tard son importance. De son côté, Mauro Forghieri accroît la fiabilité du puissant mais jusqu'ici fort fragile V12 Lamborghini. Enfin, Larrousse aligne une paire de jeunes loups: le Français Éric Bernard, déjà aperçu à deux reprises en 1989, et le Japonais Aguri Suzuki, patronné par Espo.
L'écurie Ligier entame la quinzième saison de son histoire mais malheureusement sans espoir de réussite. Aucun ingénieur de renom n'a voulu rejoindre Magny-Cours, et les « Bleus » n'utiliseront donc cette saison qu'une JS33 amaigrie, toujours équipée du poussif V8 Ford-Cosworth. Les pilotes laissent aussi sceptique: Philippe Alliot vient de chez Larrousse où il a cassé beaucoup de matériel, et le jeune Nicola Larini n'a pour tout bagage que trois saisons de galère chez Coloni et Osella. Seule lueur à l'horizon: une boîte transversale X-Trac est en préparation, mais elle n'apparaîtra pas avant la mi-championnat.
La Scuderia Italia a inscrit sept points en 1989 et désire améliorer ce score. Conçue par Giampaolo Dallara et le nouvel arrivant Christian Vanderpleyn, la Dallara 190 ne sera adaptée au nouveau règlement qu'à compter d'Imola. Elle se distingue par ses ressorts hélicoïdaux de très petits diamètres qui permettent de limiter la taille des échancrures ménagées sur l'auvent pour les recevoir. Cette élégante machine est cependant toujours propulsée par le faible V8 Cosworth DFR qui semble la condamner au milieu de la grille. Andrea de Cesaris apporte toujours le soutien le Philip Morris et est donc de la partie. Son équipier sera Emmanuele Pirro qui obtient enfin un volant à temps plein après avoir joué les utilités chez McLaren et Benetton.
Après sa belle saison 89, Minardi souhaite transformer l'essai cette année et placer régulièrement ses voitures parmi les six premiers. Le fidèle Pierluigi Martini fait maintenant équipe avec Paolo Barilla qui fut son suppléant l'an passé au GP du Japon. La nouvelle M190 ne sera pas prête avant Imola, et la M189 reprend du service en attendant. Mais le plus important se déroule en coulisses: Giancarlo Minardi s'est entendu avec Gianni Agnelli pour bénéficier du V12 Ferrari en 1991 ! C'est un beau rêve qui se réalise pour le petit constructeur de Faenza qui voue depuis toujours un culte au Commendatore et à la firme au cheval cabré.
Walter Brun a déniché des commanditaires aux Émirats arabes unis afin de poursuivre son l'aventure d'Eurobrun en Formule 1. Grâce à ces fonds, il trouve un accord avec le groupe Pehr, promoteur autrichien d'un nouveau moteur V12 baptisé Neotech, conçu par Rolf-Peter Marlow, un ancien de BMW et de Porsche. Brun souhaite en équiper ses F1 et ses voitures de Groupe C. George Ryton parti chez Tyrrell, c'est Roberto Ori et Kees van der Grint qui se chargent d'alléger l'ER189, transformée en version B, et munie pour l'heure du V8 Judd de l'an passé. Elle adopte une belle livrée gris métallisé. Deux modèles sont engagés: le premier pour l'expérimenté Roberto Moreno, le second pour l'Italien Claudio Langes, un modeste figurant de F3000 qui apporte des liquidités appréciables.
Onyx a connu un hiver très agité. Tout d'abord son fantasque propriétaire Jean-Pierre Van Rossem rachète les parts de Mike Earle et de son adjoint Joe Chamberlain pour donner les plains pouvoirs à Alan Jenkins. Puis, van Rossem perd soudainement toute sa fortune lors du décès de sa femme et quitte Onyx avec une ardoise de six millions de dollars. Il est bientôt inculpé d'escroquerie... Paniqué, Jenkins demande l'aide de Bernie Ecclestone qui l'aiguille vers les Japonais de Middlebridge qui ont aussi racheté Brabham. Les deux entités sont censées fusionner à terme mais, après de ténébreuses tractations, l'affaire est annulée pour éviter des poursuites judiciaires. Onyx est finalement reprise in extremis par un consortium suisse conduit par Peter Monteverdi, le célèbre collectionneur et constructeur de voitures de sport, et Karl Foitek. Stefan Johansson et JJ Lehto retrouvent leurs monoplaces de 1989 inchangées. Et pour couronner le tout, Monteverdi nomme le duo Earle - Chamberlain à la tête du nouvel ensemble. Les retrouvailles avec Jenkins sont fraîches...
A court d'argent fin 1989, Enzo Coloni est sur le point de mettre la clef sous la porte lorsque Subaru lui apporte le salut. Le constructeur nippon veut en effet concurrencer Honda sur son terrain de prédilection en automobile, la F1, et rachète 51% des parts de la petite scuderia, rebaptisée Subaru Coloni Racing. Petit souci: Subaru n'a pas les moyens humains pour construire un moteur de F1. Elle sous-traite donc un Flat 12 à Motori Moderni, l'officine de Carlo Chiti, censé délivrer plus de chevaux que le V8 Ford-Cosworth. Ce boxer ressemble à s'y méprendre à celui réalisé par Alfa Romeo en 1978... Il est placé dans une FC189B confiée au Franco-Belge Bertrand Gachot qui espère rebondir après ses débuts difficiles chez Onyx et Rial. Enfin, Coloni utilise désormais des pneus Goodyear.
Après une saison 1989 catastrophique, Cyril de Rouvre restructure AGS qu'il confie à l'expérimenté Hugues de Chaunac, le fondateur d'Oreca et grand découvreur de talents tricolores. Claude Rouelle est nommé directeur technique et supervise avec Michel Costa la conception de la JH25 qui n'est pas prête pour le coup d'envoi du championnat. La JH24 reprend donc du service. Gabriele Tarquini et Yannick Dalmas conservent leur volant et espèrent au moins se qualifier régulièrement.
Enzo Osella réunit encore une fois un budget avec des bouts de ficelle mais n'aligne plus qu'un seul bolide, la FA1M de l'an passé, confiée au Français Olivier Grouillard, licencié comme un malpropre par Guy Ligier alors qu'il n'avait pas démérité. Une nouvelle voiture doit apparaître à Imola. A noter qu'Osella a ouvert son capital à l'un de ses sous-traitants, le fabricant de jantes Fondmetal.
On se souvient que l'an passé l'entreprise First Racing initiée par Lamberto Leoni avait capoté avant même le début du championnat. Pour financer sa saison de F3000, Leoni a vendu la First au businessman italien Ernesto Vita, lequel décide d'utiliser cette base pour construire une nouvelle voiture, la Life L190 (Life = Vita, vie en italien). Gianni Marelli se charge de mettre aux normes le châssis et s'inspire pour cela de la Benetton B188. Le pétrolier italien Agip est le principal commanditaire de l'opération. La Life est équipée d'un étonnant moteur W12 (trois rangées de quatre cylindres sur un carter commun) conçu par Franco Rocchi. Hélas, cette voiture très lourde paraît aussi dangereuse à piloter que sa devancière. Vita compare ainsi lui-même la coque en carbone à « du papier de soie ». La Life franchit malgré tout le crash-test. C'est l'Australien Gary Brabham, le fils cadet de Sir Jack, ancien vice-champion d'Angleterre de F3, qui a la délicate mission de la conduire...
Enfin, les deux équipes allemandes Zakspeed et Rial ont mis un terme à leurs activités. Zakspeed n'avait plus de partenaire suite au retrait de Yamaha. Quant à Rial, son patron Gunter Schmidt a préféré liquidé l'affaire avant de faire faillite. Les artisans teutons n'ont décidément aucune réussite en Formule 1, un triste constat à l'heure où Porsche et surtout Mercedes triomphent en Endurance.
En ce qui regarde la fourniture des pneumatiques, Goodyear se taille la part du lion en fournissant McLaren, Williams, Ferrari, Benetton, Lotus, Arrows, Leyton House, AGS, Ligier, Larrousse, Onyx et Life. Pirelli équipe toujours la plupart des monoplaces de fond de grille (Osella, Coloni, Eurobrun) mais commence aussi à percer avec des clients compétitifs comme Tyrrell, Minardi, Brabham et Dallara.
Tony