Alessandro Nannini, meurtri mais miraculé
Le vendredi 12 octobre 1990, Alessandro Nannini loue un hélicoptère Écureuil mono-turbine afin de rendre visite à ses parents, sa sœur Gianna et son épouse Paola dans la villa familiale de Bellosguardo, en Toscane. Il part de Sienne avec un pilote et deux de ses amis. Le voyage se déroule sans encombre jusqu'à l'approche de la demeure, vers 14h30. L'engin manque son atterrissage. Les pales de l'appareil touchent une terre trop molle. L'Écureuil se cabre et remonte avant une brusque chute au sol de près de trente mètres. Si le pilote et les deux amis n'ont que des blessures superficielles. Sandro Nannini gît coincé dans l'habitacle, conscient mais horriblement blessé. Son avant-bras droit a été sectionné par une pale de l'hélicoptère. Il perd du sang en abondance. La situation est dramatique.
La famille Nannini alerte les secours en catastrophe. Nannini est transporté à la polyclinique de Sienne, puis orienté vers le Centre de traumatologie de Carregi, à Florence. Bien que l'hémorragie soit jugulée, Nannini risque l'amputation du bras droit. Il est sauvé par une greffe d'urgence pratiquée dans la soirée par le professeur Carlo Bufalini. L'opération dure pas moins de dix heures. Le docteur doit reconstituer au millimètre près le bras droit du malheureux. De plus, des complications apparaissent à la main et au bras gauches, victimes de graves lésions. Mais le lendemain, le sang irrigue à nouveau ses membres antérieurs. Comme Martin Donnelly deux semaines plus tôt, Sandro Nannini voit sa carrière s'achever brutalement. Mais au moins est-il vivant, et entier.
Le paddock est très ému par le drame qui frappe Nannini, un garçon jovial, charmant, et surtout l'un des plus grands espoirs de la F1. Flavio Briatore lui cherche un remplaçant pour les deux derniers Grands Prix. Son choix est vite arrêté. En juillet, Benetton a engagé Roberto Moreno, qui végétait chez Eurobrun, comme pilote d'essais, sur la recommandation de son ami Nelson Piquet. Libéré par le retrait de Walter Brun, il accepte avec enthousiasme cette chance inespérée. Infatigable bourlingueur, Carioca comme Piquet, Moreno a jusqu'ici fait de la figuration en F1 avec AGS, Coloni et enfin Eurobrun. Son titre international de F3000 en 1988 ne lui a pas servi à grand-chose. Ce petit Brésilien au front dégagé remâchait une certaine rancune: « Il n'y en a toujours que pour Senna, Piquet ou Gugelmin. Je suis le Brésilien de trop ». Son amitié avec Piquet a sans doute sauvé sa carrière. A lui maintenant de démontrer ses qualités au volant d'une machine compétitive.
Senna - Prost: une finale qui sent le souffre
Comme en 1988, comme en 1989, le Grand Prix du Japon à Suzuka devrait départager Ayrton Senna et Alain Prost, tous deux en lice pour le titre mondial des pilotes. La donne paraît simple. Neuf points séparent les deux rivaux, pour l'instant à l'abri d'un décompte. Si Senna termine devant Prost, il sera sacré champion du monde pour la seconde fois. Si le Français marque un point de plus que le Brésilien, alors la décision sera reportée à Adélaïde. Reste une éventualité à laquelle personne ne songe: un double K.O. qui offrirait la couronne à Senna...
Avant de quitter l'Europe, Ayrton Senna se rend à Milan, chez son ami le couturier Gianni Versace, au bras de sa nouvelle petite amie, le mannequin américain Carole Alt. « Quand j'aurai rencontré la femme idéale, j'aurai des enfants » assure-t-il aux journalistes de la presse du cœur. Il fait aussi part de sa foi toujours vibrante et du traumatisme que lui a infligé l'accident de Martin Donnelly. Mais une fois au Japon, Senna fuit les mondanités. Il se mure dans le silence et se concentre exclusivement sur cette finale. Il est manifestement à mal à l'aise. Les souvenirs de l'accrochage de 1989 et de ses suites, la mise à l'index par la FISA, le conflit avec Jean-Marie Balestre, le hantent. Il n'a rien oublié des humiliations subies. Il estime avoir un compte à régler, non seulement avec Prost, mais aussi et surtout avec le président de la fédération. « J'ai beaucoup de choses à effacer ici », confie-t-il à quelques amis. Cette blessure mal cicatrisée développe chez lui une forme de paranoïa. Petit à petit, Senna se persuade qu'« on » lui en veut, qu'« on » va tout faire pour l'empêcher, encore une fois, de devenir champion du monde... Et l'absence de Balestre, resté à Paris, ne le calme pas, bien au contraire...
Pour sa part, Alain Prost est plus serein. Il n'a pas grand-chose à perdre et affiche une pleine confiance dans les capacités de sa Ferrari: « Je crois que notre voiture est intrinsèquement plus rapide que la McLaren en configuration de course. Meilleur châssis, moteur qui se rapproche de plus en plus du Honda, voire meilleur dans certains domaines ». Et il est vrai que si dans les portions rapides du tracé, Senna et son Honda auront un avantage, Prost et sa Ferrari seront plus à l'aise dans les grandes courbes. Le Français reçoit de plus la visite d'un fan de premier ordre, son ami Alain Delon. L'acteur est un passionné de belles mécaniques, mais on ne l'a plus vu dans les paddocks depuis les années 60. Sa présence au Japon, pays où sa popularité est immense, est un événement. Invité d'honneur de Ferrari, il ne cache son admiration pour Prost, résident suisse comme lui.
Le championnat du monde des constructeurs n'est également pas joué. McLaren-Honda compte dix-huit longueurs de marge sur Ferrari et peut donc en finir à Suzuka, à condition de ne pas céder plus de deux points à l'équipe italienne.
Cesare Romiti, l'administrateur-général du groupe Fiat, est à Suzuka pour assister à ce match Italie-Japon. « La fierté de notre groupe est de relever le défi des Japonais dans toutes les disciplines ! » proclame-t-il. En effet, pendant qu'en Formule 1 Ferrari affronte Honda, en rallye Lancia fait face à quatre constructeurs nippons: Toyota, Mitsubishi, Subaru et Mazda ! Dans ce sport, la bataille de 1990 s'achève par un match nul: Lancia remporte le titre constructeurs, mais c'est Carlos Sainz sur Toyota qui gagne la coupe des pilotes. Fiat aimerait obtenir un résultat inverse en F1: si le championnat des constructeurs paraît promis à McLaren-Honda, Prost peut encore battre Senna... Chez les Rouges, on craint les réactions épidermiques du Brésilien. Mais on a aussi l'œil sur Gerhard Berger. Depuis quelques mois, le grand Tyrolien irrite de plus en plus ses camarades par ses manœuvres d'intimidation ou ses « dépassements au bulldozer » dont Prost, Mansell, Alesi et Boutsen ont été successivement victimes. Au cours des essais privés d'Estoril, il subit un rude accident dont il sort avec la nuque endolorie. Certains souhaitent que cette alerte lui aura quelque peu remis les idées en place. Berger nie cependant toute agressivité et affirme, comme toujours depuis le début de l'année, que ses erreurs de conduite sont imputables à sa mauvaise position dans le cockpit.
Présentation de l'épreuve
Le plateau 1991 se met peu à peu en place. Lâchée par Lamborghini, l'écurie Espo-Larrousse utilisera l'an prochain des V8 Ford-Cosworth DFR préparés par Brian Hart, fondés sur ceux fournis à Tyrrell cette saison. Gérard Larrousse n'est toutefois pas au bout de ses peines. Il s'inquiète des difficultés financières de son associé Kazuo Ito, incapable de lui offrir une garantie de financement pour 1991. Dans le même temps, il discute avec Cyril de Rouvre d'une éventuelle fusion entre son écurie et AGS, à l'horizon 1992... Réunies, les deux écuries françaises pourraient aligner un budget de 160 millions de francs et dénicher un excellent moteur. Gérard Ducarouge serait la clef de voûte de l'édifice. C'est du moins ce que Larrousse explique à son interlocuteur...
Erik Comas choisit de rejoindre Thierry Boutsen chez Ligier-Gitanes suite aux encouragements du pilote belge qui l'a convaincu que les Bleus lui offraient un bien meilleur avenir que Brabham. Nicola Larini migre pour sa part chez Lamborghini dont il sera le pilote n°1 en 1991. Brabham officialise le retour de Martin Brundle qui aura pour principale mission de développer le nouveau V12 Yamaha, présenté à Suzuka. C'est un petit moteur à 70° et cinq soupapes par cylindre. Son équipier n'est pas encore connu, mais il ne s'agira pas de David Brabham qui a démontré cette saison que décidément le talent n'était pas héréditaire. Deux pilotes quittent la Formule 1 pour les Protos: Derek Warwick remplace Brundle chez Jaguar et Philippe Alliot est engagé par Peugeot pour piloter la nouvelle 905.
Jackie Oliver tient une conférence de presse annonçant qu'à compter de 1991 ses machines se nommeront Footwork, du nom de son sponsor nippon. Le V12 Porsche qui propulsera la future FA12 est dévoilé par Wataru Ohashi, le PDG de Footwork. Ce moteur à 80° a pour particularité de posséder de prise de puissance au centre de vilebrequin. Les premiers essais ont été menés par Bernd Schneider, mais Michele Alboreto et Alex Caffi seront bien les pilotes titulaires l'an prochain.
Clive Chapman annonce un grand ménage à la tête du Team Lotus à l'issue de cette calamiteuse saison 1990 (trois points inscrits, le pire résultat de l'histoire du constructeur). Tony Rudd va céder son poste de directeur à Peter Collins, l'ancien team manager de Benetton. Peter Wright prend en main le département technique en lieu et place de Frank Dernie. Dans l'immédiat, Lotus doit remplacer le pauvre Martin Donnelly qui est toujours dans le coma bien que son état de santé se soit amélioré. Collins parvient à placer son protégé Johnny Herbert qui, après sa douloureuse expérience chez Benetton l'an passé, s'était exilé au Japon.
Remis de sa blessure contractée au Portugal, Alex Caffi récupère le volant de son Arrows. Chez Minardi, le poulain de Ferrari Gianni Morbidelli prend d'ores et déjà la place de Paolo Barilla qu'il occupera également la saison prochaine.
Senna reçoit un châssis neuf et un V10 Honda « Spécification 6 », plus léger et tournant à plus haut régime. Ferrari teste des extensions aux jupes des ailerons avant et un caissonnage pour les radiateurs qui ne serviront qu'en qualifications. Les deux teams rivaux ont apporté du « matériel de guerre » : quatre châssis chez McLaren, trois seulement chez Ferrari, mais le mulet est la propriété de Prost.
Accidenté vendredi dans le premier double-droit, Jean Alesi se réveille samedi matin avec de violentes douleurs au cou. L'ostéopathe Pierre Baleydier lui diagnostique un muscle sidéré à gauche. L'Avignonnais réapparaît dimanche matin pour le warm-up avec une minerve, mais ne tient pas deux tours. La mort dans l'âme, il doit déclarer forfait pour le Grand Prix.
Essais et qualifications
Les forfaits d'Eurobrun et de Life permettent de supprimer la séance de pré-qualification. Celle-ci devrait néanmoins revenir l'an prochain du fait de l'entrée des nouvelles écuries Jordan et Lambo.
Berger établit vendredi la pole provisoire malgré un gros sous-virage qui affecte les McLaren en entrée de virage. Le lendemain, de meilleurs réglages permettent à Senna de s'adjuger sa cinquante-et-unième position de pointe (1'36''996'''). Berger rétrograde au quatrième rang. Grâce à son moteur de qualifications, Prost signe le deuxième chrono et partira donc en première ligne aux côtés de son rival pour le titre. Mansell se classe troisième. Les pilotes Williams connaissent des pépins techniques. Boutsen (vibrations) est cinquième, Patrese (moteur qui perd des tours) septième. Alesi réalise le septième chrono avec la Tyrrell, mais après son forfait tout le monde gagnera une place derrière lui. Nakajima (13ème) ne brille pas chez lui. Piquet place sa Benetton au sixième rang malgré un gros sous-virage. Moreno (8ème) se tire admirablement de son baptême du feu et ne rend que cinq dixièmes à son coéquipier.
Suzuki (9ème) brille devant ses fans. Il n'en va pas de même pour Bernard, son compère chez Larrousse, seulement quinzième suite à des ennuis de différentiel. Regain de forme pour les Minardi: Martini décroche le dixième rang. Morbidelli (19ème) cafouille dans ses réglages mais se qualifie. Les Lotus sont confrontées à des problèmes de boîte. Warwick est onzième, Herbert quatorzième après que son chrono du samedi a été annulé: il a court-circuité la chicane... Beaucoup d'ennuis mécaniques pour les Leyton House (Capelli 12ème, Gugelmin 15ème). Samedi matin, le Brésilien se fait une frayeur lorsque, bloqué en travers de la route, il est percuté de plein fouet par Dalmas. Sans dommage physique pour les deux pilotes. Ligier teste un nouvel autobloquant qui ne fonctionne pas du tout. Alliot (20ème) tape les rails et détruit deux châssis supplémentaires, ses dixième et onzième de la saison ! Larini (17ème) est plus chanceux (ou plus prudent...). Les Dallara manquent de grip: Pirro (18ème) et de Cesaris (25ème) tâtent tous deux des glissières. Le premier s'en tire avec des douleurs au talon qui vont le gêner tout le week-end. Les Brabham-Judd (Modena 21ème, D. Brabham 22ème) rencontrent toutes les avaries possibles et imaginables. Caffi (23ème) et Alboreto (24ème) tâtonnent pour régler des Arrows très instables. Sans surprise, Grouillard (Osella), Dalmas, Tarquini (AGS) et Gachot (Coloni) passent à la trappe.
Briefing des pilotes: la colère froide de Magic
Senna considère cependant sa position de pointe comme un cadeau empoisonné. En effet, celle-ci se situe à droite, hors trajectoire, sur la portion sale de la piste. Les pilotes qui s'élancent de ce côté-ci encrassent leurs pneus et peuvent perdre l'avantage de la corde. Dès mercredi, le Brésilien demande à Roland Bruynseraede de faire passer la pole de l'autre côté de la piste, comme cela s'est déjà produit lord du GP du Portugal. Mais le directeur de course est inflexible. Senna ne comprend pas. Il revient à la charge samedi soir. Nouveau refus de Bruynseraede qui affirme qu'il est trop tard pour changer la configuration de la grille. Pour Senna, le doute n'est plus permis: les officiels ont pris leurs ordres auprès de Jean-Marie Balestre qui fait tout pour favoriser Alain Prost. Partant second, mais du côté propre de l'asphalte, le Français a toutes les chances de virer en tête au premier virage.
Dimanche matin, la tension monte encore d'un cran lors du briefing des pilotes. Bruynseraede et les officiels nippons évoquent la fameuse chicane Casio où s'est déroulé l'accrochage Prost - Senna l'an passé. Celle-ci est désormais entourée d'une rangée de pneus pour éviter qu'un « autre pilote » (comprendre: comme Senna en 89) ne la coupe. En cas de sortie de route, on demande maintenant aux pilotes de faire demi-tour et de retrouver le circuit par l'entrée de l'échappatoire. « C'est idiot et dangereux ! » tonne Nelson Piquet, qui plaide pour une chicane ouverte où se placerait un commissaire, chargé de surveiller la situation. Autrement dit: les pilotes pourront couper la chicane avec l'autorisation de l'officiel. Ses collègues appuient sa proposition. Bruynseraede déclare alors qu'il va étudier la question. Senna bondit: l'idée de Piquet revient à autoriser ce qui lui a valu sa disqualification l'an passé ! « Rendez-moi mon titre de 89 ! Cette chicane m'a coûté trop cher ! » dit-il aux officiels. « Ces discussions sont toujours aussi ridicules, je n'ai plus rien à faire ici ! » Furieux, « Magic » claque la porte. Ron Dennis prend le relais: « - Si vous pouvez ouvrir cette échappatoire, vous pouvez alors changer la pole de côté ! - Pas question, réplique Bruynseraede, cela fait trois ans que la pole est à droite, elle restera à droite ! » Senna a compris: la FISA a choisi son camp. Prost n'y est pour rien. Il n'a rien demandé à la paire Balestre - Bruynseraede, mais il va payer pour eux. Lorsqu'un journaliste demande à Senna ce qu'il attend de cette course, le Pauliste répond: « Je vais récupérer mon dû. Tout simplement... »
Le Grand Prix
Le soleil est au rendez-vous de cette finale du 12 octobre 1990. Encore plus nombreux que les années précédentes, les supporteurs japonais viennent en masse acclamer leurs idoles qu'ils harcèlent littéralement, qui pour obtenir un autographe, qui pour poser en photographie. Les deux Ferrari s'imposent au warm-up, Mansell en tête. Senna s'assombrit: si les McLaren-Honda tournent comme des horloges, elles sont de toute évidence un ton en dessous des Rouges. A noter que la fameuse petite chicane est finalement ouverte...
La majorité des pilotes part en pneus tendres. Benetton chausse toutefois Piquet et Moreno de Goodyear « B » durs afin de ne pas en changer. Moreno part sur le mulet car son V8 Ford coupait lors de l'échauffement.
Départ: Comme attendu, Prost prend un meilleur envol que Senna et s'empare du commandement, mais le Brésilien reste sur ses talons, à sa droite. Prost s'écarte vers la gauche, puis juge qu'il a suffisamment de place pour prendre la ligne idéale. Il braque. Au même instant Senna met deux roues sur la bordure et fonce droit sur son adversaire. L'avant-gauche de la McLaren percute l'arrière-droit de la Ferrari. Les deux bolides s'évanouissent dans le bac à sable. La bataille pour le titre s'achève par cet odieux attentat. Ayrton Senna est champion du monde 1990. Berger mène devant Mansell, Piquet et Moreno. L'incident Prost-Senna crée la confusion. Suzuki tape la Leyton House de Capelli. Alliot heurte Modena. L'Italien quitte la piste et n'ira pas plus loin.
1er tour: Berger s'enfuit et compte en fin de tour trois secondes d'avance sur Mansell. Suivent Piquet, Moreno, Boutsen, Patrese, Warwick, Suzuki, Herbert et Nakajima. Senna et Prost ont quitté leurs bolides, sans se regarder et sans dire un mot. Chacun regagne son stand d'un pas mécanique.
2e: Berger dérape au premier freinage, part en tête-à-queue et atterrit dans le bac à sable. L'Autrichien s'est sorti tout seul, comme un grand ! Les deux McLaren sont déjà hors course et Mansell s'empare de la première place.
3e: Mansell compte une seconde d'avance sur Piquet qui emmène derrière lui Moreno, Boutsen et Patrese. Brabham manque un changement de rapport à cause d'un embrayage cassé. Il quitte la route et rejoint son équipier sur la liste des abandons.
4e: Mansell creuse peu à peu l'écart sur Piquet.
5e: Bernard apparaît au dixième rang après avoir doublé Pirro et Martini.
6e: Mansell compte deux secondes d'avance sur Piquet. Moreno retient les deux Williams. Suzuki menace Warwick pour le gain de la sixième position. Gugelmin stoppe sur un bas-côté dans les Esses, moteur coupé.
7e: Suzuki prend la sixième place à Warwick. En fin de tour, Mansell devance Piquet (2.2s.), Moreno (3.3s.), Boutsen (5.3s.), Patrese (6.4s.), Suzuki (12.3s.), Warwick (16s.) et Herbert (18s.).
8e: Capelli s'arrête chez Leyton House car son moteur a des ratés. Il repart quelques instants plus tard.
10e: Mansell mène devant Piquet (3.3s.), Moreno (4.8s.), Boutsen (6.8s.), Patrese (8.1s.), Suzuki (13s.), Warwick (18.1s.), Herbert (20.3s.), Nakajima (23.7s.) et Bernard (24s.).
11e: Second arrêt de Capelli qui cette fois fait remplacer son boîtier électronique.
12e: La course tourne à la procession. McLaren commence à fêter le titre de Senna, mais s'inquiète aussi d'une éventuelle victoire de Mansell qui repousserait la décision du championnat des constructeurs à Adélaïde.
14e: Tout va bien pour Mansell qui compte quatre secondes d'avance sur Piquet. De Cesaris part en tête-à-queue en sortant de la première courbe et s'enlise dans le bac à graviers.
15e: Mansell précède Piquet (4s.), Moreno (7s.), Boutsen (10s.), Patrese (12s.) et Suzuki (15s.). Troisième arrêt pour Capelli qui se plaint toujours de son moteur.
17e: Suzuki se rapproche des Williams qui manquent de grip. Plus loin, l'autre Japonais Nakajima titille Herbert et convoite la huitième place.
18e: Quatre secondes et demie entre Mansell et Piquet. Larini change de pneus. Capelli regagne pour de bon son garage. Son V8 Judd a probablement avalé des graviers, d'où son dysfonctionnement.
19e: Morbidelli glisse en quittant la première courbe et atterrit en marche arrière dans la poussière, à quelques encablures de la Dallara abandonnée par de Cesaris...
20e: Mansell compte cinq secondes de marge sur Piquet. Boutsen observe un changement de pneus, et comme souvent les mécaniciens de Williams s'emmêlent les pinceaux, cette fois avec la roue arrière-droite. Le Belge perd treize secondes.
21e: Warwick et Alliot passent aux stands pour chausser des gommes neuves.
22e: Mansell conclut son meilleur chrono de la journée (1'46''272''').
24e: Mansell devance Piquet (8.2s.), Moreno (10.5s.), Patrese (13s.) et Suzuki (16s.). Boutsen revient sur Herbert et Nakajima. Changements de pneus pour Bernard, Martini et Alboreto.
25e: Boutsen prend l'ascendant sur Nakajima. Herbert est chez Lotus pour monter des Goodyear neufs. Pirro abandonne, moteur coupé par une rupture d'alternateur. Bernard est également contraint de s'arrêter à cause d'un début d'incendie provoqué par une fuite d'huile.
26e: Suzuki change rapidement de pneus (9s.) et parvient à repartir devant Boutsen. Il est suivi par Nakajima (6.4.) qui ne concède qu'une position, au profit de Warwick.
27e: Mansell arrive au stand Ferrari pour remettre des pneus tendres « C ». L'arrêt est très rapide (moins de six secondes), mais dans sa hâte de repartir, Mansell réaccélère si fort au passage de la deuxième qu'il casse un demi-arbre ! Fâché contre lui-même, l'Anglais frappe son volant avant de se garer à la sortie de la pit-lane. Cesare Fiorio est effondré. McLaren est championne du monde et Piquet en tête de la course !
28e: Piquet est maintenant un tranquille leader avec quatre secondes d'avance sur Moreno, dix secondes sur Patrese. Les deux pilotes Benetton ont des pneus durs et ne prévoient aucun arrêt. Caffi change de pneus.
29e: Alboreto abandonne, moteur serré. Il était onzième.
30e: Piquet devance Moreno (4.1s.), Patrese (11.7s.), Suzuki (30.3s.), Boutsen (37.8s.), Warwick (52s.), Nakajima (53.2s.), Herbert (55.9s.), Larini (1m. 23s.), Martini (1m. 29s.) et Caffi (1m. 46s.).
31e: Piquet bute un certain temps sur Caffi qui ne s'écarte qu'au tour suivant.
32e: Le V12 Lamborghini d'Herbert explose au niveau de Spoon. L'Anglais se range dans une échappatoire mais répand de l'huile sur le bitume. Le drapeau rayé jaune et rouge est brandi par les commissaires.
33e: Les deux Benetton-Ford sont séparées par quatre secondes. Suzuki revient sur Patrese qui prévoit de changer ses pneus tard dans la course. Nakajima est dans la roue de Warwick qui rencontre des problèmes de boîte de vitesses.
35e: Piquet mène devant Moreno (4s.), Patrese (13s.), Suzuki (29s.), Boutsen (38s.), Warwick (53s.) et Nakajima (54s.).
36e: Nakajima fait l'extérieur à Warwick sur la ligne de chronométrage et s'empare de la sixième position. Les deux pilotes japonais sont dans les points !
37e: Patrese remplace ses pneus (8.4s.) et redémarre en quatrième position. Suzuki et sa Larrousse-Lamborghini sont sur le podium provisoire !
39e: Piquet accroît son avance sur Moreno. Elle se chiffre maintenant à huit secondes. Warwick renonce: sa boîte de vitesses a rendu l'âme. Il n'y a plus que dix voitures en piste.
40e: Patrese conclut le meilleur tour de la course: 1'44''233'''. Il devance l'excellent Suzuki (1'44''850''').
41e: Piquet est en tête devant Moreno (10s.), Suzuki (24.6s.), Patrese (37.1s.), Boutsen (43s.), Nakajima (50s.), Larini (1m. 36s.), Martini (-1t.), Caffi (-1t.) et Alliot (-1t.).
43e: L'écurie Larrousse présente un panneau « Fuel » à Suzuki afin qu'il surveille sa jauge d'essence. La petite équipe française ne veut pas perdre ce podium inespéré...
45e: Piquet lève le pied et laisse Moreno revenir à six secondes et demie. Le public japonais encourage ses deux champions Suzuki et Nakajima qui à eux deux sont en mesure d'inscrire cinq points !
46e: Piquet devance Moreno (5.6s.), Suzuki (20.1s.), Patrese (31.5s.), Boutsen (44s.) et Nakajima (1m. 02s.).
47e: Piquet achève son tour le plus rapide de l'après-midi: 1'45''114'''. Suzuki peine à son tour à « sauter » le bouchon Caffi et doit passer en force à l'épingle serrée.
48e: Suzuki s'inquiète du retour de Patrese mais l'intervalle avec celui-ci se chiffre encore à dix secondes.
50e: Piquet précède Moreno (7.9s.), Suzuki (21s.), Patrese (30s.), Boutsen (46s.) et Nakajima (1m. 10s.).
52e: L'écart entre les deux Benetton fluctue entre sept et huit secondes. Suzuki est maintenant à l'abri du retour de Patrese.
53ème et dernier tour: Nelson Piquet remporte sa vingt-et-unième victoire devant son compère Moreno. C'est le premier doublé de l'histoire de Benetton-Ford. Suzuki termine à une extraordinaire troisième place. Il devient la premier Japonais à monter sur un podium de F1. Les Williams-Renault de Patrese et de Boutsen suivent au quatrième et cinquième rang. Nakajima finit sixième et inscrit lui aussi un point dans son pays. Viennent ensuite Larini, Martini, Caffi et Alliot.
Surprise à Suzuka: un Suzuki et des Cariocas
Nelson Piquet savoure une douce revanche après trois années de vaches maigres. Lorsqu'il pénètre en salle de presse, il s'adresse aux journalistes en jouant son numéro favori d'histrion: « Pour ceux d'entre vous qui sont nouveaux en F1, je m'appelle Nelson Piquet, et le petit chauve, là, c'est Roberto Moreno ! » Un petit chauve ému aux larmes. Depuis son arrivée dans la discipline reine, Moreno était habitué à plier bagages dès le vendredi matin. Et le voici sur la deuxième marche du podium ! « Je dédie cette deuxième place à Sandro Nannini. C'est aussi la sienne » déclare-t-il avec dignité. Piquet, hilare, donne l'accolade à son vieil ami de Rio. Alors que le monde entier a les yeux rivés sur Senna et Prost, le doyen du plateau est heureux de montrer qu'il n'a rien perdu de son talent et de sa motivation grâce à une Benetton-Ford performante. Et puis, Flavio Briatore le paie 90 000 dollars par point. Neuf fois 90 000, cela fait...
Pendant ce temps-là, Gérard Larrousse célèbre gaiement le premier podium de son équipe. « Nous avons enfin le résultat que nous méritons ! » assène-t-il devant un Kazuo Ito visiblement mal à l'aise. Aguri Suzuki devient pour un dimanche l'homme le plus célèbre de l'Empire du Soleil levant. Son résultat unique ravit des supporteurs extatiques. Mais curieusement, ceux-ci applaudissent encore plus Satoru Nakajima, plus populaire encore que son cadet.
Ayrton Senna, champion par K.O.
D'une voix blanche, Alain Prost répond aux journalistes qui se pressent pour savoir comment il encaisse cette « défaite par K.O. ». Le Français ne cache pas sa colère et son émotion: « Senna savait que ma voiture était supérieure à la sienne en conditions de course. Il savait que si je partais en tête, sa partie était perdue. Il a donc choisi la solution de facilité en me sortant. Je ne crois pas que ce soit une vengeance de 89. On ne peut pas discuter avec un type comme ça. On ne peut pas lutter, parce qu'on ne possède pas les mêmes valeurs, la même logique. Senna montrait au monde un visage qui n'était pas le sien. Aujourd'hui, chacun a pu voir sa vraie nature. Il y avait deux façons de perdre le championnat, la bonne, sportive, en acceptant sa défaite, et l'autre. Il a gagné son titre de la manière la plus dégueulasse qui soit. Malheureusement, ni moi ni Ferrari ne voulons accepter ce genre de jeu. Senna n'a aucun esprit sportif. Pour lui, la F1, c'est la guerre. Gagner ou mourir. Cela me rappelle assez bien ce qui se passe actuellement dans certains pays islamiques... La mort y est un jeu. » Et Prost enchaîne en déclarant qu'il envisage d'interrompre sa carrière à la fin de la saison.
Ferrari encaisse très mal ce double échec (le championnat des constructeurs est aussi perdu), mais Cesare Fiorio ne souhaite pas porter réclamation devant la FISA, estimant que celle-ci s'est suffisamment décrédibilisée dans cette affaire. Mais pour lui, l'agression de Senna, après celles commises par Gerhard Berger tout au long de la saison, est celle de trop. La rivalité Senna - Prost se double d'un antagonisme McLaren - Ferrari. « Nous ne donnons jamais consigne d'attaquer directement un adversaire, nous ! » s'exclame Fiorio.
Pendant ce temps-là, McLaren fête ses titres pilotes et constructeurs... par des blagues de potaches. Ron Dennis et les mécaniciens renversent ainsi un seau d'eau glacée sur Jo Ramirez. Ayrton Senna sable le champagne avec Gerhard Berger, Osamu Goto, Gordon Kimball et le kinésithérapeute Josef Leberer. Le Brésilien paraît d'excellente humeur, comme libéré d'un poids terrible. Mais lorsque les journalistes lui demandent quelques explications relatives à l'incident du départ il éclate: « Prost me traite de guerrier ? Je n'ai aucune leçon à recevoir de lui qui a passé, et passe encore son temps, à détruire ses adversaires et ses équipiers. En 89 déjà, j'ai perdu le titre dans des conditions très frustrantes. Puis j'ai traversé un hiver pénible au cours duquel j'ai songé à abandonner la compétition. Il aurait ainsi atteint son but ! Aujourd'hui, c'est lui qui parle de quitter la F1. Il réagit toujours de cette façon quand il perd. Mais a-t-il parlé des victoires qu'il ne méritait pas ? De celles-là non plus, il n'a pas de fait de commentaires sincères. C'est dans son caractère. » Pire encore, il ose rejeter la responsabilité de la collision sur son rival. « Prost a commis une erreur grossière », assène-t-il sans sourciller. Ron Dennis acquiesce en silence. Lorsqu'il entend ces bêtises, Cesare Fiorio bondit « Alain était devant que je sache ! Il avait tous les droits ! Sauf celui de se faire rentrer dedans ! » Heureusement qu'Italiens et Anglais s'évitent, en ce triste dimanche soir...
Aux sources d'un désastre
Flairant, à tort ou à raison, un complot contre sa personne, Senna a clairement voulu « faire le ménage » en éliminant Prost dès le premier virage. Son attitude est inqualifiable, et certains de ses plus fidèles partisans peinent à trouver les mots pour l'excuser. Il a de toute évidence voulu venger l'affront de 1989. Mais peut-être aurait-il agi autrement s'il n'avait pas été poussé à bout par Roland Bruynseraede qui durant tout le week-end s'est entêté à conserver la pole position du côté sale de la piste, une provocation inutile à son égard. En gardant depuis Paris un attentisme suspect, Jean-Marie Balestre n'a pas joué le rôle de conciliateur dont il aime tant se prévaloir. Au soir de ce désastre, il a beau jeu de se présenter en gendarme. Il intervient beaucoup trop tard. « Ce qui s'est passé est un scandale, un beau gâchis ! » tonne-t-il. « Moi, si j'avais été le directeur de course, en cas d'accrochage, j'aurais mis le drapeau rouge et relancé la course ! » Mais au-delà des rodomontades, Balestre défend Bruynseraede et indique que les commissaires portugais, qui avaient inversé la grille pour complaire à Senna, étaient dans l'illégalité et ont pour cela été sanctionnés. Comme l'année précédente, il accable le Brésilien: « Je ne veux enlever aucun mérite au pilote Senna. Mais qu'on établisse les statistiques des accrochages produits depuis deux ans ! »
Senna trouve tout de même des défenseurs dans son cercle d'intimes. Thierry Boutsen traduit ainsi la pensée de son ami en liant cet incident à celui de 1989: « L'an dernier, Alain a viré Ayrton sans se poser de questions et de manière tout aussi délibérée. Il lui a rendu la monnaie de sa pièce, en se faisant justice lui-même, à défaut de pouvoir compter sur la justice sportive. Ayrton a été mortifié par la manière dont il a été traité l'an passé, alors qu'en réalité, il était la victime et que le coupable n'a pas été inquiété. Oui, il s'est vengé. » L'analyse psychologique de Boutsen est judicieuse, cependant si Prost a fermé la porte de la chicane à son adversaire l'année précédente, on ne peut affirmer qu'il s'agissait d'un acte prémédité. Rien de comparable avec l'agression dont s'est rendu coupable Senna.
Bref, en repoussant la légitime revendication de Senna, Balestre et Bruynseraede ont excité ses vieux démons et l'ont poussé à commettre cet acte honteux. « Qui sème le vent... » Senna l'avoue même à demi-mot dans une fanfaronnade destinée à la presse brésilienne: « Je dédie ma victoire mondiale à tous ceux qui m'ont combattu. Ils m'ont fait beaucoup de mal ! Pour eux c'est la démonstration de qui est le vrai champion du monde ! » « Pour être à ce point obsédé par la victoire, Ayrton ne doit pas aimer grand-chose dans la vie... », répond Prost. L'animosité s'est muée en haine...
Tony