Affaire Mansell: le plaidoyer du moustachu
La petite semaine qui sépare les Grands Prix du Portugal et d'Espagne ne suffit pas à éteindre la polémique consécutive au stupide accrochage Senna - Mansell d'Estoril. Convoqué en urgence, le Conseil mondial de la FISA approuve la sanction délivrée au Portugal par Jean-Marie Balestre contre Nigel Mansell, soit une course de suspension. Avec l'accord de son pilote, Cesare Fiorio fait aussitôt appel auprès du tribunal de la FIA. Tous deux espèrent que celui-ci pourra tenir séance le vendredi 29 septembre. La veille, Mansell débarque à Jerez et donne une conférence de presse. « C'est peut-être la dernière fois que je vous parle en tant que pilote », dit-il aux journalistes d'un ton bas. Est-ce une parole en l'air ? L'Anglais paraît très affecté. « Je jure sur la tête des miens que je n'ai pas vu le drapeau noir ! » s'écrie-t-il. A 17h09, il reçoit un téléfax en provenance de Paris. Le tribunal d'appel ne pourra pas s'assembler le lendemain. Sa réunion est reportée au 5 octobre. Mansell est de fait interdit de départ. « Si les dirigeants de la FISA s'imaginent que je ne me suis pas arrêté tout en ayant vu le drapeau noir, il ne me reste plus qu'à me retirer de la F1 ! » soupire-t-il, dépité.
Pendant ce temps-là, Ron Dennis montre à qui le souhaite la bande vidéo de la fameuse collision afin de dédouaner Ayrton Senna et accabler Mansell. En ce qui concerne l'incident des stands, il nie que ses mécaniciens aient traîné dans l'allée pour gêner la Ferrari: « Nigel est arrivée à 150 km/h dans la pit-lane ! Pas étonnant qu'il ait raté la station-service... » Les deux Britanniques ne cherchent pas à s'expliquer. Mansell en veut à Dennis depuis qu'au mois de décembre, lors du dîner de Noël de McLaren, quelques employés facétieux ont cru bon de le parodier sous les traits d'un gorille. Heureusement, la diplomatie trouve tout de même sa place grâce à l'inévitable Aleardo G. Buzzi, le président de Philip Morris Europe. Ce dernier organise d'abord une entrevue entre Balestre et Piero Fusaro, le président de Ferrari, puis entre ce même Fusaro et Dennis. Fiorio est tenu à l'écart de ces conciliabules. Cela est préférable: on se souvient que le « boss » de McLaren voulait lui casser la figure...
McLaren: Prost deuxième pilote !
Ayrton Senna évite toute controverse. Il se consacre entièrement à la lutte pour le championnat. A vrai dire, ce combat paraît presque désespéré puisqu'il doit absolument remporter les trois dernières manches de la saison pour devancer Prost. Néanmoins celui-ci ne relâche pas son attention car le barème en vigueur ne l'avantage pas. Comme il doit décompter ses plus mauvais résultats, seule une place sur le podium peut encore lui rapporter quelques points. En revanche, si Senna ne remporte pas ce GP d'Espagne, il héritera de sa troisième couronne mondiale. Mais il n'envisage pas cette éventualité et s'attend à une guerre d'usure jusqu'en Australie.
En débarquant en Andalousie, Prost a la désagréable surprise d'apprendre que le mulet est désormais réservé à Senna ! Il est donc de facto devenu le n°2 d'une équipe qu'il a conduit trois fois au titre mondial ! « L'ambiance qui règne ici est insupportable ! » bougonne-t-il devant la presse française. « Dennis a choisi de jouer la carte Senna, libre à lui. Moi je suis mon chemin et compte sur la chance pour décrocher un point, c'est-à-dire une troisième place. Puisque c'est la chance qui m'a servi cette année... »
John Barnard: de Ferrari à Benetton-Ford
L'annonce de l'arrivée d'Alain Prost chez Ferrari a quelque peu bouleversé les plans de John Barnard. Prêt à signer chez Benetton, il s'est donné un délai de réflexion car l'idée de travailler de nouveau avec le Français ne pouvait que le séduire. Après tout, les deux hommes ont ensemble amassé une belle moisson de lauriers entre 1984 et 1986, au beau temps de la McLaren-TAG. Mais voilà: Barnard refuse absolument de quitter ses ateliers de Guilford pour s'installer à Maranello. Or Piero Fusaro et Cesare Fiorio ont fait de ce déménagement une condition non négociable. Ainsi, à Jerez, le porte-parole de la Scuderia Franco Listro annonce que le contrat de l'ingénieur anglais prendra fin comme prévu le 31 octobre et ne sera pas prolongé. L'Argentin Enrique Scalabroni (ex-Williams) le remplacera au poste de directeur technique et sera chargé d'achever la future Ferrari 641. Il pourrait être aidé par Steve Nichols, l'ingénieur de Prost que celui-ci compte emmener avec lui en Italie. Voilà de quoi ravir à nouveau Ron Dennis...
De son côté, Barnard officialise le 29 septembre son arrivée chez Benetton-Ford, sans faire étalage du moindre sentiment quant à son passé: « Il est difficile pour moi de résumer en deux mots ma période Ferrari. J'ai rencontré le Commendatore il y a trois ans. Il m'a demandé de donner un coup de main à son équipe, j'ai accepté. Je considère aujourd'hui avoir rempli ma mission. Ferrari sera une bonne équipe en 90. » Chez Benetton, il devrait finalement cohabiter avec Rory Byrne qui, faisant contre mauvaise fortune bon cœur, conserve la charge d'aérodynamicien en chef. Barnard fixera les grandes options techniques. En outre, il annonce la construction d'un « GTO bis » situé près de Witney, le quartier général de Benetton. Les monoplaces seront dessinées et construites dans ce centre muni d'une soufflerie probablement financée par Ford. Enfin, Barnard emmène avec lui une quinzaine d'employés de Ferrari, dont son lieutenant Gordon Kimball et le chef mécanicien Joan Villadelprat.
Présentation de l'épreuve
Jerez est un circuit qui favorise les châssis bien réglés. Malgré son peu d'intérêt sur le plan du pilotage, il est très éprouvant pour les conducteurs et les mécaniques. « Nous n'avons aucun instant de répit », explique Satoru Nakajima. « C'est une succession de virages, peu intéressants, et de bouts de lignes droites affreusement bosselées. On passe notre temps à tourner le volant et à changer de vitesse ! »
Une semaine plus tôt, Jean Alesi s'est assuré sur le circuit Bugatti de la couronne européenne de Formule 3000. Il peut donc se consacrer pleinement à la F1 et reprend pour de bon son baquet chez Tyrrell.
Il y a toujours du rififi chez Rial. On sait que Gunter Schmidt accuse l'agent de Christian Danner, Martin Reiss, d'avoir gardé par devers lui l'argent versé par les sponsors. En guise de représailles, Danner est mis à la porte et remplacé par Gregor Foitek ! Le jeune Helvète bénéficie bien entendu de l'appui financier de son inévitable papa. On note chez Arrows l'absence de Ross Brawn, officiellement resté à l'usine pour préparer la machine de 1990. En fait, l'ancien mécanicien d'Alan Jones négocie son transfert chez Ligier. C'est son adjoint James Robinson qui prend la direction technique de l'équipe sur le terrain.
Jean-Marie Balestre s'apprête à faire voter par le conseil mondial de la FISA le règlement de F1 pour 1990. La seule nouvelle norme est qu'il ne sera plus possible de loger de l'essence dans la zone située en avant de la colonne vertébrale du conducteur. Cette mesure pénalisera les moteurs V12 qui sont plus longs que les autres.
Après avoir causé la rupture des deux V10 Renault à Estoril, les pontons des Williams sont renforcés avec du grillage. La FW13 n'étant pas suffisamment au point, Patrese choisit de revenir pour cette course à la FW12C. Boutsen se sacrifie pour faire évoluer la nouvelle voiture. Les Ligier sont équipées d'un nouveau train arrière qui ne donnera pas satisfaction et sera abandonné samedi.
Essais et qualifications
Les sessions d'essais se déroulent par temps sec mais les pilotes sont gênés par de fortes rafales de vent. Troisième à Estoril, Johansson doit faire ses bagages dès la pré-qualification, la faute à son moteur Cosworth. Heureusement Lehto sauve l'autre Onyx. « Quelle pression ! On est tellement paniqué et excité qu'il est presque impossible de se concentrer sur son pilotage ! » soupire le jeune Finlandais. Les deux Osella de Larini et de Ghinzani sortent aussi de l'ornière grâce à des pneus Pirelli très performants. Alliot est le dernier rescapé. Son équipier Alboreto est éliminé par un court-circuit. Sont aussi éjectés Dalmas (sortie de piste), Tarquini (gêné par Johansson), Moreno, Bertaggia, Larrauri, Schneider et Suzuki.
Senna réalise sans peine la quarantième pole position de sa carrière (1'20''291'''), une seconde devant Prost (3ème). Le Pauliste reçoit cependant une amende de 20000 dollars pour ne pas s'être arrêté lors du drapeau rouge consécutif à la sortie de Foitek. Berger se montre particulièrement affûté grâce à l'excellent équilibre de sa Ferrari et signe le deuxième chrono. Comme au Portugal, Martini (4ème) met en vedette sa Minardi grâce aux gommes ultra-tendres fournies par Pirelli. Hélas son acolyte Pérez-Sala (20ème) ne brille pas à domicile. Alliot crée la sensation avec le cinquième chrono, la meilleure performance de la Lola-Lamborghini. Si Patrese (6ème) surnage avec la vieille Williams, Boutsen (21ème) coule avec le FW13 qui « pompe » excessivement. Une correction d'assiette résout le problème samedi après-midi, mais le Bruxellois est alors lâché par sa boîte... Content de sa Lotus-Judd, Piquet se classe septième, loin devant Nakajima (18ème) qui a perdu son temps du vendredi car son aileron était trop haut de 4mm.
Les Brabham (Brundle 8ème, Modena 12ème) montrent un bon potentiel sur ce tracé sinueux, tout comme les Tyrrell (Alesi 9ème, Palmer 13ème). Les Benetton sont en revanche très décevantes, et pour une fois Pirro (10ème) devance nettement Nannini (14ème). Le Romain est néanmoins très mal installé dans son cockpit qui a été taillé pour Johnny Herbert. Toujours grâce aux Pirelli, Larini glisse son Osella au onzième rang. Ghinzani (25ème) se contente de se qualifier. Les Dallara (de Cesaris 15ème, Caffi 23ème) ne sont pas du tout au point, tout comme les Arrows (Warwick 16ème, Cheever 22ème). Belle performance du néophyte Lehto, dix-septième avec son Onyx. Comme d'habitude, les March souffrent mille maux. Capelli (19ème) casse son moteur et Gugelmin (26ème) tape rudement les rails samedi. Enfin, Grouillard (24ème) sauve sa Ligier, contrairement à Arnoux (27ème) qui n'attend plus que la quille.
Vendredi, Foitek perd son aileron arrière dans une courbe rapide et percute violemment la muraille de pneus. Le Suisse s'extrait indemne de sa monoplace totalement détruite. Par mesure de sûreté, Rial stoppe alors les essais de Raphanel. Les machines allemandes n'avaient de toute façon aucune chance de se qualifier.
Le Grand Prix
Ce rendez-vous andalou est toujours un échec commercial avec des tribunes presque désertes. On compte moins de spectateurs que pour le Grand Prix motocycliste d'avril ! Prost est le plus rapide lors de l'échauffement. Alesi escalade une bordure en voulant éviter Berger et endommage sa coque. Elle sera cependant réparée pour le Grand Prix. Un orage nettoie la piste à l'heure du déjeuner et change donc son adhérence. Le soleil revient heureusement au moment du départ, et le vent avec lui. Tous les pilotes partent en pneus tendres, à l'exception de Palmer qui chausse des pneus durs à droite.
Départ: Senna prend un bon envol et Berger lui emboîte le pas, suivi par Prost, Patrese, Martini et Alliot.
1er tour: Poussé par un concurrent, Nakajima part en tête-à-queue entre les virages n°3 et 4 et se fait percuter par Capelli. Grouillard sort de la route pour les éviter. Le Japonais s'immobilise aussitôt, suspension pliée, tandis que Capelli gagne les stands pour réparer. Senna mène devant Berger, Prost, Patrese, Martini, Alliot, Brundle, Pirro, Alesi et Piquet.
2e: Berger roule juste derrière Senna. La March de Capelli est rentrée dans son box.
3e: Senna contient Berger, sous le regard de Prost qui les laisse s'expliquer. Patrese, Martini et Alliot restent dans le sillage des premiers.
5e: Le peloton se découpe en petits wagons comme d'habitude ici. Senna, Berger, Prost et Patrese sont en tête. Martini et Alliot roulent devant un trio composé de Brundle, Pirro et Alesi. Plus loin encore, Piquet et Nannini en décousent.
6e: Prost et Patrese se rapprochent de Senna et Berger. Capelli reprend la piste.
7e: Victime d'un bris de suspension, Larini quitte la route dans une courbe et s'écrase contre les protections. Son Osella est détruite mais lui-même s'en tire sans dommage. Nannini prend la dixième place à Piquet.
9e: Prost lâche du lest derrière Berger. Pirro dépasse Brundle dont les pneus Pirelli se dégradent rapidement, comme à l'accoutumée.
10e: Senna est premier devant Berger (0.6s.), Prost (2.4s.), Patrese (3.2s.), Martini (6.7s.), Alliot (9.2s.), Pirro (12.5s.), Brundle (15s.), Alesi (15.2s.), Nannini (15.9s.), Piquet (19s.) et Modena (20.7s.). Boutsen est dix-huitième.
11e: Alesi tente de faire l'extérieur à Brundle au premier virage mais celui-ci se défend très rudement. Leurs roues se frottent et le Français évite de peu le tête-à-queue. Ghinzani arrive chez Osella pour prendre des gommes neuves et faire vérifier ses suspensions après l'incident qui a frappé son collègue.
12e: Berger demeure sur les talons de Senna. Pirro se rapproche d'Alliot. Bloqué derrière Alesi, Nannini choisit de changer très tôt ses pneus et chute au dix-huitième rang. Modena met pied à terre, moteur cassé.
14e: Les intervalles sont stables en tête. Pirro s'empare de la sixième place aux dépens d'Alliot.
15e: Senna est devant Berger (0.9s.), Prost (2.6s.), Patrese (4.6s.), Martini (12s.), Pirro (13.7s.) et Alliot (15s.). Tête-à-queue de Nannini qui s'enlise dans le bac à sable. Son moteur tourne encore mais les commissaires refusent de le pousser. Sandro doit renoncer.
16e: Piquet observe son premier changement de gommes.
18e: Senna et Berger, toujours roues dans roues, creusent l'écart sur la paire Prost - Patrese. Pirro menace dorénavant Martini.
19e: Caffi change ses gommes. Ghinzani abandonne avec une boîte de vitesses bloquée.
20e: Senna mène devant Berger (0.9s.), Prost (6.1s.), Patrese (9.7s.), Martini (23.8s.), Pirro (24.5s.), Alliot (26.3s.), Brundle (30.5s.), Alesi (30.8s.) et Palmer (43.1s.).
21e: Pirro prend l'avantage sur Martini. La boîte de vitesses de Lehto se grippe à cause d'une fuite d'huile et envoie le Finnois dans la pelouse. Il ne repartira pas.
22e: Alesi déborde Brundle au premier freinage. L'Anglais tente de se dédoubler dans l'accélération vers le virage n°2 mais le jeune Français le tasse vers l'extérieur. Ils frôlent à nouveau la collision et Brundle allume ses roues pour ne pas harponner la Tyrrell.
23e: Senna commence à s'échapper et repousse Berger à une seconde et demie. Alesi dépasse Alliot. Brundle est aux stands pour changer de Pirelli. Il ressort au milieu d'un gros paquet contenant de Cesaris, Warwick, Pérez-Sala, Cheever et Boutsen.
24e: Martini remplace ses Pirelli (11.7s.) et fait une très mauvaise opération puisqu'il se retrouve à la queue du groupe de Cesaris.
25e: Senna précède Berger (3s.), Prost (12.8s.), Patrese (14s.), Pirro (33s.), Alesi (36s.) et Alliot (38s.).
26e: Prost observe son changement de pneus (8s.) et reprend la piste sous le nez de Pirro. Pérez-Sala troque aussi son jeu de gommes contre un autre. Brundle s'est défait de Warwick puis de de Cesaris.
27e: Patrese effectue son ravitaillement en gommes. Il ne remet les gaz qu'au bout de douze secondes, et atterrit entre Alesi et Alliot.
28e: Berger est aux stands pour changer de Goodyear (6.2s.). Cette opération très rapide lui permet de repartir loin devant Prost. Alliot s'arrête aussi, prend des neufs neufs et fait enlever de l'aileron à l'avant pour ne pas contrarier le flux d'air vers ses radiateurs. Martini escalade un trottoir et part en tête-à-queue. Il stoppe hors trajectoire et cale son moteur. C'est l'abandon. Capelli renonce aussi après avoir cassé son différentiel.
29e: Senna arrive aux stands et prend des enveloppes neuves (7.5s.). Il retrouve le circuit deux secondes devant Berger. Pirro et Boutsen passent aussi par les stands. L'Italien repart devant Patrese. Cheever percute son équipier Warwick dans un freinage. Tous deux poursuivent mais leurs machines sont abîmées.
30e: Senna devance Berger (2.2s.), Prost (13.7s.), Alesi (29.8s.), Pirro (37s.), Patrese (38.1s.), Palmer (55.2s.), Brundle (58s.), Gugelmin (1m. 06s.), Alliot (1m. 07s.), Cheever (1m. 09s.) et Piquet (1m. 11s.). Changement de pneus pour de Cesaris. Warwick est chez Arrows pour faire réparer son extracteur endommagé par Cheever.
31e: La Ferrari de Berger projette de l'huile, mais il semble ne s'agir que d'un trop-plein. Cheever rejoint à son tour son garage pour changer de pneus et de calandre. Alliot dépasse Gugelmin.
32e: Une seconde et demie sépare Senna et Berger. Brundle double Palmer. Alliot signe le meilleur temps provisoire: 1'26''272'''.
33e: Berger est bloqué par de Cesaris qui comme souvent ignore ses rétroviseurs.
34e: Berger se défait de de Cesaris. Il compte encore quinze secondes d'avance sur Prost, mais Senna s'est envolé. Alliot s'empare de la huitième place aux dépens de Palmer qui, comme son équipier Alesi, n'a pas changé de pneus.
35e: Senna précède Berger (4.4s.), Prost (21.8s.), Alesi (39.3s.), Pirro (41.6s.) et Patrese (45.3s.).
36e: Senna arrive derrière Piquet qui se fait prier pour s'effacer devant son ennemi. Alesi arrive aux stands pour prendre des pneus frais. Ses mécaniciens peinent à fixer les roues avant et il perd dix-sept secondes dans cette mésaventure. Il tombe au sixième rang. Grouillard regagne son garage, moteur cassé.
38e: Gugelmin et Sala doublent Palmer dont les pneus sont très usés. Berger tombe à cet instant sur ce trio et laisse échapper quelques dixièmes.
40e: Berger roule à quatre secondes et demie de Senna. Palmer doit changer de gommes bien qu'il soit parti avec deux Goodyear « B ».
41e: Senna précède Berger (5s.), Prost (25.3s.), Pirro (47.2s.), Patrese (52.5s.), Alesi (1m. 08s.), Brundle (1m. 18s.), Alliot (1m. 19s.), Gugelmin (-1t.), Pérez-Sala (-1t.), Palmer (-1t.) et Piquet (-1t.).
43e: Senna accentue son rythme pour se débarrasser de Berger. Boutsen abandonne après que sa pompe à essence a cédé.
44e: L'écart entre Senna et Berger se chiffre à sept secondes. Prost rencontre des problèmes de sélection de vitesses et ne remonte pas. En revanche, Alesi a repris plusieurs secondes à Patrese dont les pneus avant s'usent très vite.
45e: Alliot bouchonne Senna durant un tour. Ayrton s'énerve et brandit le poing au Français qui s'écarte finalement au dernier virage.
47e: Senna porte à douze secondes son avance sur Berger. L'Autrichien s'inquiète: son voyant de pression d'huile clignote. Warwick heurte la Lotus de Piquet et découpe un de ses pneus arrière. Le Brésilien rejoint les stands avec une crevaison.
49e: Pérez-Sala et Gugelmin luttent pour la neuvième place. Le Catalan plonge à l'intérieur du virage n°2 au moment où le Brésilien prend la corde. La Minardi escalade la March et toutes deux partent en vrille dans les graviers. Sala et Gugelmin sont « out ».
50e: Senna est en tête devant Berger (14.7s.), Prost (42.6s.), Pirro (1m.), Patrese (1m. 08s.), Alesi (1m. 18s.), Brundle (-1t.), Alliot (-1t.), de Cesaris (-1t.) et Palmer (-1t.). Piquet revient en piste avec des gommes neuves.
51e: Senna bute derechef sur Piquet. Il parvient à s'en défaire mais bloque pour cela sa roue avant-droite dans un freinage risqué.
52e: La Brabham de Brundle roule avec un échappement percé. Les gaz brûlants altèrent la suspension, et l'Anglais finit par sortir dans le gazon. Il préfère en rester là.
53e: La Ferrari de Berger laisse échapper une fumée bleue à chaque accélération. Il s'agit bien d'une fuite d'huile ! Mais le grand Gerhard n'en est pas troublé et améliore le record du tour: 1'26''213'''.
55e: Senna conclut le meilleur chrono du Grand Prix: 1'25''779'''.
56e: Senna devance Berger (19.6s.), Prost (46.7s.), Pirro (1m. 04s.), Patrese (1m. 12s.) et Alesi (1m. 17s.).
58e: Senna rencontre des problèmes de freins et se montre plus prudent. La Ferrari de Berger fume toujours mais son rythme demeure bon. C'est en revanche fini pour Caffi dont le V8 rend le dernier soupir.
60e: Pirro souffre de crampes dans son cockpit trop étroit. Sa jambe droite ne répond pas à l'avant-dernier freinage et il part en tête-à-queue dans la poussière. C'est la fin d'une très belle course pour le jeune Italien.
61e: Berger perd de l'huile mais son témoin lumineux ne s'allume que par intermittence. Prost n'est pas une menace puisqu'il peine à doubler les Arrows de Cheever et de Warwick. Alesi fond sur Patrese, mais tous deux concèdent un tour à Senna.
62e: Senna mène devant Berger (21.8s.), Prost (54s.), Patrese (-1t.), Alesi (-1t.), Alliot (-1t.), de Cesaris (-1t.), Palmer (-1t.) et Piquet (-2t.).
63e: Alesi déborde Patrese dans la courbe de Peluqui. Vexé, le Padouan rejoint son box pour prendre quatre pneus neufs. Son objectif ? Rattraper l'Avignonnais en dix tours !
65e: L'intervalle entre Senna et Berger fluctue entre vingt et vingt-cinq secondes. Prost se satisfait de sa troisième position. Patrese tombe sur Berger qui refuse de le laisser se dédoubler. Cheever abandonne, moteur serré.
66e: Senna est devant Berger (22s.), Prost (53s.), Alesi (-1t.), Patrese (-1t.) et Alliot (-1t.).
68e: Berger n'a presque plus d'huile dans son réservoir mais il poursuit sa route comme si de rien n'était.
69e: Senna voit son ordinateur de bord s'éteindre brusquement. Il peut bien sûr continuer son chemin mais laisse Alesi reprendre son tour de retard. Le moteur de Palmer cafouille terriblement. Il ralentit et laisse passer Piquet et Warwick.
70e: Senna devance Berger (26.6s.), Prost (52.3s.), Alesi (1m. 30s.), Patrese (-1t.), Alliot (-1t.), de Cesaris (-1t.) et Piquet (-2t.).
72e: A un tour du but, Senna compte vingt-cinq secondes de marge sur Berger. Libéré par ce dernier, Patrese revient sur Alesi avec des bottes de sept lieues. Jean se replace alors derrière Senna pour ne pas effectuer un tour de plus...
73ème et dernier tour: Blotti derrière Senna, Alesi voit Patrese grossir dans ses rétroviseurs. Il va manquer une boucle à l'Italien pour réussir son pari.
Ayrton Senna remporte sa vingtième victoire en Formule 1 devant Berger et Prost. Alesi obtient une superbe quatrième place, quelques dixièmes devant Patrese. Alliot empoche le premier point de la Lola-Lamborghini. De Cesaris, Piquet, Warwick et Palmer rejoignent aussi l'arrivée.
Après la course
Ce très ennuyeux Grand Prix ne fut pas une sinécure pour son vainqueur Ayrton Senna: « Ce fut très dur ! J'ai ressenti des douleurs aux côtes, du côté droit, et au niveau du nerf sciatique. Sur la piste, la pression qu'a exercée Berger ne m'a pas permis d'économiser les pneus comme je l'espérais. Après mon arrêt, le comportement de la gomme s'est cependant sensiblement amélioré. Mais trois autres problèmes se sont présentés: une sélection de boîte très spongieuse, un affaiblissement des freins et la panne de mon ordinateur qui m'a privé de toute information. » Le Brésilien s'en prend aussi à Alliot et à de Cesaris qui ne sont pas promptement effacés devant lui. Inquiet des douleurs ressentis cet après-midi, il s'envole aussitôt pour São Paulo afin de consulter un spécialiste brésilien.
Berger est franchement heureux d'atteindre l'arrivée: « Mon moteur a commencé a craché son huile après vingt tours. Je m'attendais à ce qu'il casse d'un moment à l'autre... Et finalement, je termine avec plus une goutte d'huile dans le carter ! » Prost se contente pour sa part de terminer troisième, la place qu'il convoitait. « J'ai conduit les ¾ du temps à la façon d'un taxi... » commente-t-il en faisant la moue.
Pendant que Jean Alesi savoure un nouveau résultat excellent (« J'ai eu l'occasion de doubler Senna... Ce fut un grand moment ! » plaisante-t-il), Philippe Alliot offre un point en forme de cadeau d'adieu à Gérard Larrousse. Le champagne coule à flots au sein de la petite équipe française. Non seulement la performance est là, mais le V12 Lamborghini ne casse plus ! « Nous sommes enfin à notre vrai niveau » affirme Larrousse.
Affaire Mansell: épilogue
Jeudi 5 octobre, le tribunal d'appel de la FIA se réunit à Paris, place de la Concorde, pour statuer sur l' « Affaire Mansell ». L'intéressé est auditionné par les trois juges fédéraux, MM. Remvikos, Broquis et Van Rosalem. Il jure qu'à Estoril, blotti derrière l'aileron de Senna à 280 km/h, il n'a pas pu voir le drapeau noir. Mais sa plaidoirie est contredite par son ennemi Senna qui, dans un message télédiffusé, affirme que le fameux drapeau a été brandi à la hauteur des leaders et que lui l'avait aussitôt aperçu... Cesare Fiorio fait alors intervenir un ophtalmologiste (italien...) de renom qui affirme qu'à une telle allure, un pilote ne peut pas distinguer la couleur d'un morceau de tissu.
Enfin, après une journée de débats, le secrétaire-général de la FIA Yvon Léon donne lecture du verdict. Le tribunal conclut au vice de forme concernant la sanction infligée à Mansell, ce qui représente d'un point de vue juridique un camouflet pour Jean-Marie Balestre. Mais celui-ci l'emporte sur le plan politique puisque, de toute façon, Mansell n'a pas pu participer au GP d'Espagne. Le mot de la fin revient à Michele Alboreto: « A la lumière de ce que je sais, Senna aura trois Ferrari contre lui à Suzuka... »
Tony