Lotus: Tony Rudd aux commandes
La récente inculpation de Fred Bushell entraîne une réorganisation du Team Lotus sous la double impulsion d'Hazel Chapman et de General Motors, propriétaire de Lotus Cars. La première victime de ce « coup de balai » est Peter Warr qui dirigeait l'écurie depuis le décès de Colin Chapman après avoir été son bras droit durant de longues années. Les griefs à son encontre sont nombreux: ne pas avoir su retenir Ayrton Senna et Gérard Ducarouge, la perte du moteur Honda, l'échec de la 101 à moteur Judd... ainsi que quelques indélicatesses à l'égard de Lotus Cars, tel que l'arrêt du programme des suspensions électroniques. On lui reproche aussi d'avoir misé sur un Nelson Piquet décevant et surtout très onéreux. Il y a péril en la demeure: Lotus risque de perdre le soutien de Camel qui cherche un nouveau partenaire capable de rivaliser avec Ferrari et McLaren, équipes parrainées par Philip Morris.
Bushell est remplacé par Tony Rudd, ancien concepteur de BRM dans les années 60 et compagnon de Colin Chapman à compter de 1969. Cet ingénieur émérite, âgé de 66 ans, est ici pour rassurer Camel et mettre le pied à l'étrier au jeune Clive Chapman, le fils de Colin, successeur désigné par sa mère. En attendant, sa première tâche est de signifier son congé à Piquet dont le contrat ne sera pas renouvelé. A 37 ans, le nonchalant Carioca semble avoir l'esprit à la pré-retraite...
Benetton: Flavio Briatore prend le pouvoir
Bouleversement des cadres aussi chez Benetton. Alessandro Benetton, 25 ans, est nommé président de l'écurie par son père Luciano, et Davide Paolini cède sa place de directeur-général à Flavio Briatore. Ce dernier, grand Italien frisé, très volubile, aimant se promener au bras de splendides créatures, est un pur gestionnaire totalement étranger au monde de l'automobile. Mais doué d'une intelligence aiguë, il a depuis longtemps compris que Benetton ne pouvait se contenter de glaner quelques podiums par-ci, par-là. Il en va de la pérennité de la collaboration avec Ford. Le géant américain s'impatiente après trois saisons infructueuses.
Briatore se fixe deux objectifs: attirer un sponsor prestigieux, à savoir Camel, et un pilote de premier plan pour « tirer » le team vers le haut, ce dont est incapable le valeureux mais trop inexpérimenté Alessandro Nannini. Pour l'heure, le nouveau « boss » a décidé de se séparer de Peter Collins, jugé responsable du recrutement irréfléchi de Johnny Herbert ainsi que de quelques erreurs de gestion.
Prost - Senna : tension au zénith
L'atmosphère ne s'allège pas chez Marlboro-McLaren, bien au contraire. Ayrton Senna et Alain Prost font désormais mobil-home à part. Le Brésilien a migré chez TAG tandis que le Français se calfeutre chez McLaren. Toujours persuadé d'être lésé par Honda, Prost affiche une humeur bougonne. « Plutôt passer pour un mauvais coucheur que pour un imbécile ! » lance-t-il à qui lui conseille la pondération. Afin d'éviter tout éclat, Ron Dennis donne une consigne impérative à ses collaborateurs, Jo Ramirez, Steve Nichols, Gordon Murray et Neil Oatley: « No comment » !
Ayrton Senna traverse pour sa part une période sombre. Ses quatre abandons successifs l'ont profondément marqué. « Ce garçon qui se nourrit prioritairement, maladivement même, de sa passion pour la course, est brusquement frustré, voire détruit, dès que ses résultats le déçoivent » écrit Renaud de Laborderie. Il est en outre miné par la solitude. Sa relation avec Xuxa bat de l'aile. Armando Botelho Teixeira est gravement malade. C'est désormais Viviane, sa sœur aînée, qui le chaperonne fiévreusement. Senna a besoin à ses côtés d'une chaude présence pour combler sa vulnérabilité psychologique. Mais certains estiment qu'il récolte les fruits amers de sa fanatique implication dans la course automobile. « Ayrton a fait le vide autour de lui. A force de ne ménager personne et de donner des coups, il s'est coupé de beaucoup de sympathies », observe un de ses amis brésiliens.
Présentation de l'épreuve
Il y a du rififi chez Ligier. Dans un récent communiqué, Dany Hindenoch a affirmé que René Arnoux prendra se retraite à la fin de la saison. Fureur de l'intéressé qui, malgré les nombreuses critiques dont il fait l'objet, entend encore courir en 1990 ! Guy Ligier évite le choc frontal avec son pilote et élude la question. Il préfère se féliciter du recrutement de deux ingénieurs britanniques, Nick Wirth (ex-March) et Paul Crooks (ex-Benetton). Voilà qui ne suffit pas à consolider la position de Ligier qui aurait été victime d'une tentative de « putsch » initiée par certains responsables de Gitanes. Quoiqu'il en soit, les bailleurs de fonds de la Seita s'impatientent. L'ancien rugbyman est toujours à la recherche d'un ingénieur de renom. Les noms de Gordon Murray, de Neil Oatley et même de John Barnard circulent. Mais aucun d'eux n'a envie de s'enterrer à Magny-Cours...
Le marché des transferts est toujours aussi nébuleux en ce qui concerne le bas de la grille. Jean-Pierre van Rossem, le farfelu patron d'Onyx-Moneytron, affirme ainsi courtiser Alain Prost ! Plus sérieusement, Keke Rosberg pourrait faire son retour en Formule 1. L'ombrageux Finnois, qui s'ennuie à Ibiza, a récemment proposé ses services à Benetton et à Ferrari. Onyx pourrait justement être pour lui une destination raisonnable. Rosberg affirme ne demander que trois à quatre millions de dollars par an...
Comme convenu, Michele Alboreto prend place au volant de la seconde Lola-Lamborghini de l'écurie Larrousse. De rudes efforts l'attendent, à commencer par l'exercice inconnu des pré-qualifications. Si sa présence rassure les deux Gérard, Larrousse et Ducarouge, le Milanais ne garde pas un excellent souvenir de sa courte collaboration avec Mauro Forghieri en 1984. Il bénéficiera au moins d'un moteur V12 Lamborghini amélioré par de nouveaux pistions.
Coloni finira-t-elle la saison ? La petite Scuderia de Pérouse rencontre de graves difficultés financières et survit grâce aux dons généreux que Bernie Ecclestone puise dans les caisses de la FOCA. Pis, le staff technique commence à s'effriter puisque Christian Vanderpleyn a remis son tablier. « Impossible de travailler dans ces conditions ! » commente l'ingénieur français. « Très peu d'essais privés, pratiquement plus de pièces de rechange... C'est la galère. Mieux vaut partir avant que la situation ne se retourne contre moi. » Ainsi, malgré la qualité intrinsèque de leur monture, Roberto Moreno et Pierre-Henri Raphanel ont maintenant fort peu de chances de se tirer des pré-qualifications.
Eurobrun lance enfin sa nouvelle monoplace, l'ER189, conçue par George Ryton, l'ex-associé de John Barnard. Cette voiture aux lignes fluides se distingue principalement par sa suspension avant à poussoirs dont les combinés sont reportés sur l'auvent, comme sur la Ferrari 640 de... Barnard. Celui-ci peste contre Ryton et l'accuse d'avoir emporté des études aérodynamiques lorsqu'il a quitté l'atelier de Guilford. L'Eurobrun arbore une livrée orange vif, couleur du distillateur Jägermeister, partenaire historique de Walter Brun. Vendredi matin, elle est recalée au contrôle technique par Charlie Whiting car les patins fixés sur le fond plat font saillie, ce qui contrevient au règlement. Une rapide mise en conformité permet à Gregor Foitek de prendre la piste.
Ferrari apporte une version allégée de son V12. Les 640 ont testé en essais privés des amortisseurs Penske qui ne sont pas retenus pour ce Grand Prix. Honda révise le faisceau électrique de son V10. Emmanuele Pirro dispose à son tour de la nouvelle Benetton 189. Chez AGS, Gabriele Tarquini roule avec la JH24 tandis que Yannick Dalmas se contente d'une JS23B. Les culasses Tickford disparaissent des V8 Judd utilisés par Lotus. Elles sont en effet jugées inefficaces, et du reste Tickford est une émanation d'Aston Martin, propriété de Ford, soit le grand rival de GM qui possède... Lotus Cars.
Essais et qualifications
Les pilotes chaussés par Goodyear font face à un problème majeur: leurs trains de pneus de qualification ne durent qu'un seul tour ! Ils n'ont pas le droit à l'erreur s'ils ne veulent pas se qualifier avec des pneus de course. Les Pirelli durent plus longtemps mais sont moins efficaces.
En toute logique, les deux Onyx et les deux Lola arrivent en haut de la feuille des temps vendredi matin. L'alerte est chaude cependant pour Alboreto qui devance l'AGS de Dalmas... d'un millième de seconde ! Foitek ne parvient pas à sauver la nouvelle Eurobrun. Les AGS de Tarquini et Dalmas, les Coloni de Moreno et Raphanel, les Osella de Larini et Ghinzani et les Zakspeed de Schneider et Suzuki sont éliminées. Ces dernières rendent près de trois secondes à Dalmas, preuve de l'inefficacité du moteur Yamaha.
Senna réalise sa 36ème pole position grâce à un chrono (1'42''300''') réalisé vendredi, et ce malgré un sérieux accident survenu dans la matinée. Prost accompagne son équipier en première ligne mais lui concède plus d'une seconde. Les Ferrari (Mansell 3ème, Berger 4ème) ne peuvent ici rivaliser avec les McLaren car le couple de leur V12 est inférieur à celui des V10 Honda. Les Williams-Renault (Patrese 5ème, Boutsen 6ème) manquent de motricité sur ce tracé. Boutsen se qualifie avec le mulet équipé du V10 Renault « Evolution 1 ». Les Benetton-Ford se révèlent plus rapides que les Williams. Mais Nannini (7ème) commet deux fautes samedi après-midi tandis que Pirro (9ème) est ralenti par des problèmes de boîte. Depuis Silverstone, c'est un Piquet retrouvé qui conduit la Lotus-Judd: le Carioca s'approprie la huitième place, dix rangs devant Nakajima.
Alesi démontre à nouveau toutes ses qualités en plaçant sa Tyrrell à la dixième place. Palmer n'est que dix-neuvième après avoir cassé son moteur. Chez Ligier, Grouillard (11ème) fait comme souvent mieux qu'Arnoux (23ème), ralenti par des pannes de boîte. Les Brabham-Judd (Brundle 12ème, Modena 16ème) souffrent comme Angleterre d'un manque de grip. Les Minardi connaissent plusieurs avaries d'alternateur. Martini (13ème) se qualifie aisément mais Pérez-Sala (27ème) est éliminé. Fortunes diverses chez March: Gugelmin (14ème) parvient à bien équilibrer son châssis, contrairement à Capelli (22ème). Les Lola-Lamborghini subissent de nombreux problèmes techniques, et si Alliot (15ème) n'est pas trop mal qualifié, Alboreto (26ème) évite le couperet de justesse. Les Arrows (Warwick 17ème, Cheever 23ème) ne sont pas du tout compétitives sur cette piste ultra-rapide, à l'instar des très instables Dallara (Caffi 20ème, de Cesaris 21ème). Johansson (24ème) qualifie son Onyx, contrairement à Gachot qui est sorti de la route.
Les deux Rial, extrêmement lentes, ne disputeront pas leur Grand Prix national. Danner n'est jamais dans le coup tandis que Weidler est disqualifié car ses mécaniciens sont venus le dépanner sur le circuit où il est arrêté. Évidemment, Gunter Schmidt n'est pas content et le fait brutalement savoir...
Hockenheim est un circuit où la vitesse de pointe est primordiale, et à cet égard il révèle la supériorité du V10 Honda sur la concurrence. Senna est ainsi « flashé » à 329 km/h samedi contre 322 km/h pour Nannini et son V8 Ford, premiers des « non-McLaren ».
Le comportement d'Ayrton Senna suscite encore des remous samedi après-midi. Prétextant une indisposition, il ne se présente pas à la traditionnelle conférence de presse réunissant les trois premiers des essais qualificatifs. Bernie Ecclestone est furieux et demande en vain à Mansour Ojjeh de prendre une sanction à l'égard du Pauliste.
Le Grand Prix
Senna réalise le meilleur temps du warm-up avant d'être immobilisé par une fuite d'huile. Le ciel est couvert en ce dimanche de juillet et les météorologues redoutent une averse durant la course. Tous les pilotes partent en pneus durs, excepté Johansson. Goodyear et Pirelli prévoient un arrêt à mi-parcours. Piquet s'élance avec son mulet car le fil du senseur de température s'est détaché sur sa voiture de course durant sa boucle d'installation.
Départ: Senna et Prost font patiner leurs roues, de même que Mansell. Berger prend en revanche un envol-canon, braque à gauche, se porte à la hauteur de Senna et se rabat devant celui-ci au premier virage. Derrière l'Autrichien et le Brésilien se trouvent Prost, Mansell, Boutsen et Pirro. Heurté par Johansson, Alliot part en toupie dans la pelouse mais ne touche rien. Il pourra repartir.
1er tour: Senna déborde Berger dans la première ligne droite. Puis Prost fait l'extérieur à l'Autrichien avant l'Ostkurve. Nannini repasse devant Pirro. Grouillard est trahi par sa transmission au bout de quelques centaines de mètres. Senna devance Prost, Berger, Mansell, Boutsen, Nannini, Pirro, Patrese, Piquet et Alesi.
2e: Les McLaren s'échappent devant Berger. Alboreto se gare dans l'herbe après une coupure électrique.
3e: Prost chasse Senna pendant que Mansell se rapproche de Berger. Nannini double Boutsen. Caffi abandonne suite à un court-circuit sur sa Dallara.
4e: Prost est juste derrière Senna mais ne porte aucune attaque pour le moment. Mansell se montre dans les rétroviseurs de Berger. Le réservoir de la Tyrrell de Palmer a perdu son bouchon. L'Anglais regagne son stand pour faire colmater la fuite et arroser son dos brûlant ! Il redémarre deux minutes plus tard.
5e: Pirro porte une attaque sur Boutsen à l'abord de la troisième chicane. Il touche la Williams qui est propulsée contre le rail en marche arrière. Boutsen tape très fort mais sort sans peine de sa voiture tandis que Pirro peut poursuivre sa route.
6e: Prost suit Senna comme son ombre. Berger est toujours menacé par Mansell. Le moteur de Nannini se met à bafouiller. Le capteur d'allumage est cassé sur son volant. Le Siennois rejoint son garage et met pied à terre.
7e: Senna précède Prost (0.5s.), Berger (3s.), Mansell (3.8s.), Pirro (12s.), Patrese (16.5s.), Piquet (18.7s.), Alesi (22s.), Brundle (29s.) et Modena (30s.).
8e: Senna et Prost se livrent à une superbe bataille. Le Brésilien roule en 1'49''127''', le Français en 1'49''094'''. Les Ferrari restent au contact des McLaren-Honda. Johansson renonce avec un roulement de moyeu arrière brisé.
9e: Modena prend la neuvième position à Brundle qui va bientôt aussi céder à Gugelmin.
10e: Senna est premier devant Prost (0.7s.), Berger (3.3s.), Mansell (4s.), Pirro (16.8s.), Patrese (22.4s.), Piquet (27.5s.), Alesi (33.5s.), Modena (39.5s.) et Gugelmin (40.3s.).
11e: Senna se déchaîne et réalise un chrono exceptionnel: 1'48''242''' ! Mais Prost demeure dans son sillage. Nakajima et Warwick doublent Brundle dont les pneus Pirelli fonctionnent mal.
12e: Senna et Prost abaissent à chaque passage le meilleur tour en course. Berger et Mansell sont roues dans roues. Gugelmin prend l'avantage sur Modena.
13e: La foire d'empoigne se poursuit entre Senna (1'48''154''') et Prost (1'48''115'''). Plus loin, Berger escalade généreusement les vibreurs en résistant à Mansell, ce que ses jantes n'apprécient pas... Nakajima dépasse Modena.
14e: Le pneu arrière-gauche de Berger éclate au freinage de la première chicane. La Ferrari tire tout droit, décolle sur le trottoir en béton, atterrit lourdement, perd son museau et traverse la piste avant d'achever sa route dans la pelouse. Berger sort sans mal de son bolide dont le train avant est complétement ouvert.
15e: Senna devance Prost (1s.), Mansell (8.8s.), Pirro (24.5s.), Patrese (35.2s.) et Piquet (41.2s.).
17e: Senna et Prost continuent leur mano à mano: chacun s'empare successivement du record du tour.
18e: Prost arrive aux stands pour changer de pneus. L'opération dure près de vingt secondes. Le préposé à la roue arrière-gauche peine à fixer l'écrou à cause d'un frein mal bloqué. Prost repart derrière Mansell. Palmer abandonne après avoir cassé son câble d'accélérateur.
19e: Senna reste en piste. Prost lui reprend près de quatre secondes dans cette boucle. Arrêt pneus pour Mansell (9s.). Le Britannique repart derrière Pirro. Patrese change ses Goodyear en dix secondes. Brundle et Nakajima passent aussi par les stands.
20e: Entrée de Senna aux stands. Ses mécaniciens changent ses roues très rapidement, mais celui chargé de la roue arrière-droite n'est pas sûr de son fait. Il redémonte la roue et Senna se morfond durant vingt-trois secondes. Lorsqu'il reprend la piste, Prost a pris le commandement ! Pirro change aussi de pneus.
21e: Prost devance Senna (3.2s.), Mansell (9.7s.), Pirro (26.9s.), Piquet (28.7s.), Gugelmin (41.2s.), Patrese (43.4s.), Warwick (52.6s.), Modena (57.1s.), Martini (1m.) et de Cesaris (1m. 01s.). Alesi et Alliot observent leur changement de gommes.
22e: La lutte reprend entre Prost et Senna qui accumulent les meilleurs tours. Piquet chausse des pneus neufs. Alesi part en tête-à-queue à la Sachkurve et se retrouve enlisé dans les graviers. Il redémarre tout de même avec l'aide des commissaires. Le moteur d'Alliot explose à la troisième chicane. L'huile prend feu et arrose les pneus arrière de la Lola qui part en toupie. Le pilote parvient à s'en extraire rapidement tandis que les commissaires interviennent pour maîtriser l'incendie.
25e: Prost devance Senna (3.8s.), Mansell (13s.), Pirro (30s.), Gugelmin (45s.), Patrese (47s.), Piquet (1m. 10s.) et Warwick (1m. 18s.). Plus loin, de Cesaris, Modena, Martini, Nakajima, Cheever et Capelli se livrent à une âpre bagarre.
26e: Senna attaque avec une froide détermination mais ne reprend que quelques centièmes à un Prost imperturbable. Ne pouvant pas rattraper les McLaren, Mansell réduit son rythme. Changements de pneus pour Martini et Cheever.
27e: Prost roule en 1'46''623'''. Pirro aborde l'entrée du Stadium lorsqu'il escalade le trottoir et part en travers. La Benetton pulvérise les panneaux en polystyrène qui délimitent la piste et finit sa course contre les glissières. Sonné, le jeune Italien est extrait sans précaution de son habitacle par les commissaires.
28e: Gugelmin n'avait pas prévu de changer ses pneus, mais hélas il est stoppé par sa transmission, bloquée en cinquième vitesse.
29e: Prost est aux prises avec le groupe d'attardés emmenés par Nakajima et de Cesaris. Sid Watkins et quelques médecins entourent désormais Pirro qui est évacué vers le centre médical de l'autodrome. Gugelmin rejoint son garage.
30e: Prost est premier devant Senna (3.7s.), Mansell (34.4s.), Patrese (1m. 22s.), Piquet (1m. 33s.), Warwick (1m. 42s.), Nakajima (-1t.), de Cesaris (-1t.), Capelli (-1t.) et Modena (-1t.).
31e: Prost et Senna sont sortis du trafic. Trois secondes et sept dixièmes les séparent.
32e: Senna signe un chrono d'1'46''404''' et se rapproche de son équipier. Capelli met pied à terre: son potentiomètre d'accélérateur est grippé par de la poussière. Le Milanais n'a toujours pas vu l'arrivée depuis le début de la saison.
33e: Senna réduit son retard sur Prost à trois secondes pleines. Tous deux prennent un tour à Warwick. Mansell est à trente-sept secondes des McLaren. Piquet se rapproche de Patrese mais son moteur surchauffe. Le Brésilien s'astreint à la prudence.
35e: Piquet concède un tour aux deux pilotes McLaren, toujours séparés par trois secondes.
36e: Senna ne lâche pas sa proie et abaisse encore le record du tour (1'46''133'''). L'intervalle avec Prost tombe à deux secondes et sept dixièmes. Mansell leur concède trois secondes par tour.
37e: Senna boucle son tour en 1'45''994''' tandis que Prost rattrape Patrese.
38e: Prost et Senna effacent Patrese. Nakajima exécute un tête-à-queue à la première chicane et cale son moteur. Le Japonais doit renoncer.
39e: Senna revient à deux secondes de Prost. Le moteur Judd de Modena explose devant les stands.
40e: Prost est leader devant Senna (1.1s.), Mansell (1m. 13s.), Patrese (-1t.), Piquet (-1t.), Warwick (-1t.), de Cesaris (-1t.), Brundle (-1t.) et Martini (-1t.).
41e: L'intervalle entre les McLaren tombe sous la seconde. Senna est maintenant en mesure de doubler son rival.
42e: Prost répond à l'offensive senniste en améliorant le record du tour (1'45''977''').
43e: Prost arrive sur le Stadium lorsqu'il perd l'usage de son sixième rapport. Comprenant qu'il ne pourra pas résister, il laisse passer Senna, lequel prend la tête et signe en outre le record du tour définitif (1'45''884'''). Cheever renonce à cause d'ennuis d'alimentation.
44e: Senna vole vers la victoire. Prost roule en cinquième pour sauver ce qu'il reste de sa boîte transversale. Heureusement, Mansell est à plus d'une minute du Français. Lâché par son embrayage et bloqué en quatrième vitesse, Arnoux termine la course en roue libre.
45ème et dernier tour: Ayrton Senna remporte son dix-huitième Grand Prix devant Prost et Mansell. Patrese termine quatrième après une course anonyme. En pleine renaissance, Piquet finit cinquième et apporte deux points à Lotus. Warwick se classe sixième. Suivent de Cesaris, Brundle, Martini, Alesi et Arnoux.
Après la course: victoire et deuil pour Ayrton Senna
Senna et Prost s'ignorent complétement sur le podium. Trahi par sa mécanique, le Français ne cache pas son désappointement. « Ce fut une course très rapide et très dure », explique-t-il. « Ayrton et moi avons attaqué sans penser ni aux freins, ni au moteur, ni aux pneus. C'était une course qu'il fallait gagner à la régulière, sans arbitre... Malheureusement... A l'instant où la sixième vitesse a lâché, j'ai cru tout perdre. J'ai alors passé les rapports avec douceur pour rentrer au bercail avec six points. C'est l'essentiel. »
Mû par sa fougue habituelle, Ayrton Senna glane une belle victoire, même s'il a été aidé par la chance. « Je n'ai pas adopté de stratégie particulière, dit-il. Après mon arrêt particulièrement long, j'ai pris un rythme très rapide pour rester très près de Prost. Je suis resté très concentré car tout pouvait arriver, même à trois tours de l'arrivée. J'attendais un problème technique, une erreur de pilotage. L'incident est survenu. Pour avoir perdu autant de temps lors de mon arrêt, pour avoir mené un rythme un peu fou, je suis finalement très content de cette victoire. »
Malheureusement, quelques instants après la cérémonie du podium, Viviane Senna annonce à son frère la mort d'Armando Botelho Teixeira. Son ami intime, son conseiller, l'homme à qui son père Milton l'avait confié, a succombé à un cancer du foie dans une clinique de São Paulo. Terrassé par la nouvelle, Senna se réfugie au fond de son mobil-home avec sa sœur pour prier. « Armando était un deuxième père pour Ayrton », rappelle Viviane. Sous le masque du guerrier intraitable, un Senna complexe, émotif et délicat apparaît aux yeux de certains journalistes qui en étaient venus à douter de sa sensibilité.
Loin de cette tragédie, Emmanuele Pirro a été transféré à l'hôpital d'Heidelberg pour subir des examens de contrôle. Le jeune Italien ne souffre que d'une légère commotion. Mais la façon pour le moins abrupte avec laquelle les commissaires l'ont retiré de sa Benetton aurait pu être lourde de conséquences. Le malheureux Philippe Streiff, toujours paralysé, en sait quelque chose... Jean-Marie Balestre ne manquera pas de taper sur les doigts des organisateurs...
Prost conserve avec 53 points la tête du classement mondial devant Senna (36 pts). Mansell et Patrese se partagent maintenant la troisième place avec 25 unités chacun.
Tony