Vingt-sept concurrents sont inscrits au départ de Grand Prix tandis que le circuit de Monte-Carlo n'est homologué que pour un maximum de vingt-quatre bolides en piste aux essais. L'ACM avait donc prévu une séance de pré-qualifications le jeudi matin. Mais des négociations entre le président de l'ACM Michel Boeri et Bernie Ecclestone ont permis d'annuler cette séance, ce qui laisse donc une chance de se qualifier aux Theodore-Shadow, les plus mauvaises voitures du plateau. Ce faisant Ecclestone se crée un obligé en la personne de Teddy Yip. Ce n'est pas inutile dans la lutte qu'il mène contre la FISA...
Certains pilotes sont toutefois mécontents de cette décision car ils pensent que ce nombre élevé de voitures en piste est dangereux. Jody Scheckter réunit le GPDA pour en débattre mais une nouvelle fois aucune majorité n'émerge. Certains directeurs d'équipe ont menacé de renvoyer leurs pilotes si ceux-ci devenaient frondeurs. Une nouvelle fois l'association des pilotes fait preuve de son impuissance. Scheckter ne sera décidément pas le troisième homme qui arbitrera le match Balestre - Ecclestone.
Cette guerre continue puisque, comme à Zolder, les pilotes liés aux équipes de la FOCA boycottent la conférence d'avant-course donnée par Balestre. Cette fois-ci les rangs sont plus clairement découpés. Après avoir tergiversé, Guy Ligier se range derrière Ecclestone, tout comme Jackie Oliver d'Arrows qui avait permis à ses coureurs de rester dans la légalité en Belgique. Ferrari, Alfa Romeo et Renault demeurent sous la bannière du légalisme, rejoints par Vincenzo Osella dont la petite équipe est placée sous la protection de la Scuderia. De plus son pilote Eddie Cheever court pour Lancia en Endurance, marque membre comme Ferrari du groupe Fiat.
Plus d'un mois après son très grave accident à Long Beach, Clay Regazzoni n'a hélas pratiquement plus d'espoir de remarcher un jour. Ses jambes ne se sont pas "réveillées" et Rega devrait finir ses jours dans un fauteuil roulant, ce qui consterne tous ses amis.
Enzo Ferrari a décidé que ce GP de Monaco serait crucial pour la suite de la saison de la Scuderia. Avec seulement trois points inscrits en cinq épreuves, la 312 T5 se montre très en deçà des performances des Williams, Ligier et autres Brabham. Mauro Forghieri a été bien trop conservateur en imaginant cette simple évolution de la T4. En six mois la concurrence a fait des bonds de géant en avant. Du reste les pneus Michelin ne donnent pas satisfaction à Jody Scheckter et à Gilles Villeneuve. Si aucune amélioration n'est perceptible sur la Côte d'Azur, alors Ferrari se tournera vers la préparation de la saison 1981 où devrait apparaître son moteur turbocompressé.
Quelques modifications ont été apportées au circuit: la largeur des bordures a été réduite à l'entrée de Sainte-Dévote et à Mirabeau afin de faciliter les dépassements.
Les qualifications
La séance qualificative du jeudi est perturbée par la pluie. Pironi est le plus rapide avant que la piste soit humide. Le jeune Français est sur un petit nuage depuis son succès à Zolder. La Ligier est impeccable à Monte-Carlo et Pironi réussit à décrocher le samedi sa première pole position. Il précède Reutemann qui semble être son rival le plus menaçant. Handicapé par du sous-virage, Jones se contente de la troisième place devant Piquet qui fait bonne figure même s'il n'aime pas ce tracé. Laffite est cinquième avec la seconde Ligier. Villeneuve a pris tous les risques avec sa Ferrari et se classe sixième, un vrai exploit car la T5 ne s'est pas améliorée: le beaucoup plus sage Scheckter n'est que dix-septième... En quatrième ligne on trouve les deux Alfa Romeo de Depailler et de Giacomelli. Les Tyrrell ont un comportement convenable: Jarier est neuvième et Daly, qui a tapé le mur deux fois, douzième. Prost hisse sa McLaren M29 un peu modifiée au dixième rang.
Malgré un sous-virage excessif, les Arrows se qualifient: Patrese est 11ème, Mass 15ème. Lammers continue de faire bonne figure au volant de l'ATS avec la treizième place. Les Lotus n'avancent guère: de Angelis est quatorzième, Andretti 19ème. L'Américain est derrière Fittipaldi, un autre champion du monde. Enfin les Renault turbo sont comme prévu "à la ramasse" sur cette piste. Jabouille est seizième, Arnoux vingtième et dernier...
Pour la première fois de sa carrière, Watson subit l'affront d'une non-qualification. Le Nord-Irlandais semble désorienté en cette saison, et surtout est largement dominé par le jeune Prost. « John, what's wrong ? » (« John, qu'est-ce qui ne va pas ? » le surnomment un peu cruellement ses mécaniciens. Parmi les autres éliminés de marque, on note Rosberg sur Fittipaldi et Zunino sur la seconde Brabham. Kennedy et Lees sur Theodore-Shadow, ainsi que Cheever sur Osella, n'avaient en revanche rien à espérer...
Le Grand Prix
La course commence sous un ciel couvert. On attend de la pluie pour la fin de l'épreuve.
Départ: Pironi conserve l'avantage de sa pole devant Reutemann qui a surpris Jones. Suivent Laffite et Depailler. A l'arrière du peloton Daly, tout à sa lutte avec Patrese, ne voit pas Giacomelli qui freine brusquement devant lui. La Tyrrell décolle sur l'arrière de l'Alfa Romeo, fait une pirouette dans les airs, démolit l'arrière de la McLaren de Prost et atterrit sur la voiture de son équipier Jarier. La piste est obstruée par ces voitures. Villeneuve prend l'échappatoire pour les éviter. Bloqués, Lammers et Patrese emmêlent leurs roues avant de repartir. Arnoux a calé au départ et se retrouve en queue de peloton.
1er tour: Jones déborde Reutemann dans la montée vers Mirabeau. Daly, Giacomelli, Prost et Jarier sortent indemnes de leurs voitures. Pironi mène devant Jones, Reutemann, Laffite, Depailler, Piquet, Scheckter, Jabouille, Villeneuve et Mass. Lammers s'arrête au stand ATS pour faire réparer sa suspension arrière endommagée dans son contact avec Patrese.
2e: Les leaders passent devant les lieux du carambolage où se trouvent encore les épaves de Giacomelli et de Daly. L'Irlandais est pris à partie J-M. Balestre qui se trouvait là et le désigne comme le responsable de la confusion.
3e: Les six premiers, Pironi, Jones, Reutemann, Laffite, Depailler et Piquet se suivent de près. Scheckter est distancé et isolé.
4e: Jones est dans les échappements de Pironi, poursuivi de près par Reutemann et Laffite.
6e: Les Ligier et les Williams se suivent toujours de près. Deux secondes les séparent de Depailler et de Piquet.
8e: Pironi et Jones sont roues dans roues. Villeneuve prend la huitième place à Jabouille qui a abîmé l'avant de sa Renault dans le carambolage du départ.
9e: Jabouille se fait doubler par Mass et par de Angelis.
10e: Jones se décale avant Sainte-Dévote pour se montrer dans les rétroviseurs du Français. Jabouille entre au stand Renault pour faire réparer son nez et ressort en avant-dernière position.
11e: Pironi mène devant Jones (0.3s.), Reutemann (1.1s.), Laffite (1.9s.), Depailler (2.8s.) et Piquet (3.7s.). Villeneuve prend la septième place à Scheckter. Lammers ressort de son garage avec dix tours de retard.
12e: Mass double Scheckter qui a beaucoup de mal à maintenir sa voiture en piste.
13e: Pironi et Jones s'échappent un peu. Ils ont deux secondes d'avance sur Reutemann et Laffite, rattrapés par Depailler et par Piquet. Scheckter entre aux stands pour changer de pneus.
15e: Pironi et Jones sont toujours très proches, mais en revanche Reutemann et cie. sont relégués à quatre secondes.
17e: Jones est collé à l'arrière de la Ligier de Pironi. Mais celui-ci, impressionnant, ne lui laisse aucun espace dans lequel s'engouffrer. Reutemann a semé Laffite et revient à trois secondes du duo de tête.
18e: Reutemann est revenu à une seconde et demie de Pironi.
20e: Les positions sont de nouveau resserrées en tête. Laffite, Depailler et Piquet se rapprochent de Reutemann. Villeneuve est septième à vingt-cinq secondes du leader et précède nettement de Angelis, Mass, Andretti et Fittipaldi.
21e: Villeneuve a abîmé ses pneus en attaquant. Il entre au stand Ferrari pour chausser un nouveau train de gommes et repart en treizième position. Douzième, Arnoux est bloqué derrière Patrese.
22e: Pironi est premier devant Jones (0.2s.), Reutemann (1.6s.), Laffite (3.2s.), Depailler (4.2s.) et Piquet (5.5s.).
23e: Jones est toujours dans le sillage de Pironi. Ces pilotes arrivent sur un quatuor de retardataires composé de Scheckter, Lammers (qui a de nombreuses boucles de retard), Arnoux et Patrese.
24e: Pironi et Jones prennent un tour à Scheckter.
25e: Jones sent l'arrière de sa voiture se dérober: son différentiel vient de serrer. Pironi s'est débarrassé de Lammers, Arnoux et Patrese. Reutemann et Laffite rattrapent ce groupe.
26e: Pironi mène avec trois secondes d'avance sur Reutemann tandis que Depailler a semé Piquet grâce au trafic. Jones est de retour au garage Williams et sort de sa voiture.
27e: Pironi mène devant Reutemann (2.5s.), Laffite (3s.), Depailler (8s.) et Piquet (11s.). De Angelis occupe maintenant la sixième place devant Mass, Andretti et Fittipaldi.
29e: Scheckter entre au stand Ferrari. Il juge que la tenue de route de sa T5 est désastreuse et préfère abandonner.
30e: Pironi est premier devant Reutemann (2.2s.), Laffite (3s.), Depailler (8s.) et Piquet (10s.). Jabouille s'arrête dans la montée après Sainte-Dévote suite à une panne de boîte de vitesses.
32e: Laffite est distancé par Reutemann. Depailler se rapproche de son ancien équipier. Très loin de là, à un tour, Patrese, Arnoux et Villeneuve sont roues dans roues. Ces pilotes se battent pour la dixième place.
35e: Pironi a trois secondes d'avance sur Reutemann, cinq secondes et demie sur Laffite.
36e: A l'abord de Sainte-Dévote, Villeneuve plonge à l'intérieur, escalade le vibreur et double Arnoux qui doit freiner en catastrophe pour éviter l'accrochage. Très surpris, le Français repasse même derrière Lammers qui n'est pas dans le même tour que lui.
37e: Après ce dépassement "kamikaze" sur Arnoux, Villeneuve menace désormais Patrese.
38e: Villeneuve dépasse Patrese par l'extérieur sur la ligne de chronométrage et se rabat devant l'Arrows juste avant Sainte-Dévote. Le voici dixième.
40e: Meilleur tour en course pour Reutemann: 1'27''418'''. L'Argentin se rapproche de Pironi. Quelques gouttes de pluie commencent à tomber entre le Casino et le Portier.
41e: Pironi mène devant Reutemann (1.9s.), Laffite (3.7s.), Depailler (5.9s.) et Piquet (19s.). Suivent de Angelis, Mass, Andretti, Fittipaldi et Villeneuve.
42e: Mass concède un tour aux leaders.
43e: La piste est relativement humide dans la première portion du circuit. La pluie demeure assez fine.
45e: Deux secondes et demie séparant Pironi et Reutemann.
46e: De Angelis est surpris par la piste glissante et tire tout droit dans la descente vers Mirabeau. Il parvient à éviter le rail, puis repart avec l'aide des commissaires. Il n'a pas perdu de place et demeure sixième. Villeneuve double Fittipaldi.
47e: Pironi sème Reutemann. De Angelis passe au stand Lotus pour faire refixer son harnais. Il se fait ainsi doubler par Mass et par Andretti.
48e: Distancé par Reutemann, Laffite n'a plus qu'une seconde d'avance sur Depailler.
50e: Les nouvelles conditions de piste sont très favorables à Pironi. Il mène devant Reutemann (6.5s.), Laffite (13.9s.), Depailler (14.5s.), Piquet (42.4s.), Mass (-1t.) et Andretti (1t.)..
51e: Depailler tombe en panne de moteur après le deuxième S de la Piscine. Il s'arrête le long du rail. Piquet et Mass grimpent d'un rang tandis qu'Andretti entre dans les points.
52e: Pironi est à la peine car sa troisième vitesse saute par intermittence, ce qui le contraint à conserver une main sur son levier. Reutemann arrive derrière Patrese et Arnoux, toujours en bagarre depuis le début de la course.
55e: La Ligier de Pironi part en glissade au rond-point du Casino. Le pilote tente de corriger sa trajectoire mais sa troisième vitesse saute, et la voiture au point mort heurte le rail. Pironi repart, mais il s'arrête dans l'échappatoire de Mirabeau avec une suspension tordue. Reutemann est le nouveau leader.
56e: Reutemann a trente-six secondes d'avance sur Laffite. Au virage de Mirabeau, Arnoux attaque Patrese mais celui-ci lui ferme la porte et les deux bolides entrent en contact. La Renault décolle et atterrit dans la barrière tandis que Patrese poursuit sa route. Arnoux est furieux contre Patrese.
57e: Patrese est au stand Arrows pour changer un pneu crevé suite à son accrochage et reprend la course.
58e: Laffite fait des signes à chaque passage devant les stands. Il demande l'arrêt de la course car selon la piste est trop humide pour continuer à courir avec des pneus slicks. La bruine n'a en effet pas cessé.
60e: Reutemann est leader devant Laffite (38.2s.), Piquet (53.6s.), Mass (-1t.), Andretti (-1t.), de Angelis (-1t.) et Villeneuve (-1t.).
62e: Les pilotes sont en difficulté car la piste est de plus en plus humide tandis qu'il ne reste que quatorze tours à couvrir.
64e: Reutemann creuse sans cesse l'écart sur Laffite qui est très mal à l'aise dans ces conditions. Piquet se rapproche de lui. Andretti s'arrête au stand Lotus pour faire changer sa tringlerie de sélection de boîte. Villeneuve entre dans les points.
65e: Reutemann a quarante-huit secondes d'avance sur Laffite. Piquet est à dix-sept secondes du Français. Andretti repart en huitième position, derrière Fittipaldi.
67e: Laffite continue à demander l'arrêt de l'épreuve car la pluie est maintenant forte. Mais il ne sera pas entendu.
68e: L'avance de Reutemann sur Laffite dépasse maintenant la minute. Piquet n'a plus que treize secondes de retard sur la Ligier.
70e: Piquet ralentit à cause de la pluie et n'a plus d'espoir de rattraper Laffite. De Angelis part en tête-à-queue à Massenet et frotte le rail. Cette fois-ci il doit abandonner. Fittipaldi entre dans les points.
72e: Reutemann est premier devant Laffite (1m. 05s.), Piquet (1m. 23s.), Mass (-1t.), Villeneuve (-1t.) et Fittipaldi (-1t.).
73e: La pluie est maintenant très forte. Reutemann et les autres pilotes baissent considérablement le rythme.
75e: La course se finit à très faible allure sur une piste détrempée. Dans les stands on ne comprend pas pourquoi la course n'a pas été interrompue.
76ème et dernier tour: Après une fin de course éprouvante, Carlos Reutemann remporte son dixième Grand Prix de Formule 1, le premier pour le compte de Williams. Laffite termine deuxième et Piquet troisième. Le solide Mass obtient la quatrième place pour Arrows. Villeneuve décroche deux points tandis que la sixième place échoit à Fittipaldi. Andretti, Patrese et Lammers sont les seuls autres pilotes à rallier l'arrivée.
Après la course
Pendant que Carlos Reutemann reçoit les félicitations de Rainier III, l'ambiance n'est pas au beau fixe dans le paddock. Jean-Marie Balestre s'en prend vertement à Derek Daly et à Riccardo Patrese pour leur conduite dangereuse. De leurs côtés, Guy Ligier, Gérard Ducarouge et Jacques Laffite en veulent au président de la FISA de ne pas avoir arrêté l'épreuve tandis que la pluie redoublait. Leur ami Didier Pironi est mortifié: il a bêtement perdu une victoire qu'il aurait amplement méritée. C'est à peine s'il peut répondre aux questions des journalistes. René Arnoux est lui beaucoup plus disert et se répand en imprécations à l'encontre de Riccardo Patrese.
Nelson Piquet a mené une course discrète, mais sa troisième place lui permet de prendre le commandement du championnat du monde avec 22 points contre 21 à Arnoux, 19 à Jones, 17 à Pironi, 15 à Reutemann et 12 à Laffite. C'est la première fois qu'un Brésilien est en tête de la compétition depuis Emerson Fittipaldi en 1975. Williams consolide sa première place au classement des constructeurs avec cinq points d'avance sur Ligier.
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Grand Prix d'Espagne, prévue pour être la 7e manche
Tony