Bilan à mi-parcours
Le Grand Prix de Grande-Bretagne à Brands-Hatch marque le passage dans la deuxième partie du championnat du monde. Un second volet permis par la trêve négociée entre la FOCA et la FISA au Castellet.
Alan Jones est de nouveau le favori de cette compétition après en avoir pris le commandement grâce à son succès en France. Sa Williams est certainement la meilleure voiture du plateau et il n'a pas grand-chose à craindre de son équipier Carlos Reutemann, tenu par son contrat de pilote n°2. Ses concurrents les plus redoutables sont Jacques Laffite et Didier Pironi dont les Ligier sont aussi performantes que les Williams, mais aussi moins fiables. Jones doit aussi se méfier de Nelson Piquet qui avec sa Brabham BT49 engrange méthodiquement les points.
Enfin les Renault de René Arnoux et de Jean-Pierre Jabouille apparaissent surtout comme des outsiders car les performances des monoplaces suralimentées varient beaucoup d'une piste à l'autre.
Rumeurs du paddock
1980 est une nouvelle année décevante pour McLaren qui décidément ne parvient pas à retrouver son succès des années Fittipaldi - Hunt. Teddy Mayer a décidé de vendre une partie de son équipe au jeune manager Ron Dennis, ancien mécanicien de Jack Brabham qui a obtenu de grands succès en Formule 3 avec son écurie Project Four. Très soutenu par Philip Morris, Dennis envisage de reconstruire McLaren à partir de Project Four, avec la collaboration de John Barnard, un ingénieur très ambitieux. Mayer et Dennis sont en pourparlers avancés pour mettre en place la nouvelle structure à compter de la saison 1981.
Il y a quelques remous au sein des équipes françaises. Chez Ligier, si Jacques Laffite et Didier Pironi sont bons amis, leur rivalité n'en est pas moins réelle. De plus Pironi est déçu par Guy Ligier et son caractère volcanique. Il envisage de changer d'équipe pour 1981 mais n'en souffle mot à son patron. Chez Renault Jean-Pierre Jabouille commence à se lasser de ne jamais terminer un Grand Prix tandis que René Arnoux, son lieutenant sur le papier, est en lice pour le titre mondial. Du reste, si les deux hommes sont timides et réservés, leur popularité n'est pas la même. Le public français chérit « Néné » Arnoux, le « p'tit gars » à l'accent du terroir, et ignore relativement Jabouille perçu comme un froid ingénieur.
Pendant que la Scuderia Ferrari prépare sa monoplace à moteur turbocompressé, en coulisses le Commendatore cherche un remplaçant à Jody Scheckter qui a refusé de prolonger son contrat. Pour assister Gilles Villeneuve, il songe à engager un jeune pilote italien comme Elio de Angelis, très prometteur, ou Riccardo Patrese, plus contesté. Le nom du Français Alain Prost est aussi cité.
Le départ de Mario Andretti de chez Lotus est aussi envisagé. Âgé de 40 ans, l'Italo-Américain n'a toujours pas inscrit un seul point cette saison et est dominé par le sémillant Elio de Angelis... qui pourrait presque être son fils. Certains journalistes pensent qu'Andretti va partir à la fin de l'année finir sa carrière aux États-Unis.
Présentation de l'épreuve
Depuis le début de la saison, Ricardo Zunino hantait les fonds de grille tandis que Nelson Piquet se battait avec les meilleurs... Bernie Ecclestone a décidé de renvoyer l'Argentin et de le remplacer par le Mexicain Hector Rebaque, sans volant depuis qu'il a dû dissoudre sa propre équipe. Rebaque a la réputation d'être un bon pilote, mais est aussi très riche et aborde quelques subsides à Brabham.
Teddy Yip s'est rendu compte qu'il perdait du temps et de l'argent en engageant des Shadow qui n'avaient aucune chance de se qualifier. Il décide de se retirer du championnat du monde afin de préparer un retour en 1981, cette fois-ci avec ses propres voitures.
L'équipe Fittipaldi présente une nouvelle machine, la F8 due au crayon de Harvey Postlethwaite. C'est une wing-car très classique dont la coque est en nid d'abeille, une particularité des conceptions de Postlethwaite. Emerson sera le seul à la conduire en course car Keke Rosberg va fracasser son modèle contre le mur des stands... et devra se contenter de la F7 de réserve.
Enfin l'équipe RAM de John Macdonald engage désormais des Williams FW07 version 1979 pour Rupert Keegan et la jeune Sud-Africaine Désiré Wilson, quatrième femme à tenter sa chance en championnat du monde de Formule 1.
Sur le circuit Paul-Ricard les Ligier ont dû abandonner la victoire à la Williams d'Alan Jones seulement à cause de la surchauffe de leurs pneus avant de treize pouces. Pour cette course l'équipe française a décidé de monter de nouvelles jantes de quinze pouces. Toutefois cette initiative de Guy Ligier est assez hasardeuse car les ingénieurs n'ont pas eu le temps de tester ces nouvelles pièces avant le Grand Prix... Les monoplaces bleues sont aussi munies de nouveaux pontons et de larges ailerons, d'où un excellent appui aérodynamique.
Afin de lutter contre un sous-virage récurrent, Tony Southgate a installé des jupes sous le nez des Arrows A3 ! Ces pièces s'avèrent rapidement inutiles et seront démontées. Les McLaren M29C continuent d'être modifiées. Elles possèdent maintenant de nouvelles suspensions arrière tandis l'aérodynamisme a été revu. Enfin Ferrari essaie une nouvelle coque rétrécie pour sa T5 afin d'enrayer sa descente aux enfers. Cela ne fonctionnera pas.
Les qualifications
Comme en Espagne et en France, les Ligier survolent les essais. Pironi réalise sa deuxième pole position de la saison devant Laffite. Avec un chrono d'1'11''004, il bat de près de six secondes la pole position réalisée ici par Ronnie Peterson en 1978 ! Jones et Reutemann sont en deuxième ligne et devancent la Brabham de Piquet. Au volant d'une Alfa Romeo 179 toute neuve, Giacomelli obtient une belle sixième place. Pour sa part Depailler est huitième. Prost réalise un joli exploit en obtenant la septième place, tandis que son équipier Watson n'est que douzième. Avec une Lotus 81 un peu améliorée, Andretti se classe neuvième devant les Tyrrell de Daly et de Jarier. De Angelis est violemment sorti de la piste après avoir perdu un ponton et n'est que 14ème.
Un temps anormalement froid a ruiné les espoirs de l'équipe Renault-Elf dont les pneus Michelin n'aiment pas cette fiable température. Jabouille et Arnoux ne parviennent pas à faire chauffer leurs gommes et ne se classent qu'aux 13ème et 16ème rangs. Arnoux a de plus été victime d'un gros accident à Druids qui l'a conduit à l'infirmerie. Surer est quinzième avec l'ATS, Rebaque dix-septième avec l'autre Brabham. Pour son retour au plus haut niveau de la compétition, Keegan est sorti plusieurs fois de la route mais est tout de même 18ème. Les Ferrari ne sont pas plus compétitives et même ralenties par les Michelin : Villeneuve est 18ème, Scheckter 23ème... Elles accompagnent en fond de grille les Arrows de Patrese et de Mass, Fittipaldi sur sa nouvelle voiture et l'Osella de Cheever.
Wilson, Rosberg et Lammers ne sont pas qualifiés.
Le Grand Prix
Dans le clan Goodyear, un long débat oppose ceux qui veulent partir en pneus tendres et ceux qui souhaitent s'équiper de pneus durs. Finalement les pilotes de têtes choisissent les gommes dures, à l'exception des pilotes Alfa Romeo.
Départ: Pironi s'élance très bien, au contraire de Laffite qui est attaqué par Jones. Mais le Français conserve sa position.
1er tour: Jones attaque Laffite à Surtees, sans succès. Piquet passe Reutemann au même endroit. Pironi mène à l'issue de ce tour devant Laffite, Jones, Piquet, Reutemann, Depailler, Giacomelli, Daly, Andretti et Jarier. Après un mauvais départ Prost n'est plus que douzième.
2e : Pironi a deux secondes d'avance sur Laffite qui protège son échappée. C'est en effet ce qui a été convenu entre eux : celui qui prend le meilleur départ ne sera pas attaqué par l'autre.
3e: Laffite a maintenant une seconde et demie de marge sur Jones qui est menacé par Piquet. Ce trio a semé Reutemann.
4e : Laffite a pris du champ sur Jones et Piquet. Le Brésilien menace l'Australien dans les virages mais est plus lent que la Williams en ligne droite.
5e : Pironi mène devant Laffite (2.8s.), Jones (4.5s.), Piquet (5.1s.), Reutemann (10s.), Depailler (11.5s.) et Giacomelli (13s.).
7e: Revenu au onzième rang, Jabouille est contraint à l'abandon, moteur cassé.
8e: Pironi et Laffite creusent l'écart en tête de la course, tandis que Piquet est dans les roues de Jones. Cheever est au stand Osella pour changer de pneus. Il était parti avec un train de gommes trop tendres.
10e: Pironi compte désormais deux secondes d'avance sur Laffite et une dizaine de secondes sur le duo Jones-Piquet.
12e : Piquet est toujours sur les talons de Jones mais ne trouve pas d'ouverture.
13e: Pironi mène devant Laffite (2.9s.), Jones (10.6s.), Piquet (11s.), Reutemann (18.5s.) et Depailler (26.3s.).
14e: De Angelis passe par les stands pour changer ses pneus.
15e : Pironi et Laffite paradent en haut du classement et semblent partis pour réaliser le doublé. Jones a onze secondes de retard mais a maintenant deux secondes de marge sur Piquet.
16e: Prost est aux stands pour changer de pneus. Il repart vingt-et-unième, juste devant Pironi qu'il laisse aussitôt passer.
17e: Parti avec des Goodyear tendres, Giacomelli change de pneumatiques et se retrouve quinzième. De Angelis revient au garage Lotus et met pied à terre car sa suspension arrière a lâché.
18e: Pironi ralentit soudainement, victime d'une crevaison à l'avant-gauche à cause de la fissure d'une jante. Du coup Laffite prend le commandement de l'épreuve.
19e: Pironi est revenu à son stand pour changer ses gommes. Il y reste arrêté près d'une minute, et ressort vingt-et-unième et dernier. Victime d'un bris de suspension arrière, Cheever se retrouve dans l'herbe.
20e : Laffite est désormais premier devant Jones (9.4s.), Piquet (12.1s.) et Reutemann (17.3s.). A plus de trente secondes, Daly prend la cinquième place à Depailler.
21e: Villeneuve s'arrête aux stands afin de réparer une jupe qui s'était coincée.
22e: Laffite a huit secondes et demie d'avance sur Jones, seize secondes sur Piquet. Andretti prend la cinquième place à Depailler.
23e: Depailler se fait passer par Jarier.
24e: Depailler est aux stands car son moteur ratatouille. Le Français va repartir vingtième.
25e : Villeneuve s'arrête une nouvelle fois au stand Ferrari car son moteur a des ratés. Il repart quelques instants plus tard.
26e : Laffite veut prendre un tour à Surer mais ce dernier ne le voit pas et le tasse contre une bordure. Le pilote Ligier parvient finalement à se débarrasser du Suisse non sans lui adresser un poing vengeur.
28e: Les jantes de la Ligier de Laffite commence à sérieusement se dégrader. Le bolide français perd de l'adhérence.
29e : Jones a repris trois secondes à Laffite. Pironi est extrêmement rapide et remonte rapidement. Il a doublé cinq voitures en cinq tours.
30e: Laffite a prévu d'effectuer un changement de pneus à la fin de ce tour, mais finalement décide de poursuivre une boucle de plus. Pironi est déjà revenu en treizième position. Depailler abandonne après qu'un ressort de soupape a rompu sur son V12.
31e: A l'abord de la courbe Hawthorn la jante du pneu arrière-gauche de Laffite éclate soudainement, ce qui envoie la Ligier dans le décor. Celle-ci finit sa course dans la barrière de pneus après avoir traversé deux grillages. Laffite sort de sa machine très en colère, son accident étant dû à ces fameuses jantes de quinze pouces étrennées par Ligier sur ce Grand Prix. Il aurait en effet pu s'en sortir beaucoup plus mal... Jones récupère la première place.
32e : Mass est arrêté au stand Arrows pour faire changer son volant qui s'est cassé.
33e: Jones mène la course devant Piquet (2.4s.), Reutemann (12.1s.), Daly (41.1s.), Andretti (48s.) et Jarier (48.2s.). Suivent Watson, Surer, Rebaque et Giacomelli. Seulement seizième sur une Renault aux freins délicats, Arnoux s'arrête à son stand pour résorber une fuite à une pince arrière.
34e : Giacomelli prend la neuvième place à Rebaque. Pironi double Prost et se retrouve onzième.
35e : Grâce au trafic Jones augmente son avance sur Piquet. Celle-ci est désormais de trois secondes et demie.
36e : Scheckter a abîmé son aileron avant contre la Williams de Keegan. Il rentre au stand Ferrari pour réparer et repart.
37e: Relégué en dix-septième position, Villeneuve abandonne à cause d'une avarie de son moteur. Mass retrouve quant à lui la piste.
38e : Keegan s'arrête au stand RAM pour changer de pneus. Arnoux redémarre.
39e: Jones mène devant Piquet (4.9s.), Reutemann (16.9s.), Daly (52.1s.), Andretti (1m. 01s.) et Jarier (1m. 03s.). Suivent Watson et Giacomelli.
40e: Après avoir passé Rebaque et Surer, Pironi réapparaît dans les dix premiers.
42e: Pironi prend la huitième place à Giacomelli.
44e: Pironi passe Watson. Giacomelli part en tête-à-queue après la courbe Stirling's et tape le rail par l'arrière. C'est terminé pour le jeune Italien.
45e : Jones a sept secondes d'avance sur Piquet, seize secondes sur Reutemann. Daly est quatrième à plus d'une minute et précède nettement Andretti et Jarier, en lutte pour la cinquième place.
47e : Prost remonte dans le peloton et s'empare du dixième rang aux dépens de Surer.
49e: Jones prend un tour à Jarier. Prost prend la neuvième place à Rebaque.
50e : Andretti cède le passage à Jones. Désormais seules trois voitures sont encore dans le même tour que l'Australien.
52e : Jones continue de creuser petit à petit l'écart sur Piquet.
54e: Après avoir concédé un tour à Piquet, Andretti se passer par Jarier dans la descente du Graham Hill Bend, puis Pironi le double au virage Surtees. L'Américain commence à rencontrer des soucis techniques. Meilleur tour en course de Pironi: 1'12''368'''
55e: Pironi dépasse Jarier et se retrouve au cinquième rang.
56e: Très rapide, Prost prend la huitième place à son équipier Watson.
58e: Jones prend un tour à Daly. Pironi se dédouble face à Piquet. Prost passe Andretti qui est presque au ralenti car il ne parvient plus à sélectionner ses vitesses.
59e: Pironi remonte sur Daly au rythme de trois secondes par tour et peut donc viser la quatrième place. Andretti abandonne, boite de vitesses cassée.
60e: Watson s'arrête pour changer de pneus et chute au dixième rang.
62e : Jones est en tête devant Piquet (12.7s.), Reutemann (22.1s.), Daly (-1t.), Pironi (-1t.), Jarier (-1t.), Prost (-1t.) et Rebaque (-1t.).
63e: Alors qu'il occupait une belle huitième place, Surer abandonne, moteur cassé.
65e: Le pneu arrière-gauche de Pironi éclate à Hawthorn Bend, l'obligeant à s'arrêter dans l'herbe. La course des Ligier aura donc tourné au désastre. Mais la remontée de Pironi a été splendide.
67e : Reutemann commence à se rapprocher de Piquet, au rythme de quelques dixièmes par tour.
69e: Jones creuse encore l'écart en tête de la course, Piquet étant aux prises avec les retardataires Patrese puis Daly.
70e : Reutemann est revenu à quatre secondes et demie de Piquet.
72e: La pluie menace en cette fin de course mais ne viendra pas. Toutefois les mécaniciens préparent les pneus rainurés.
74e : Reutemann est à deux secondes de Piquet. Il n'aura pas le loisir de l'attaquer.
76ème et dernier tour: Alan Jones remporte sa troisième victoire de la saison. Piquet est deuxième, Reutemann troisième. Daly termine quatrième et égale ainsi son résultat de Buenos Aires. Jarier finit cinquième devant le jeune Prost qui inscrit un nouveau point. Suivent Rebaque, Watson, Patrese, Scheckter, Keegan, Fittipaldi et Mass. Arnoux termine dernier, non classé à neuf tours.
Après la course
Vainqueur, Alan Jones reçoit une belle ovation de la part du public britannique qui rappelle celle reçue par James Hunt lors de sa victoire en 1976.
Frank Williams a beau déclarer que « les Ligier étaient les plus rapides », Guy Ligier est abattu par ce nouvel échec. « C'est fichu pour cette année... » soupire-t-il. Le lendemain, il se rend avec Gérard Ducarouge à l'atelier d'Abrest pour examiner les nouvelles jantes responsables des abandons de Laffite et de Pironi. Le verdict est sans appel : elles ont cédé sous la pression des accélérations latérales trop élevées...
Au championnat du monde, Jones creuse un écart de six points sur Piquet. Williams consolide sa première place au classement des constructeurs avec 57 points contre 39 à Ligier.
Jody Scheckter annonce sa retraite
Le mardi 15 juillet Jody Scheckter annonce à Milan qu'il abandonnera la compétition à la fin de la saison. A seulement 30 ans, il estime ne plus avoir la motivation nécessaire pour continuer à courir et invoque la naissance à venir de son deuxième enfant. En fait, Scheckter est clairement démotivé depuis l'obtention de son titre mondial à Monza en septembre 1979. Il a mis la majorité de son énergie dans son rôle de président du GPDA, poste auquel il n'a presque rencontré que des déboires. Pour beaucoup de journalistes, Scheckter n'est « plus dans le coup » et sa décision est saluée. Niki Lauda affirme cependant : « A sa place je serais parti immédiatement. Quand on fait un pareil choix, on se démobilise. »
Tony