Le GP d'Autriche se déroule juste une semaine après le GP d'Allemagne à cause des Jeux Olympiques de Moscou qui se déroulent à la même époque.
A Hockenheim les Renault ont été frappées par des défaillances de ressorts de soupapes qui n'ont évidemment pu être résolues en quatre jours. Afin d'éviter de nouvelles pannes, Gérard Larrousse et Bernard Dudot ont ordonné à Jean-Pierre Jabouille et René Arnoux de se limiter à un régime de 10 400 tours/minute, soit quatre cents de moins que d'habitude. Les motoristes espèrent que l'altitude du circuit autrichien compensera ce handicap en avantageant leurs blocs turbocompressés.
Tandis que s'accélère la professionnalisation du sport automobile, René Arnoux choisit de se préparer à cette course en pêchant la truite dans les montagnes autrichiennes en compagnie de Guy Ligier.
Lotus engage une troisième voiture qui est confiée au pilote de Formule 2 Nigel Mansell, âgé de 27 ans. Colin Chapman souhaite ainsi récompenser ses efforts produits en tant que pilote d'essais. Cependant il lui confie une 81B à empattement long qui se révèle être un veau. Mansell aura beaucoup de mal à se qualifier...
Chez Alfa Romeo le « Gorille de Monza » Vittorio Brambilla, 42 ans et pilote de réserve, sera le remplaçant de Patrick Depailler, mais sa voiture n'est pas encore disponible et il ne courra pas avant le Grand Prix des Pays-Bas.
Accident de Jochen Mass
Le vendredi est marqué par un impressionnant accident de Jochen Mass. Son Arrows dérape sur une large traînée d'huile dans la courbe Texaco, tournoie dans l'herbe, pénètre dans un champ de maïs et se retourne. L'arceau de sécurité est détruit et fort heureusement la voiture ne prend pas feu. Sorti de la route au même endroit, Alain Prost se précipite pour porter secours à l'Allemand, accompagné de Jan Lammers, John Watson et Gilles Villeneuve. De robuste constitution, Mass est tiré de son épave apparemment indemne, mais il souffre vivement de la nuque. Il doit déclarer forfait pour la course.
Cet incident met aussi en lumière l'incompétence des commissaires de course, incapables de brandir les bons drapeaux sur les lieux de l'accident. Furieux, Jody Scheckter se plaint auprès de la direction de course.
Les qualifications
Le circuit de Zeltweg étant situé en altitude, les Renault turbo dominent sans peine. « Elles sont intouchables...» soupire Ligier en les désignant. Arnoux décroche sa troisième pole position avec plus d'une seconde d'avance sur Jabouille. Le « petit René » est d'une aisance fabuleuse sur ce circuit. Il n'a d'ailleurs pas le choix : seule une victoire peut le maintenir dans la course au titre. Il faut néanmoins préciser que comme de juste Jabouille a été accablé de pannes en tout genre.
Après le succès des pneus arrière étroits de seize pouces à Hockenheim, Goodyear renouvelle l'expérience en Autriche... et ça ne fonctionne pas ! Patrick Head doit corriger les suspensions des Williams pour amener Jones et Reutemann en deuxième ligne, mais très loin des Renault. Les Ligier ne fonctionnent quant à elles qu'avec les pneus larges, mais Goodyear en a peu en stock. Laffite et Pironi se contentent de la troisième ligne. Les Brabham ont adopté les petites roues avant de treize pouces. Piquet est septième et Rebaque quatorzième. Piquet partage la quatrième ligne avec Giacomelli. En cinquième ligne on trouve la Lotus de de Angelis et la Tyrrell de Daly.
Après leurs brillants essais à Hockenheim, les Fittipaldi F8 ne tiennent pas leurs promesses : Rosberg est 11ème, Emmo 23ème ! Pour sa défense, le double champion du monde brésilien souffre d'une douloureuse otite... Prost est douzième devant Jarier, tandis que son collègue Watson se classe vingt-et-unième. Villeneuve fait de son mieux avec la Ferrari T5. C'est-à-dire qu'il se hisse au 15ème rang. Scheckter est lui 22ème...
Dans ce fond de grille on trouve aussi Surer, Patrese, Andretti, Cheever et Keegan. Mansell se qualifie vingt-quatrième et dernier grâce à un « run » effectué au volant de la voiture de de Angelis. Il exclut ainsi de la grille Lammers et son Ensign.
Le Grand Prix
Ce Grand Prix voit le retour de Niki Lauda, non pas en tant que pilote, mais comme commentateur pour la télévision autrichienne. Il ne semble pas regretter son ancien métier.
De lourds nuages couvrent les montagnes de Styrie et on redoute la pluie. L'ambiance est bien moins festive que les années précédentes. Les tribunes sont clairsemées. Les Autrichiens ont beaucoup moins d'intérêt pour la F1 depuis la retraite de Lauda, tandis que les Italiens ont renoncé à franchir la frontière devant les résultats calamiteux de Ferrari.
Départ: Les deux Renault prennent un départ moyen. Jones se faufile et parvient à déborder Arnoux au premier virage, imité par Pironi. Arnoux est donc troisième, suivi par Giacomelli, Jabouille et Reutemann. Enfermé par Reutemann, Laffite a rétrogradé au quatorzième rang.
1er tour: Arnoux déborde Pironi dans la descente de Flatschach. Jabouille passe Giacomelli dans la ligne droite avant Bosch. Il se débarrasse ensuite de Pironi à Texaco. Jones mène ce premier tour devant Arnoux, Jabouille, Pironi, Giacomelli, Reutemann, Piquet, de Angelis, Daly et Rebaque. Laffite est douzième.
2e: Arnoux se rapproche de Jones. Reutemann menace Giacomelli. Laffite prend la onzième place à Prost.
3e: Arnoux passe Jones par l'extérieur avant la courbe Bosch. Derrière eux, Pironi se plaint d'une mauvaise tenue de route et se fait passer par Giacomelli, Reutemann et Piquet. Villeneuve remonte rapidement dans le peloton et pointe au onzième rang.
4e: Au même endroit qu'Arnoux au tour précédent, Jabouille passe Jones. Plus loin, Reutemann menace la quatrième place de Giacomelli.
5e: Les deux Renault sont désormais en tête. A sept secondes du commandement, Giacomelli contient difficilement Reutemann et Piquet. Villeneuve donne tout ce qu'il peut en ce début de course et double Laffite puis Daly.
7e: Piquet déborde Reutemann à la chicane. De Angelis prend la septième place à Pironi. Andretti s'arrête dans l'herbe avec un moteur explosé.
8e : Une demi-seconde sépare Arnoux et Jabouille. Jones a trois secondes de retard. Piquet met la pression sur Giacomelli.
9e : Après un bon début de course (il était quinzième) Scheckter s'arrête chez Ferrari pour changer ses pneus.
10e: Arnoux et Jabouille possèdent trois secondes et demie d'avance sur Jones. A dix secondes se trouve Giacomelli qui résiste aux assauts de Piquet. Laffite reprend la neuvième place à Villeneuve.
11e: Piquet passe Giacomelli par l'intérieur dans la courbe Jochen Rindt. Pironi est désormais menacé par Laffite et Villeneuve. Rebaque attaque Daly à la chicane mais ce dernier le contraint à la faute. Le Mexicain passe par l'herbe et perd des positions.
12e: Laffite passe Pironi.
13e: Villeneuve double à son tour Pironi. A Texaco Rosberg menace la onzième place de Daly. C'est alors qu'un disque de frein se brise sur la Tyrrell. Daly tire tout droit, part en tête-à-queue, disparaît dans les broussailles et... passe sous une clôture en fil de fer barbelé. Il sort de sa voiture indemne mais peut s'estimer très chanceux: sa tête est passée à quelques centimètres du barbelé qui s'est enroulé autour de l'arceau de sécurité. S'il était arrivé en marche avant...
15e: Arnoux mène devant Jabouille (0.6s.) Jones (3.8s.), Piquet (14.7s.), Giacomelli (16.5s.), Reutemann (16.9s.), de Angelis (23.6s.), Laffite (24s.), Villeneuve (28.8s.) et Pironi (32s.).
16e: Laffite prend la septième place à de Angelis à la chicane.
17e : Cheever est chez Osella pour faire vérifier sa boîte de vitesses et reprend la piste.
18e: L'écart entre Arnoux et Jabouille s'élève à une seconde et demie. Après de nombreux tours de patience, Reutemann parvient enfin à se débarrasser de Giacomelli.
19e : Les Renault prennent un tour à Scheckter.
20e : Arnoux mène devant Jabouille (1s.), Jones (4.8s.), Piquet (17s.), Reutemann (19s.), Giacomelli (20s.), Laffite (25s.) et de Angelis (27s.). Suivent Villeneuve, Pironi, Rosberg, Prost, Watson et Rebaque. Plus loin une rude bagarre oppose Jarier, Fittipaldi, Patrese et Surer.
21e: Villeneuve a comme souvent trop forcé sur ses pneus en début de course. Il est aux stands pour changer de gommes et se retrouve quinzième. Pironi s'arrête lui chez Ligier pour changer de pneus car sa tenue de route est très mauvaise.
22e: Arnoux ralentit car son pneu avant gauche a perdu un morceau de chape. Il doit regagner les stands pour changer de pneus. Au bout de trente secondes d'immobilisation, il ressort dixième.
23e: Jabouille est maintenant premier avec cinq secondes d'avance sur Jones. Piquet commence à rencontrer des soucis avec son embrayage. Il se fait dépasser par Reutemann à Bosch Kurve, et Giacomelli est juste derrière lui. Rosberg est dans les stands pour un changement de pneus. Pironi est de retour à son garage pour faire examiner sa suspension.
24e: Giacomelli repasse à son tour Piquet.
25e: Jusqu'alors douzième, Jarier abandonne, allumage cassé.
26e : Jabouille a sept secondes et huit dixièmes d'avance sur Jones. Cheever quitte la course à cause d'un roulement de roue grippé.
27e: Laffite rattrape Piquet qui n'a plus d'embrayage. Arnoux est très rapide grâce à ses pneus neufs et double Prost. Après quelques tours à faible allure, Pironi jette l'éponge.
28e: Giacomelli juge sa tenue de route très mauvaise et regagne son stand au ralenti pour chausser de nouveaux pneus. Lorsqu'il redémarre, sa roue arrière droite s'échappe ! L'écrou a sans doute été mal fixé... L'Italien n'a plus qu'à stopper à la sortie des stands.
30e: Jabouille mène devant Jones (8s.) et Reutemann (18s.). A trente-cinq secondes se trouvent Piquet et Laffite en bagarre. De Angelis est sixième et précède Arnoux, Prost, Watson, Villeneuve et Rebaque.
31e: Revenu à la septième place, Arnoux voit ses pneus se cloquer et doit à nouveau passer par les stands pour changer de Michelin. Cette fois-ci il ne repart que quatorzième.
32e: Jabouille dirige la course devant Jones (9s.), Reutemann (19s.), Piquet (32.4s.), Laffite (32.7s.) et de Angelis (39.7s.). Viennent ensuite Prost, Watson, Villeneuve et Rebaque.
33e : Arnoux est reparti le couteau entre les dents : il reprend son tour de retard sur Jones en le laissant sur place !
34e : Les pneus de Jabouille commencent à leur tour à se cloquer. Le pilote français adopte donc un rythme plus prudent.
35e: Le moteur de Watson explose dans la descente vers Bosch. Le pilote McLaren doit s'arrêter, moteur fumant.
36e: Laffite prend la quatrième place à Piquet qui s'efforce de terminer la course sans embrayage.
38e : Jabouille est gêné par Villeneuve qui ne s'écarte pas car il pense être dans le même tour que la Renault !
39e : Jabouille est leader devant Jones (10.6s.), Reutemann (16.1s.), Laffite (34.2s.), Piquet (38.4s.) et de Angelis (46.5s.). Seuls Prost et Villeneuve sont encore dans le même tour que Jabouille.
40e: Les pneus de Jabouille se dégradent et la Renault sous-vire. Mais cela va encore plus mal pour Arnoux : de nouveau des cloques sont apparues sur ses pneus ! Le Grenoblois effectue son troisième changement de pneus et se retrouve encore une fois quatorzième.
41e : Villeneuve s'efface enfin devant Jabouille. En prenant un tour à Fittipaldi à la chicane, Reutemann voit sa Williams glisser comme une savonnette, mais il se rattrape magistralement.
42e : Depuis son troisième arrêt, Arnoux roule près de trois secondes au tour plus vite que la concurrence. Il remonte sur Mansell.
43e: Alors treizième, Mansell stoppe dans la courbe Jochen Rindt, en panne de moteur. Le débutant a réalisé un vrai petit exploit ce jour-là en pilotant la Lotus malgré une fuite d'essence qui lui a brûlé le derrière !
44e: L'écart entre Jabouille et Jones se réduit de plus en plus à cause de la dégradation des pneus de la Renault.
45e : Jabouille mène devant Jones (8.3s.), Reutemann (15.1s.), Laffite (30.8s.), Piquet (41s.), de Angelis (47.9s.) et Prost (1m. 10s.). Suivent Villeneuve, Rebaque, Fittipaldi et Surer. Arnoux double Patrese.
47e : Sentant qu'il peut l'emporter grâce aux problèmes rencontrés par Jabouille, Jones passe à l'attaque et revient à six secondes de son rival.
49e: L'écart entre Jabouille et Jones est tombé à quatre secondes et demie. On commence à s'inquiéter dans le stand Renault. Les pneus de Jean-Pierre sont en piteux état.
50e: Jones est désormais à 3s. de Jabouille. Arnoux a doublé Surer et réalise le meilleur tour en course: 1'32''53'''. Il remonte sur Fittipaldi et Rebaque.
52e: L'écart entre le premier et le deuxième est d'une seconde et huit dixièmes. Malgré des pneus avant très abîmés, Jabouille augmente la cadence afin d'assurer la victoire. Chez Renault, on est prêt à changer les pneus en cas de crevaison de la numéro 15.
53e: Jones remonte inexorablement sur Jabouille. En fin de tour, l'écart entre eux est d'une seconde. Pendant ce temps-là, Arnoux a doublé Fittipaldi puis Rebaque.
54ème et dernier tour: Jean-Pierre Jabouille tient finalement bon, remporte son deuxième Grand Prix de F1... et inscrit enfin ses premiers points de la saison ! Les deux Williams complètent le podium avec Jones et Reutemann. Laffite sauve l'honneur de Ligier par une quatrième place. Piquet obtient une cinquième place très méritante puisque son embrayage a grillé à mi-course. De Angelis récupère le dernier point, son premier et celui de Lotus depuis le podium de São Paulo. Viennent ensuite Prost, Villeneuve, Arnoux, Rebaque, Fittipaldi, Surer, Scheckter, Patrese, Keegan et Rosberg.
Après la course
Cette victoire de Jabouille met fin à son incroyable série de seize courses consécutives sans se classer à l'arrivée d'une course. Le « Grand Blond » espère que ce succès consolidera sa position au sein de Renault Sport. En effet de mauvaises langues commençaient à critiquer son incapacité supposée à terminer une course. Une terrible injustice pour un pilote aussi fin que malchanceux, toujours trahi par sa mécanique. On peut dire trivialement qu'il n'a pas volé ce second succès en Formule 1 qui fut des plus pénibles à acquérir : « Ici je n'avais pas le choix. Il me fallait tenir. Un point, c'est tout. Je n'avais jamais couru une épreuve aussi longue... [...] Sur la fin je conduisais sur des œufs, en regardant continuellement mes pneus... »
En revanche, René Arnoux est très grognon. Il dominait ce Grand Prix de la tête et des épaules lorsque ses pneus l'ont abandonné. Il ne comprend pas pourquoi ses Michelin s'usaient plus rapidement que ceux de son équipier. Arnoux rumine amèrement sa déception : il vient de perdre ses derniers espoirs de devenir champion du monde en 1980.
Le lendemain de ce succès, Jean-Pierre Jabouille et son beau-frère Jacques Laffite se rendent à Poses dans l'Eure pour rendre un dernier hommage à leur ami le champion motocycliste Patrick Pons, tué lors du récent Grand Prix moto de Grande-Bretagne, au cours de cet été 80 si cruel pour le sport mécanique français.
En tout cas, Jones fait une bonne opération au classement général puisqu'il porte son avance sur Piquet à onze points. Au championnat des constructeurs, rien ne semble pouvoir empêcher le sacre de Williams. L'équipe de Didcot compte maintenant vingt-six points d'avance sur Ligier.
Tony