1er août 1980: mort de Patrick Depailler
Le vendredi 2 août 1980, Alfa Romeo a retenu l'Autodrome d'Hockenheim pour une séance d'essais privés à laquelle participent Patrick Depailler et Bruno Giacomelli. Cette séance a pour but de parfaire la si délicate mise au point de l'Alfa 179. Depailler est en piste lorsqu'à 11 heures 35 le silence s'abat sur le circuit. Quelque chose est arrivée à Patrick. La voiture médicale se met en route et arrive à l'Ostkurve où est survenu le drame. Pour une raison inexpliquée, l'Alfa Romeo a quitté la route à environ 260 km/h avant de se fracasser contre les rails et de se retourner. Le spectacle est horrible. Depailler est extrait de son épave dans un état désespéré. Il a les deux jambes pratiquement arrachées, le crâne et le bras droit fracturés et perd énormément de sang. Un docteur pratique une transfusion avant que le pilote soit transporté à l'hôpital d'Heidelberg. Là, les chirurgiens font tout leur possible mais le cerveau du pilote ne répond plus. A 13 heures le décès de Patrick Depailler est rendu officiel. Il aurait eu 36 ans une semaine plus tard.
Arrivé en Formule 1 en 1974, Depailler était l'une des figures les plus familières du paddock. Coureur très doué, excellent metteur au point, il a forcé l'admiration par sa détermination à revenir à la course automobile après son accident de deltaplane de juin 1979. A force de courage et de persévérance, il était redevenu un des meilleurs pilotes du monde. La mort le fauche en pleine gloire. On ne connaîtra jamais la cause exacte de son accident. Mais beaucoup soupçonnent la défaillance d'une jupe, cet incident si redouté qui rend le pilote passager de son véhicule à des vitesses folles. Ce drame sert la cause de Jean-Marie Balestre qui souhaite interdire l'effet de sol pour des raisons évidentes de sécurité.
Sécurité et effet de sol
Les pilotes qui arrivent à Hockenheim ont forcément une pensée pour Patrick Depailler. Les circonstances de l'accident mortel suscitent une polémique. Didier Pironi et Jean-Pierre Jarier inspectent la courbe est, lieu du drame, et relèvent des éléments qui montreraient que Depailler a été victime d'une défaillance mécanique. Le communiqué officiel de la FISA se borne cependant à déclarer que l'Alfa Romeo « est arrivée à une vitesses excessive dans cette courbe ». L'Ostkurve a en tout cas fait l'objet d'une grande attention de la part des organisateurs qui la bordent de filets de protections et de murs de vieux pneus.
La mort de Depailler est évidemment à l'ordre du jour de la réunion du GPDA. Conscients de la nécessité de leur union afin d'améliorer les conditions de sécurité, les pilotes réélisent Jody Scheckter à la tête de leur association. Plusieurs propositions sont émises : suppression des jupes, diminution de la dimension des roues etc. Mais l'unanimité n'est pas atteinte. Pourtant plusieurs médecins spécialistes du sport pointent du doigt la « déshumanisation » de la Formule 1 et estiment que les réactions physiologiques des pilotes au volant des monstres que sont les monoplaces à effet de sol sont de plus en plus imprévisibles.
Alan Jones n'était pas à la réunion du GPDA dont il a démissionné avec fracas en début d'année. « Les questions de sécurité ne me concernent pas » assure-t-il. « Je suis aux ordres de Frank Williams. Je lui fais totale confiance. Il peut me donner à conduire une voiture de quatre, six ou douze roues, je serai toujours d'accord... » Jones sait pourtant mieux que quiconque ce qu'est le danger. Une semaine auparavant, lors d'essais privés à Donington, il a effectué une invraisemblable cabriole dont il est sorti indemne par miracle...
Présentation de l'épreuve
Alfa Romeo n'engage qu'une seule voiture pour cette épreuve. Bruno Giacomelli a fait le choix de courir en hommage à son ami Patrick Depailler. Le journaliste autrichien Harald Ertl fait son retour en Formule 1 au volant d'une deuxième ATS D4.
A Brands-Hatch Keke Rosberg a réussi l' « exploit » de fracasser sa F8 toute neuve contre le mur des stands. Cette fois-ci il dispose d'un nouveau modèle pour se rattraper.
Suite aux succès des Williams au Castellet et à Brands-Hatch, la quasi-totalité des clients de Goodyear ont adopté les roues avant de quinze pouces. A Hockenheim, le manufacturier américain apporte des pneus arrière devant être montés sur des jantes de seize pouces (contre dix-huit pouces habituellement). Cette innovation intervient alors que la FISA envisage de réduire la largeur des roues arrière afin de réduire la vitesse des bolides en virage. Cependant l'essai de ces jantes de 16'' sur l'Österreichring quelques jours plus tôt a montré qu'elles ne réduisaient guère l'allure. Les chronos réalisés par Alan Jones furent ainsi très compétitifs. Et de fait, en Allemagne, presque tout le monde utilise des roues arrière de 16''.
Sur ce circuit extrêmement rapide, les bookmakers parient sur un succès des Renault turbo qui devraient démontrer toute leur puissance dans les lignes droites.
Les qualifications
La journée du vendredi est gâchée par la pluie, mais permet tout de même aux Renault de dominer. Le samedi voit une superbe bataille entre les Renault et les Williams. Jones arrache sa sixième pole position avec quatre centièmes seulement d'avance sur Jabouille. Arnoux est troisième derrière son équipier. Mais Jean Sage est très inquiet car les blocs moteurs français ont cassé trois fois à cause de ruptures des ressorts de soupape. Reutemann est quatrième. Du fait de ses problèmes de jantes à Brands-Hatch, Ligier a manqué une séance d'essais organisée sur ce même tracé par Goodyear. Ici les voitures bleues sont donc mal réglées. Laffite et Pironi sont seulement cinquième et septième. Ils encerclent le très régulier Piquet. En huitième position on trouve l'étonnant Rosberg. La F8 est performante à Hockenheim puisque Fittipaldi s'est lui hissé en douzième position. Les Lotus d'Andretti et de Angelis sont neuvième et onzième. De Angelis s'est fait une belle frayeur en perdant une roue dans la courbe est, sans dommage corporel heureusement. Entre les Lotus s'intercale l'Arrows de Patrese.
Surer et Prost occupent la septième ligne. Chargé par Brabham de tester la boîte de vitesses transversale Weismann, Rebaque se classe 15ème. Malgré l'aide de Michelin qui a apporté un nombre considérable de pneus, les Ferrari T5 se traînent toujours, très instables : Villeneuve est seizième, Scheckter, vingt-et-unième. En fond de grille on trouve aussi l'Arrows de Mass, l'Osella de Cheever, l'Alfa Romeo de Giacomelli et la McLaren de Watson. Très sous-vireuses, les Tyrrell de Jarier et Daly sont en queue de peloton. Elles devancent seulement l'Ensign de Lammers.
Très rapide le vendredi sous la pluie, Ertl n'a rien compris au comportement d'une wing-car et se trouve éliminé. Keegan est aussi éliminé après s'être battu avec une Williams... dont deux amortisseurs étaient cassés.
Le Grand Prix
Le dimanche matin, le Stadium de Hockenheim est plongé dans le brouillard. On redoute de disputer le Grand Prix sous la pluie, ce qui obligerait les équipes alliées à Goodyear de retirer les roues arrière de 16 pouces au profit de celles de 21'' pour sol mouillé. Pour cela, on parle d'attaquer les carrosseries à la scie... Mais fort heureusement les nuages ne crèvent pas et la course a lieu sous un ciel gris mais pas menaçant.
Départ : Jones prend un envol assez moyen et est menacé de se faire prendre en sandwich par les Renault. Finalement il vire en tête au premier freinage devant Jabouille, Arnoux, Pironi, Laffite et Rosberg. Piquet, Daly, Mass et Patrese ont eu des soucis avec leurs embrayages et se retrouvent en queue de peloton.
1er tour : Jabouille déborde Jones à l'abord de la première chicane. A la fin de cette première boucle Jabouille est le meneur devant Jones, Arnoux, Pironi, Laffite, Rosberg, Reutemann, Andretti, de Angelis, Fittipaldi et Villeneuve.
2e : Jabouille a une seconde et demie d'avance sur Jones qui est menacé par Arnoux. Villeneuve double Fittipaldi puis de Angelis.
3e : Jones est parvenu à semer Arnoux. Laffite dépasse Pironi dans la deuxième pleine charge tandis que Reutemann se débarrasse de Rosberg. Villeneuve double Andretti qui va ensuite aussi s'incliner face à son coéquipier de Angelis.
4e : Jones est revenu derrière Jabouille. Piquet remonte après avoir refroidi son embrayage et occupe le 14ème rang. Rebaque revient à son garage pour renoncer : la nouvelle boîte transversale Weismann est hors d'usage. Rosberg arrive lui aussi aux stands sans aileron arrière. Il prétend avoir été bousculé.
5e : Jabouille, Jones, Arnoux, Laffite, Pironi et Reutemann roulent en peloton, séparés chacun par environ une seconde. Piquet est treizième après avoir doublé Watson.
6e : Piquet double Scheckter puis Cheever.
7e : Jabouille mène devant Jones (0.6s.), Arnoux (2.4s.), Laffite (3.1s.), Pironi (4s.) et Reutemann (4.8s.). Villeneuve est septième à dix secondes et précède de Angelis et Andretti. Fittipaldi est à son garage pour purger des freins défaillants.
8e : De Angelis double Villeneuve et Piquet double Andretti.
9e : Il y a désormais trois tandems au commandement de l'épreuve : Jabouille - Jones, Arnoux - Laffite, Pironi - Reutemann.
10e : Jabouille est premier devant Jones (0.9s.), Arnoux (2.9s.), Laffite (3.4s.), Pironi (5.5s.) et Reutemann (6.8s.).
11e : Villeneuve a pris un superbe départ mais a trop usé ses pneus. Il se fait doubler par Piquet. Rosberg reprend la piste après avoir fait installer un nouvel aileron à sa machine.
12e : Jones se rapproche de Jabouille mais la puissance du moteur turbo reste bien supérieure à celle du V8 Ford-Cosworth.
13e : Rosberg renonce à cause d'un souci de roulement de roue.
14 : Jabouille et Jones ont creusé un écart de quatre secondes sur Arnoux et Laffite. Pironi et Reutemann sont relégués à neuf secondes. Piquet dépasse de Angelis.
15e : Villeneuve s'arrête à son stand pour changer ses pneus qu'il a trop sollicités. Il redémarre en dix-huitième position.
17e : Jabouille mène devant Jones (0.9s.), Arnoux (4.9s.), Laffite (5.4s.), Pironi (10.8s.), Reutemann (11s.), Piquet (16s.) et de Angelis (17s.). Suivent Andretti, Watson et Giacomelli.
18e : Pironi regagne son garage au ralenti avec un demi arbre de roue brisé. Ses chances de remporter le titre mondial s'envolent probablement ici. Scheckter entre chez Ferrari pour changer de pneus.
20e : Jabouille précède Jones (1.6s.), Arnoux (4.4s.), Laffite (5.1s.) et Reutemann (9.8s.).
21e : Jabouille et Jones prennent un tour à Scheckter qui est lanterne rouge. Fittipaldi a endommagé une jupe sur une bordure et est contraint de quitter le Grand Prix.
22e : Jabouille mène devant Jones (1s.), Arnoux (5.4s.), Laffite (7s.), Reutemann (15s.), Piquet (25.3s.), de Angelis (33.4s.), Andretti (48.9s.), Watson (49.2s.) et Giacomelli (52.6s.).
23e : Cheever occupait une belle onzième place mais doit abandonner car sa boîte de vitesses est grippée.
25e : Une seconde sépare Jabouille et Jones. L'Australien ne semble pas en mesure de rattraper le Français. Arnoux et Laffite ont sept secondes de retard. Grâce à ses pneus neufs, Villeneuve est remonté au treizième rang et menace la douzième place de Prost.
26e : Villeneuve prend la douzième place à Prost.
27e : Jabouille lève le pied à l'entrée du Stadium. Comme il le craignait, un ressort de soupape vient de se briser sur son moteur. Les « jaunes » ne sont pas au bout de leur peine : Arnoux s'arrête dans l'herbe en pleine forêt, victime de la même avarie que son équipier ! Watson prend la septième place à Andretti.
28e : Jones est maintenant en tête devant Laffite (7.1s.), Reutemann (14.6s.), Piquet (28.5s.), de Angelis (51s.), Watson (59.3s.), Andretti (1m. 01s.), Giacomelli (1m. 02s.). Suivent Villeneuve, Mass, Prost et Surer.
30e : Giacomelli s'empare de la septième place aux dépens d'Andretti. Prost est au stand McLaren pour chausser des pneus neufs.
32e : Jones s'envole au commandement et possède maintenant dix secondes d'avance sur Laffite qui se plaint d'une voiture trop survireuse. Reutemann est à seize secondes de son équipier. Giacomelli remonte sur Watson.
34e : Rien ne semble pouvoir ralentir Jones qui a désormais treize secondes d'avance sur Laffite. Giacomelli prend la sixième place à Watson dont le moteur perd de la puissance.
35e : Laffite est un temps gêné par Patrese qui s'écarte tardivement devant lui.
37e : Reutemann est gêné par Daly, Patrese et Surer, en lutte pour la onzième place. Daly met deux roues dans l'herbe en se dirigeant vers la deuxième chicane et se fait doubler par ses deux adversaires.
38e : Jones mène devant Laffite (13.4s.), Reutemann (20.7s.), Piquet (28.7s.), de Angelis (1m. 03s.) et Giacomelli (1m. 21s.). Andretti est septième sous la menace de Watson et de Villeneuve.
40e : Jones entre dans le Stadium avec un pneu avant gauche à plat. Catastrophe pour le pilote Williams qui parvient à regagner son stand.
41e : Les mécaniciens de Williams sont très rapides et changent la roue de Jones en 21 secondes. Mais l'Australien ne repart qu'en troisième position, juste devant Piquet, son rival au championnat. Laffite est désormais premier. Watson s'arrête dans l'herbe avec un moteur fumant.
42e : Reutemann se lance dans un sprint final pour rattraper Laffite. Il concède encore cinq secondes à celui-ci.
43e : Reparti avec rage, Jones réalise le meilleur tour de la course : 1'48''49'''. Il doit attaquer car il n'a qu'une seconde d'avance sur Piquet. Villeneuve double Andretti.
44e : Reutemann est revenu à trois secondes de Laffite. De Angelis est privé d'une cinquième place méritée par un roulement de roue défaillant. Giacomelli récupère sa position et Villeneuve entre dans les points.
45ème et dernier tour : Jacques Laffite gagne son quatrième Grand Prix de Formule 1. Reutemann termine deuxième et Jones se contente du troisième rang. Il précède Piquet qui a effectué un très beau retour vers les premières places. Giacomelli obtient une cinquième place qui est un bel hommage à la mémoire de Patrick Depailler. Villeneuve accroche le dernier point. Andretti, Mass, Patrese, Daly, Prost, Surer, Scheckter, Lammers et Jarier rallient également l'arrivée.
Après le Grand Prix
Laffite monte sur la première marche du podium pour la première fois depuis un an et demi. Il n'est cependant pas heureux car il pense à son camarade Patrick Depailler : « Une victoire, ça ne se refuse pas. Mais c'est le seul circuit et le seul jour où je n'aurais pas voulu gagner. Tant pis, le métier veut ça... Mais je continue à penser à Patrick. Pour moi, c'est un triomphe sans joie. » D'ordinaire si jovial, Jacques Laffite a la gorge nouée et les larmes aux yeux lorsque retentit la Marseillaise. Le champion français prend ici une dimension supplémentaire. Plus pragmatique, Guy Ligier considère ce succès chanceux comme un juste retour des choses après les échecs du Castellet et de Brands-Hatch.
L'émotion n'empêche pas les petites mesquineries. Alan Jones refuse de monter sur le podium pour ne pas avoir à saluer Jean-Marie Balestre...
Malgré cette victoire perdue dans les derniers kilomètres, Jones augmente encore son avance au classement général. Il possède maintenant 41 points contre 34 à Piquet. Reutemann grimpe au troisième rang avec 26 unités, une de mieux que Laffite.
Tony