Renaissance du GPDA
Depuis 1976 la Grand Prix Drivers' Association, l'association de défense des pilotes, était absorbée au sein de la FOCA de Bernie Ecclestone. Mais tandis que la tension ne cesse de monter entre cette dernière et la Fédération internationale du sport automobile, les pilotes décident de reprendre leur indépendance à l'instigation de Jody Scheckter, leader de fait de cette noble corporation depuis le départ de Niki Lauda. Dans l'État de New-York le GPDA renaît de ses cendres et entend s'affirmer comme une troisième force dans le monde des Grands Prix, indépendante des constructeurs et des autorités. Scheckter est élu président et s'entoure d'un bureau composé de Jean-Pierre Jarier, Alan Jones, Emerson Fittipaldi, Jean-Pierre Jabouille et Nelson Piquet.
Ecclestone est peu satisfait de cette dissidence, mais au moins place-t-il avec Piquet un affidé au sein du comité directeur.
Présentation de l'épreuve
Le Grand Prix des États-Unis à Watkins-Glen se déroule une semaine seulement après celui du Canada. C'est une épreuve sans enjeu puisque depuis la course de Montréal Gilles Villeneuve est pratiquement assuré d'obtenir la deuxième place du championnat du monde des conducteurs.
Chez McLaren Teddy Mayer a décidé de se séparer après cette course de Patrick Tambay qui n'a pas inscrit un seul point cette année-là. Il le remplacera en 1980 par le Français Alain Prost, champion d'Europe de Formule 3, grand espoir du sport automobile hexagonal. Celui-ci semble déjà savoir ce qu'il veut puisqu'il a refusé l'offre de Shadow de disputer les deux dernières épreuves de la saison de F1 afin de ne pas se compromettre avec une petite équipe. Quant à Tambay sa malheureuse expérience en Formule 1 semble s'achever ici.
En cet automne 1979 l'équipe des frères Fittipaldi est au bord de la faillite après une saison catastrophique. Emerson et Wilson Fittipaldi songent à mettre la clef sous la porte. Cependant ils ouvrent des négociations avec Walter Wolf qui souhaite mettre un terme à son investissement en Formule 1. Après une glorieuse première saison 1977, une année 78 très moyenne, 1979 a été un véritable désastre pour l'équipe anglo-canadienne, incapable d'inscrire le moindre point. La non-qualification de Keke Rosberg à Montréal a donné le coup de grâce. Plutôt que de licencier son personnel Wolf souhaite que celui-ci fusionne avec une autre structure en difficulté. L'accord avec Fittipaldi est conclu en ce mois d'octobre.
Jacky Ickx dispute aux États-Unis son dernier Grand Prix. Son intérim chez Ligier n'aura pas été très brillant et le Belge a sagement décidé d'abandonner cette Formule 1 qui ne le passionne plus depuis déjà plusieurs années. Il va maintenant se consacrer à ses chères Porsche 936 d'Endurance.
Le plateau est le même qu'au Canada. A Montréal Keke Rosberg a détruit la Wolf WR9. Les hommes de Peter Warr ont récupéré ses pièces encore utilisables qu'ils ont associées à la coque de la WR8 rapatriée en urgence d'Angleterre. D'où une curieuse WR8/9...
Les qualifications
La pluie est au rendez-vous du week-end nord-américain. Lors du vendredi, le circuit est noyé sous les eaux. Seules six voitures se risquent en piste. Les Ferrari et les Renault équipées de pneus Michelin tournent... 22 secondes au tour plus rapidement que les Alfa Romeo équipées par Goodyear !
La samedi le beau temps est de retour. Jones réalise sa troisième pole position avec plus d'une seconde d'avance sur la Brabham-Ford-Cosworth de Piquet qui démontre tout son potentiel. Villeneuve s'est débattu avec une Ferrari sous-vireuse et se classe troisième devant Laffite, très rapide sur cette piste mais accablé d'ennuis mécaniques. La troisième ligne est occupée par la Williams de Regazzoni et la Lotus de Reutemann que l'on n'avait pas vu depuis longtemps à pareille fête. Comme à Montréal les Renault sont en quatrième ligne, Arnoux devant Jabouille. Pour sa deuxième sortie en F1, Zunino obtient une très belle neuvième place. Il précède les Tyrrell de Pironi et de Jarier. Rosberg hisse sa Wolf hybride au douzième rang. On retrouve ensuite Watson, Stuck et Daly. Scheckter n'est que seizième : sa voiture n'avait aucune adhérence et il a dû opter pour le mulet. Suivent Andretti, Giacomelli, Patrese et de Angelis. Surer obtient sa première qualification au volant de l'Ensign. Handicapé par une grippe, Tambay n'est que vingt-deuxième. La dernière ligne est occupée par Fittipaldi et par Ickx dont la Ligier saute sur les bosses de l'asphalte.
Brambilla, Mass, Lammers, Rebaque, Ribeiro et Merzario ne sont pas qualifiés. Le petit Arturo n'aura été aperçu en course cette saison qu'à Buenos Aires et à Long Beach.
Le Grand Prix
Le dimanche, la pluie est de retour à Watkins-Glen. Villeneuve se fait une belle frayeur lorsque ses mécaniciens découvrent une fuite d'huile sur son moteur deux heures avant le départ. Le bloc italien est changé en un temps record. Un déluge s'abat sur le circuit au cours de la mise en grille, et Arnoux part en toupie sans heureusement ne rien toucher.
Le choix des pneus est évidemment crucial. Tout le monde s'élance en gommes rainurées, exceptés Andretti et Piquet qui font le pari de mettre des slicks, et Arnoux qui choisit des Michelin mixtes. Lorsque le feu vert s'allume la piste est complètement détrempée... mais la pluie s'arrête.
Départ : Jones part bien, au contraire de Piquet handicapé par ses slicks. Villeneuve jaillit de la deuxième ligne et se porte à la hauteur de la Williams. Il parvient à prendre l'avantage et au premier freinage rattrape magistralement une glissade tout en mettant deux roues dans l'herbe. Mais Jones est derrière lui, suivi par Laffite, Reutemann et Regazzoni. Scheckter sort dans le gazon au premier virage et repart dernier.
1er tour : Reutemann déborde Laffite puis Jabouille surprend Regazzoni. Rosberg part en tête-à-queue dans le virage n°9. Giacomelli fait un écart pour l'éviter et heurte le rail : sa course s'arrête là.
Villeneuve mène devant Jones, Reutemann, Laffite, Jabouille, Regazzoni, Arnoux, Pironi, Watson et Jarier. Piquet n'est que quinzième.
2e : Villeneuve a trois secondes d'avance sur Jones. Jabouille effectue un tête-à-queue mais ne perd que deux places. Regazzoni dépasse Laffite qui est handicapé par une suspension trop dure. Scheckter remonte comme une fusée : le voici treizième. Un véhicule est présent au virage 9 pour évacuer la voiture de Giacomelli.
3e : Villeneuve et Jones s'envolent en tête de l'épreuve mais cinq secondes les séparent. Scheckter double Daly, Jarier et Watson et pointe au neuvième rang. Ickx perd le contrôle de sa Ligier dans le virage précédant les stands et tape les protections. Il sort rapidement de sa voiture.
4e : Laffite glisse au même endroit qu'Ickx et part en tête-à-queue. Son moteur cale : c'est terminé. Guy Ligier est furieux : ses deux voitures sont déjà éliminées ! Scheckter est septième après avoir doublé Pironi.
5e : La pluie a cessé. Villeneuve a cinq secondes d'avance sur Jones, douze secondes sur Reutemann. Jarier double Pironi et Daly passe Watson. Les trois Tyrrell se suivent.
6e : Scheckter menace désormais les Renault et déborde Arnoux.
7e : L'extincteur de bord de la Lotus de Reutemann se déclenche inopinément. Déconcentré, l'Argentin sort de la route et tape les rails. Regazzoni récupère la troisième place. Scheckter passe Jabouille et se retrouve quatrième. Daly double Pironi.
9e : Villeneuve mène devant Jones (8.), Regazzoni (28s.) et Scheckter (34s.). Suivent Jabouille, Arnoux, Jarier, Daly, Pironi et Rosberg. Andretti entre au stand Lotus pour mettre des pneus pluie. Il évoluait en 18ème position.
10e : Scheckter est à la poursuite de Regazzoni. Très à l'aise sur le mouillé, Rosberg et Stuck se livrent une belle bataille pour la dixième place.
11e : Piquet se traînait en seizième position avec ses slicks et entre au stand Brabham pour chausser des pneumatiques intermédiaires. Il repart dernier.
13e : Scheckter s'empare de la troisième place au détriment de Regazzoni. Daly prend la septième place à Jarier.
14e : Jarier attaque Daly au bout de la ligne droite principale. Mais l'Irlandais lui ferme la porte au nez. Surpris, Jarier dérape, met deux roues dans l'herbe et repart furieux contre son équipier. Stuck double Rosberg.
15e : Quinze secondes séparent Villeneuve et Jones. Ce dernier possède une vingtaine de secondes de marge sur Scheckter et Regazzoni. Les Renault de Jabouille et d'Arnoux évoluent à quarante-cinq secondes.
17e : Andretti renonce à cause d'une boîte de vitesses bloquée. Fin de saison calamiteuse pour l'équipe Lotus.
18e : Villeneuve et Jones sont dans le trafic. Jarier déborde Daly devant les stands et se rabat devant lui à l'abord du premier freinage. Daly heurte le Français par l'arrière. Celui-ci part en toupie dans l'herbe tandis que son équipier continue. Jarier sort de sa voiture : son moteur a calé.
20e : Comme la piste commence à s'assécher, Regazzoni et Scheckter regagnent leurs stands pour mettre les pneus slicks. Les mécaniciens de Ferrari sont les plus rapides : Scheckter repart derrière les Renault tandis que Regazzoni se retrouve derrière Daly. Rosberg touche Pironi en voulant le doubler et les deux voitures partent en tête-à-queue dans l'herbe. Pironi repart sans dommage ; en revanche la Wolf semble touchée.
21e : Il semble qu'il est encore trop tôt pour mettre des slicks. Scheckter est en effet très lent et concède un tour à Villeneuve. Patrese est pourtant chez Arrows pour chausser des slicks. Rosberg abandonne : une jupe a été endommagée dans le contact avec Pironi et le raccord de tuyauterie d'huile de la boîte de vitesses est cassé.
22e : Villeneuve mène devant Jones (27s.), Jabouille (1m. 03s.), Arnoux (1m. 35s.), Scheckter (1m. 37s.) et Daly (1m. 47s.). Suivent Regazzoni, Stuck, Pironi et de Angelis. Tambay renonce à cause d'une avarie de son moteur.
24e : Daly prend la cinquième place à Scheckter, fort peu à l'aise avec ses pneus slicks. La trajectoire est encore humide.
25e : Villeneuve prend un tour à Daly. La piste continue de sécher et les pneus Michelin perdent leur avantage par rapport aux Goodyear plus durs. Par conséquent Jones rattrape Villeneuve. Jabouille abandonne à cause de la rupture d'une courroie de distribution.
26e : Arnoux est désormais troisième. Regazzoni est en difficulté à cause de ses slicks et se fait doubler par Pironi. Zunino perd le contrôle de sa Brabham et atterrit contre une barrière. La voiture rebondit en piste et va devoir être évacué.
28e : Seuls Villeneuve, Jones et Arnoux évoluent encore dans le même tour. Daly est quatrième et précède Scheckter, Pironi, Regazzoni, de Angelis et Watson.
29e : Pironi s'arrête au stand Tyrrell pour chausser des pneus slicks. De Angelis fait de même chez Shadow. Piquet effectue un tête-à-queue en sortant du dernier virage mais repart.
30e : Villeneuve n'a plus que deux secondes d'avance sur Jones et prend un tour à Arnoux. A l'abord du premier virage Regazzoni, qui vient de doubler Pironi, tente de faire l'intérieur à Stuck, mais glisse et tape par l'arrière Piquet qui prenait la corde devant lui. Regazzoni s'arrête avec une direction endommagée. Pas de mal en revanche pour Piquet. Watson entre aux stands pour mettre des gommes pour le sec.
31e : Un véhicule de sécurité est en piste pour évacuer la voiture de Zunino. Daly chausse des pneus slicks.
32e : Jones déborde Villeneuve par l'extérieur dans la ligne droite à mi-parcours. Les deux hommes conservent leurs trajectoires en entrant dans The Loop. Villeneuve laisse peu d'espace à Jones mais celui-ci, plus rapide, finit par s'imposer et prend ainsi la tête du Grand Prix. Pironi double Stuck. Fittipaldi s'arrête à son stand pour changer de pneus.
34e : Villeneuve entre au stand Ferrari pour chausser des pneus slicks. L'arrêt est très rapide et ne dure que vingt secondes. Surer abandonne suite à une panne de moteur.
35e : La trajectoire est presque sèche. Jones est premier devant Villeneuve (28s.), Arnoux (1t.), Scheckter (1t.), Daly (1t.), Pironi (1t.), Stuck (1t.) et de Angelis (1t.).
37e : Jones arrive chez Williams pour mettre des slicks. La roue arrière droite a du mal à être fixée et le chef mécanicien fait signe au pilote de repartir dès qu'il voit Villeneuve débouler devant les stands. Jones repart donc second mais ne parcourt qu'un kilomètre avant que sa roue arrière droite se détache. Il n'a plus qu'à s'arrêter dans l'herbe. Villeneuve fonce désormais vers la victoire.
38e : Villeneuve est maintenant en tête avec une minute d'avance sur Arnoux.
39e : Arnoux entre aux stands pour chausser des gommes neuves. L'arrêt dure trente-cinq secondes et le Grenoblois repart derrière les Tyrrell de Daly et de Pironi.
40e : Villeneuve mène avec une minute et trente secondes d'avance sur Scheckter. Plus loin, Daly est à la peine avec ses pneus et se fait doubler par Pironi puis par Arnoux.
42e: A près d'un tour de Villeneuve, Pironi et Arnoux sont maintenant en lutte pour la troisième place. Mais le pilote Tyrrell ne peut pas faire grand-chose avec ses pneus rainurés très usés.
44e : Arnoux prend la troisième place à Pironi.
45e : En pneus neufs sur une piste presque sèche, Villeneuve est a priori tranquille jusqu'à l'arrivée. Il a près d'un tour d'avance sur son équipier Scheckter. De Angelis dépasse Stuck qui a gardé ses pneus rainurés.
48e : Patrese abandonne suite à une avarie de sa suspension arrière.
49e : Le pneu arrière gauche de Scheckter explose dans la ligne droite de la mi-parcours. La gomme déchape et Scheckter s'arrête dans l'herbe. Il va lui-même ramasser le caoutchouc. C'est son premier abandon depuis la première manche en Argentine.
50e : Villeneuve mène devant Arnoux (1m. 20s.) et Pironi (1m. 26s.). Daly est quatrième et précède de Angelis, Stuck, Watson et Piquet.
51e : Piquet réalise le meilleur tour de la course : 1'40''054'''. Sur le sec sa BT49 a retrouvé sa vélocité.
52e : Dernier à quatre tours, Fittipaldi termine l'épreuve à vitesse réduite car il n'a plus de freins.
53e : Daly arrive trop vite à la chicane, dérape et atterrit contre le rail. Il ne marquera pas cette fois-ci ses premiers points. De Angelis récupère la quatrième place au volant de sa modeste Shadow.
55e : Piquet est victime de la rupture d'un demi-arbre de transmission. Seules sept voitures sont encore en piste.
58e : Villeneuve ralentit sa cadence dans ces dernières boucles car sa jauge d'huile baisse dangereusement. Son avance sur Arnoux tombe en dessous de la minute.
59ème et dernier tour : Gilles Villeneuve obtient sa troisième victoire de la saison, la quatrième de sa carrière. Arnoux finit deuxième après avoir mené une superbe course. Pour sa dernière course chez Tyrrell, Pironi monte sur la troisième marche du podium. Le jeune de Angelis conclut en beauté sa belle première saison avec la quatrième place. Stuck finit cinquième sans avoir changé de pneus et sauve ainsi la saison d'ATS grâce à ces deux points. Watson termine sixième tandis que Fittipaldi est dernier à cinq tours.
Après la course
Ce très beau succès de Villeneuve dans des conditions changeantes le console de son échec à Montréal. Si Jody Scheckter est le champion du monde 1979, pour beaucoup c'est bien son équipier qui par sa maestria a été le meilleur pilote de la saison. Gilles Villeneuve a animé chacune des courses, et de son duel avec René Arnoux à Dijon à son tour effectué sur trois roues à Zandvoort, en passant par sa formidable démonstration à Long Beach, on ne compte plus ses exploits. Villeneuve est bien devenu le « petit prince de la Formule 1 ».
L'autre pilote de l'année est Alan Jones qui a remporté le plus de Grands Prix (quatre) et a été le seul à vraiment tenir tête à Villeneuve en fin de l'année. Au volant d'une Williams FW07 exceptionnelle l'Australien a démontré qu'il était plus qu'un habile second couteau et est maintenant un prétendant très sérieux à la couronne mondiale.
Vers un conflit entre la F.I.S.A. et la F.O.C.A.
En cette fin 1979 l'ambiance se dégrade fortement en Formule 1 du fait de conflits politico-économiques, mais aussi des révolutions technologiques en cours. Cette année a vu à Dijon-Prenois la première victoire du moteur turbocompressé Renault et il semble certain que cette technologie représente l'avenir de la discipline. Les autres grandes firmes internationales impliquées en Formule 1 comme Ferrari et Alfa Romeo ont déjà entrepris la conception de leurs propres moteurs turbos. Mais ces projets coûtent très cher et il est évident qu'à moyen terme les constructeurs britanniques, attachés à leur bon vieux V8 Ford-Cosworth, ne parviendront pas à soutenir la comparaison. C'est pour cela que Bernie Ecclestone désire l'interdiction des turbo-compresseurs, ou du moins une modification de l'équivalence de cylindrée entre moteurs turbos et blocs atmosphériques. Se sentant brimés, Renault, Ferrari et Alfa Romeo se sont rangés sous la bannière de la FISA. Son président Jean-Marie Balestre n'attendait que cela pour lancer la bataille contre la FOCA pour le contrôle économique de la Formule 1. Et de nouveau la technologie sert d'argument politique puisque Balestre souhaite bannir l'effet de sol pour la saison 1981, technique parfaitement maîtrisée par les artisans britanniques experts en châssis.
En bref, tout est prêt pour ce que les journalistes et les passionnés redoutent depuis des années : une guerre entre la FOCA et la FISA.
Tony