Affaire Watson et premier conflit Balestre - Ecclestone
En marge de cette course, la FISA annonce qu'elle inflige une amende de trois mille livres sterling à John Watson, jugé responsable du carambolage survenu au début du Grand Prix d'Argentine. Cette décision a été prise sur l'ordre de Jean-Marie Balestre qui réalise ainsi un acte d'autorité. Le nouveau président de la fédération est intransigeant sur la question de la sécurité, surtout après le drame du GP d'Italie 1978. Mais c'est aussi une manière pour le pouvoir sportif de remettre la main sur cet important dossier. En effet après le drame de Monza la CSI avait été complètement absente du débat concernant la culpabilité présumée de Riccardo Patrese. La décision avait été laissée à l'arbitraire d'une commission de pilotes inféodée à la FOCA, en dehors de tout cadre légal. Balestre désire remettre la fédération sur le devant de la scène ; et pour souligner le sérieux de sa démarche, la FISA précise que la sanction a été arrêtée par un collège de commissaires après examen de toutes les photographies prises lors du carambolage. Ce qui bien sûr contraste avec l'exclusion de Patrese prononcée trois mois plus tôt sans la moindre preuve.
Bernie Ecclestone comprend qu'il lui faut riposter sur le champ pour ne pas laisser à Balestre le bénéfice d'un succès. Il se répand dans la presse contre l'iniquité de la sanction car John Watson n'a pas eu les moyens de se défendre. Mais surtout avec le concours de son ami Max Mosley, il essaie de reconstituer le font commun des équipes britanniques contre la FISA. Quelques heures avant le début du Grand Prix, Mosley informe Balestre que si l'amende contre Watson n'est pas annulée, les équipes boycotteront l'épreuve. Mais sa position est fragile car il sait que les pilotes n'ont absolument pas l'intention de sacrifier leur course pour des querelles politiques. De plus, il semblerait que Watson se soit réconcilié avec son principal contempteur Jody Scheckter. Balestre reste inflexible et la menace brandie par Ecclestone et Mosley se dégonfle d'elle-même. C'est une première victoire pour le président de la FISA.
Présentation de l'épreuve
Après un passage à Rio de Janeiro en 1978, le Grand Prix du Brésil retourne à São Paulo sur le tortueux tracé d'Interlagos.
Ecclestone continue ses provocations. Afin d'embêter encore une fois Balestre, il a l'idée saugrenue d'offrir une place d'invité privilégié à Ronnie Biggs, le cerveau de l'attaque du train postal Glasgow-Londres en 1963, le fameux « casse du siècle », réfugié depuis à Rio de Janeiro. Herbie Blash, son homme à tout faire, prend contact avec Biggs et lui offre deux billets pour assister au Grand Prix. Fort heureusement, le gangster ne s'intéresse pas à la Formule 1 et décline l'invitation...
De manière plus légère, le patron de la FOCA organise aussi un concours de miss brésiliennes, chacune étant vêtue d'un bikini aux couleurs d'une écurie. Ecclestone s'autoproclame président du jury qui, ô surprise, déclare victorieuse la « Miss Brabham »...
Après leur démonstration en Argentine les Ligier-Ford-Cosworth JS11 sont bien sûr les favorites pour la victoire au Brésil. La question est de savoir si le vainqueur se nommera Depailler ou Laffite. Les deux Français préparent l'épreuve brésilienne chacun à leur manière. Pendant que Depailler reste quelques jours supplémentaires en Argentine pour rôder sa voiture, Laffite part à la pêche au saumon dans le sud du pays en compagnie de son beau-frère Jean-Pierre Jabouille et de Clay Regazzoni...
Si presque tous les pilotes demeurent en Amérique du Sud entre les deux Grands Prix, de nombreux ingénieurs font l'aller-retour en Europe. Pour Ligier Michel Beaujon rapporte de Vichy de nouvelles jupes. Colin Chapman fait venir de Norfolk de nouvelles suspensions pour ses Lotus 79. Ferrari, Renault, Copersucar et Hector Rebaque obtiennent la permission de rouler sur le circuit d'Interlagos quelques jours avant la course. C'est l'occasion pour Michelin de tester ses produits tandis que Gilles Villeneuve étrenne une Ferrari 312 T3 équipée des pontons déporteurs de la future T4. Goodyear apporte au Brésil de nouveaux pneus avant de dix pouces de largeur (contre onze pouces pour ceux utilisés en Argentine). Mais seules Ligier et Lotus pourront s'en servir.
Les qualifications
Dès les premiers essais Laffite pulvérise l'ancien record du tracé détenu par Jean-Pierre Jarier depuis 1975. Il l'abaisse de 2' 29'' 88''' à 2' 23'' 07'''. Il réalise ainsi sans se forcer sa deuxième pole position consécutive. Depailler a rencontré des problèmes de moteur avant de calquer ses réglages sur ceux de Laffite. Il l'accompagne en première ligne mais avec près d'une seconde de retard. Les Lotus de Reutemann et d'Andretti occupent la deuxième ligne, suivies par les Ferrari de Villeneuve et de Scheckter. Jabouille obtient une satisfaisante septième place. Pironi est huitième sur Tyrrell. Le héros des Brésiliens Emerson Fittipaldi utilise toujours sa Copersucar de l'an dernier et l'amène au neuvième rang. Suivent la Wolf de Hunt et la seconde Renault d'Arnoux.
Les Brabham sont toujours à la peine : Lauda est douzième et Piquet, handicapé par un pied droit douloureux, conséquence du carambolage de Buenos Aires, est vingt-deuxième. Les McLaren M28 sont trop lourdes et Watson ne réédite pas sa performance argentine. Il n'est que quatorzième tandis que Tambay est dix-huitième après avoir connu deux accidents. Jarier déçoit également en n'obtenant le quinzième rang.
Les Williams, Arrows et Shadow complètent le ventre mou du plateau. Daly et Stuck sont en dernière ligne. Rebaque et Merzario ne sont pas qualifiés.
Le dimanche matin Colin Chapman porte une réclamation contre Jacques Laffite qu'il accuse de ne pas avoir respecté la fin de la séance de qualifications de la veille. Le pilote français n'a en effet pas vu le drapeau à damiers et a poursuivi son effort quelques instants. Pour envenimer le tout Ecclestone appuie Chapman. Leur action est pour le moins mesquine mais le directeur de course inflige un blâme à Laffite.
Cependant le président Balestre vole au secours de celui-ci et inflige à son tour un blâme aux autorités brésiliennes.
Le Grand Prix
Tambay a démoli sa M28 aux essais et est obligé de prendre le départ avec la vieille et dépassée M26.
Comme en Argentine Guy Ligier n'a pas fait le déplacement en Amérique et assiste à la course depuis le studio de TF1 rue Cognac-Jay à Paris.
Tour de formation : Un léger incendie se déclare sur le moteur d'Andretti, aussitôt éteint. De son côté Reutemann demeure bloqué et il est poussé par ses mécaniciens avant de démarrer. Enfin, une panne d'allumage empêche Jarier de prendre le départ de la course.
Départ : Excellent envol de Laffite qui conserve le commandement tandis que Reutemann surprend Depailler et s'empare de la deuxième place. Jabouille reste scotché à son emplacement avant de réussir à démarrer.
1er tour : Depailler déborde Reutemann dans la ligne droite de Retao, imité par Andretti. Reutemann résiste ensuite aux assauts de Scheckter.
Laffite mène devant Depailler, Andretti, Reutemann, Scheckter, Fittipaldi, Pironi, Villeneuve, Lauda et Jones.
2e : Fittipaldi dépasse Scheckter à Retao pour le plus grand plaisir du public. Plus loin Lauda perd beaucoup de positions. En fin de boucle Andretti regagne son stand avec un problème de jauge d'essence. Lorsqu'il s'arrête à son emplacement, le V8 prend feu. Le champion du monde abandonne.
3e : Les Ligier s'échappent en tête tandis que Reutemann est sous la menace de Fittipaldi. Lauda n'est plus que quatorzième.
4e : Laffite mène devant Depailler (2s.), Reutemann (7s.), Fittipaldi (7.5s.), Scheckter (10s.), Pironi (10.6s.), Villeneuve (12s.) et Jones (16s.). Suivent Patrese, Hunt, Mass et Regazzoni.
5e : Pironi met la pression sur Scheckter. Hunt prend la neuvième place à Patrese. Lauda regagne le stand Brabham avec une boîte de vitesses bloquée. Il abandonne pour la deuxième fois en deux courses.
6e : Reutemann prend du champ par rapport à Fittipaldi. Piquet s'est accroché avec Regazzoni et sa voiture est abîmée à l'avant. De plus son pied blessé en Argentine lui fait vraiment mal et il rejoint les stands pour abandonner. Pendant ce temps-là, Hunt est au ralenti à cause d'une direction défaillante.
7e : Trois secondes séparent Laffite et Depailler. Reutemann a douze secondes de retard. Jabouille effectue une superbe remontée puisqu'il est déjà treizième. Hunt abandonne.
8e : En bagarre pour la onzième place, Tambay et Regazzoni s'accrochent dans la première courbe. Regazzoni part en tête-à-queue tandis que Tambay percute les grillages de protection. Seul le Tessinois repartira.
9e : Regazzoni passe par le stand Williams pour faire vérifier sa voiture et changer ses pneus.
10e : Laffite mène devant Depailler (2s.), Reutemann (10s.), Fittipaldi (11s.), Scheckter (17s.), Pironi (17.5s.) et Villeneuve (18s.). Suivent Jones et les Arrows de Patrese et de Mass.
11e : Pironi prend la cinquième place à Scheckter à Juncao.
13e : Mass double Patrese. Les deux Arrows sont rattrapées par la Renault de Jabouille.
15e : Laffite mène devant Depailler (1.5s.) et Reutemann (14s.). Fittipaldi est maintenant distancé par le pilote argentin car ses pneus se dégradent.
17e : Laffite a un peu plus d'une seconde d'avance sur son équipier mais contrôle parfaitement la situation.
20e : La ronde des Ligier se poursuit sans accroc. Elles possèdent vingt-cinq secondes d'avance sur Reutemann. Jabouille prend la dixième place à Patrese.
21e : Villeneuve s'arrête chez Ferrari pour changer ses pneus Michelin. Il repart en onzième position.
22e : Les pneus de Fittipaldi sont très dégradés et il doit les remplacer. Il ne rééditera donc pas son exploit de 1978. Après un long changement des roues, le Brésilien reprend la piste en seizième position.
23e : Laffite creuse l'écart sur Depailler et réalise le meilleur tour de la course : 2'28''76'''.
24e : Laffite mène devant Depailler (4s.), Reutemann (30s.) et Pironi (44s.). Suivent Scheckter, Jones, Mass et Jabouille. Villeneuve est dixième après avoir double Watson.
26e : Grâce à ses pneus frais Villeneuve remonte rapidement et se débarrasse de Patrese.
27e : Scheckter rejoint à son tour le stand Ferrari pour chausser des pneus neufs. Il repart en onzième position derrière Watson et avec une boucle de retard. Cet arrêt permet à Jabouille d'entrer dans les points. Le pilote Renault vient en effet de doubler Mass.
28e : Laffite prend un tour à Watson, alors dixième. Jabouille est sous la menace de Mass et de Villeneuve.
29e : Watson double Patrese. Arnoux part en tête-à-queue et atterrit par l'arrière dans une barrière de protection. Stuck s'arrête chez ATS pour ravitailler en essence car son équipe redoute la panne sèche.
30e : Jabouille s'arrête chez Renault pour changer de pneus. Il chute ainsi au douzième rang. Pendant ce temps-là Villeneuve dépasse Mass et s'empare de la sixième place. Scheckter prend la neuvième place à Patrese.
31e : Laffite mène devant Depailler (6s.), Reutemann (44s.) et Pironi (1m. 05s.). Jones est cinquième à près de deux minutes. Watson et Scheckter sont en lutte pour la huitième place. Beaucoup plus loin Fittipaldi remonte lentement dans le classement et n'a doublé que Daly et Arnoux. Il est treizième.
32e : Jones est au ralenti à cause d'un souci de pression d'essence. Cela permet à Mass d'entrer dans les points. Après une grosse bagarre, Scheckter dépasse Watson à Subida do Lago.
33e : Jones s'arrête aux stands pour essayer de résoudre son problème. Stuck renonce quant à lui car son volant est cassé.
34e : Septième, Scheckter est lancé à la poursuite de Mass grâce à ses pneus frais. Ce même Mass concède un tour à Laffite.
36e : Scheckter prend la sixième place à Mass. Jones a effectué un dernier tour avant de renoncer.
37e : Laffite prend un tour à Villeneuve. Les deux Ferrari sont à un tour des Ligier : dure correction pour les vieilles 312 T3.
38e : A deux tours du but, six secondes séparent les Ligier de Laffite et de Depailler.
39e : Jabouille et Fittipaldi sont en lutte pour la dixième place.
40ème et dernier tour : Jacques Laffite remporte la course après avoir réalisé le grand chelem : pole, victoire, meilleur tour et domination d'un bout à l'autre de l'épreuve. Depailler finit deuxième et permet ainsi à Ligier-Ford-Cosworth d'obtenir un sensationnel doublé. Personne n'a pu entraver le défilé des voitures bleues. Reutemann se contente de sauver les meubles avec la troisième place. Pironi finit quatrième ce qui est alors son meilleur résultat en F1. Les Ferrari de Villeneuve et de Scheckter prennent les derniers points. Mass, Watson, Patrese, Jabouille, Fittipaldi, de Angelis, Daly, Lammers et Regazzoni franchissent aussi la ligne d'arrivée.
Après l'arrivée Ken Tyrrell dépose une réclamation contre Carlos Reutemann qui a été poussé par ses mécaniciens durant le tour de chauffe. Tyrrell désire sa disqualification pour permettre à Didier Pironi de monter sur le podium. Comme le tour de formation ne fait pas partie du Grand Prix, l'Argentin conserve sa troisième place.
Après la course: Ligier et Laffite sur un nuage
Sitôt le drapeau à damiers abaissé, Gérard Ducarouge tombe dans les bras de Bernadette Laffite. Les mécaniciens français s'embrassent. A l'antenne de TF1 Guy Ligier ne peut que balbutier quelques mots. Ses quatre années d'effort viennent d'être récompensées de la plus belle des manières. Extraits de leurs cockpits, Jacques Laffite et Patrick Depailler sont célébrés comme il se doit. C'est la première fois que deux pilotes français terminent aux deux premières places d'un Grand Prix de Formule 1, qui plus est aux volants de voitures françaises. Le lendemain leurs visages sont en une de tous les quotidiens nationaux. « Jacquot » Laffite devient une gloire nationale. Une sacrée récompense pour ce baroudeur de 35 ans, arrivé sur le tard au sport automobile et qui a débuté comme simple mécaniciens de son futur beau-frère Jean-Pierre Jabouille. Ce pilote de grand talent se double d'un personnage sympathique, gouailleur et attachant.
En France Guy Ligier continue d'avancer ses pions. Quelques heures après la course il s'entretient avec le ministre des Sports Jean-Pierre Soisson et lui déclare qu'avec un concours accru de l'industrie française, son écurie peut remporter les titres mondiaux. Quelques jours plus tard la Seita annonce que Ligier Gitanes recevra en 1979 une enveloppe de dix millions de francs. De quoi faire rêver l'ancien rugbyman...
Laffite domine évidemment le classement des pilotes avec 18 points sur 18 possibles. Il précède Reutemann (10 pts) et Depailler (9 pts). Ligier est en tête de la coupe des constructeurs avec 27 points contre 12 à Lotus.
Tony