Lotus: la guerre des équipiers n'aura pas lieu
Il reste quatre épreuves à disputer dans le championnat 1978 lorsque la Formule 1 arrive à Zandvoort. Patrick Depailler, Niki Lauda et Carlos Reutemann peuvent encore mathématiquement prétendre à la couronne mondiale, mais il ne fait aucun doute que celle-ci reviendra à un des deux pilotes JPS Lotus. Mario Andretti possède neuf points d'avance sur son équipier Ronnie Peterson. Après la splendide victoire du Suédois en Autriche, certains se demandent si celui-ci ne va pas enfin jouer sa propre carte plutôt que de continuer à servir Andretti. Mais il balaie leurs espoirs : « J'ai donné ma parole et je tiendrai mes engagements. Mario mérite de remporter le titre car il m'a largement devancé depuis le début de la saison. » Ainsi Peterson respectera jusqu'au bout son contrat de deuxième pilote. Son honnêteté mérite la considération car pour beaucoup, Peterson est intrinsèquement plus rapide qu'Andretti.
La coupe des constructeurs ne présage d'aucun suspens. Avec 36 points d'avance sur Brabham-Alfa Romeo, Lotus n'a besoin que d'un point pour s'assurer du trophée.
Transferts: Peterson chez McLaren, Reutemann chez Lotus
Décidé à se passer de James Hunt la saison suivante, Teddy Mayer s'est mis en quête d'un futur premier pilote. Il a pris contact avec Ronnie Peterson qui ne compte pas demeurer une année de plus le simple lieutenant de Mario Andretti. L'accord se conclut par l'entremise de son protecteur le comte Zanon, et avec l'accord d'Aleardo Buzzi, représentant de Marlboro. Le cigarettier a en effet un droit de regard sur la politique de recrutement de McLaren. Peterson sera donc associé en 1979 à Patrick Tambay. L'annonce officielle de ce contrat doit avoir lieu à Watkins-Glen.
Rapidement mis au courant, Colin Chapman est plutôt réticent à l'idée de se séparer de Peterson. Il lui propose un nouveau contrat mirifique - mais toujours de second pilote - vite repoussé. Déçu, il a cependant déjà un autre nom en tête. Chapman conclut rapidement un accord tacite avec Carlos Reutemann qui ne se sent plus à l'aise chez Ferrari et dont la position est menacée par l'arrivée de Jody Scheckter à Maranello.
De son côté Guy Ligier est en négociation avec la Seita pour obtenir plus de subsides et ainsi pouvoir engager une deuxième voiture en 1979. Son concepteur Gérard Ducarouge supervise pendant ce temps-là la construction de la future JS11 à moteur Ford-Cosworth.
Présentation de l'épreuve
Le mercredi 23 août Alfa Romeo a essayé au Castellet son prototype de Formule 1, l'Alfa T. Elle a été confiée à Vittorio Brambilla et à Niki Lauda, libéré par Brabham pour l'occasion. Cette voiture a des flancs carénés comme une aile d'avion mais d'après Carlo Chiti n'est pas une « wing-car ». Autodelta espère la faire débuter en Grand Prix en Italie.
Jody Scheckter étrenne en Hollande une Wolf WR6 qui est la deuxième version de la médiocre WR5.
Bruno Giacomelli a largement dominé le championnat d'Europe de Formule 2 et s'est déjà assuré du titre au volant d'une March-BMW. Il fait son retour au volant de la troisième McLaren M26 officielle.
L'écurie Interscope Racing, déjà aperçue à Long Beach, amène de nouveau sa Shadow DN9 pour Danny Ongais.
Enfin ATS continue de monnayer son deuxième volant aux pilotes locaux. Après l'Autrichien Hans Binder, voici le Néerlandais Michael Bleekemolen qui avec l'aide de F&S Properties a réuni un budget pour rester jusqu'à la fin de la saison. Günther Schmidt s'est fâché avec son directeur technique Alan Rees qui a quitté l'équipe. Il est remplacé par John Gentry qui a imaginé une sorte de « wing car », l'ATS D1. Bleekemolen l'essai lors des premières séances mais utilise la HS1 en course.
Les qualifications
Comme d'habitude les Lotus 79 survolent les essais. Andretti réalise la quinzième pole position de sa carrière devant Peterson. Suivent quatre voitures à moteur de douze cylindres : la Brabham-Alfa Romeo de Lauda, les Ferrari de Reutemann et de Villeneuve et la Ligier-Matra de Laffite. Ce dernier a réalisé une superbe performance car, de nouveau, Goodyear n'a fourni à Ligier que des « pneus en bois ». La quatrième ligne est composée de Hunt et de Watson. Jabouille, qui utilise deux voitures, une avec jupes, l'autre sans, est neuvième. Fittipaldi est de plus en plus content de sa Copersucar : le voici dixième. Il précède Jones, Depailler, Patrese et Tambay. Scheckter est seulement avec quinzième ; la tenue de route de sa Wolf est calamiteuse. Chez les Français, Pironi est 17ème, Arnoux 23ème.
Ertl, Ongais et Stommelen ont été éliminés dès les pré-qualifications. Merzario, Regazzoni, Bleekemolen et Mass échouent en qualifications. Les derniers admis au départ sont Rosberg, Keegan et Piquet.
Le Grand Prix
Il pleut le dimanche matin. Si le temps s'améliore ensuite, le vent de la mer du Nord amène sur la piste de fortes quantités de sable. L'adhérence sera précaire.
Lors du warm-up Keegan est victime d'un sérieux accident dans le virage Tunnel Oost. Ce forfait permet à Merzario d'être admis au départ.
Presque exactement comme l'année précédente, la Ligier de Laffite est victime d'une chute de la pression d'huile lors du warm-up. Laffite doit utiliser son mulet pour la course. Malheureusement il a négligé précédemment de le développer et de le régler.
Départ : Excellent envol des Lotus. Andretti conserve le commandement devant Peterson. Reutemann est enserré par Lauda et Laffite. Celui-ci parvient à passer Tarzan en troisième position devant l'Autrichien et l'Argentin.
1er tour : Pau avant Gerlach, Patrese heurte Pironi place à l'intérieur. La Tyrrell se met à l'équerre vers la droite et se pulvérise contre le muret tandis que Patrese part dans une spectaculaire embardée, rebondit contre Pironi et décolle même de quelques centimètres au dessus du sol. Les deux épaves atterrissent en plein milieu de la courbe mais tout le monde parvient à les éviter. Les pilotes en sortent peu après. Les commissaires se précipitent pour évacuer la Tyrrell et l'Arrows.
Andretti mène devant Peterson, Laffite, Lauda, Reutemann, Watson, Fittipaldi, Villeneuve, Hunt et Depailler. Daly entre aux stands pour réparer sa voiture qui a été touchée par les débris de l'accrochage.
2e : Lauda déborde Laffite sur la ligne de chronométrage. L'Arrows de Patrese gît en plein milieu de la trajectoire à Gerlach et les pilotes doivent la contourner par la gauche ou par la droite. Heureusement aucun incident n'est à déplorer.
3e : Les Lotus s'échappent. Les commissaires ont un peu poussé l'Arrows mais celle-ci est toujours sur la piste.
4e : Andretti et Peterson ont quatre secondes d'avance sur Lauda. Reutemann double Laffite. Un véhicule tracte enfin la voiture de Patrese hors de la piste. Rosberg effectue un tête-à-queue dans le sable. Il repart ensuite.
5e : Laffite est à la peine avec sa voiture mal réglée qui sous-vire beaucoup: il se fait doubler par Watson.
6e : Andretti et Peterson sont séparés par une demi-seconde. Lauda et Reutemann sont relégués à six secondes. Fittipaldi prend la sixième place à Laffite et Jones prend la dixième place à Depailler.
8e : Villeneuve prend la septième position à Laffite.
9e : Jones double Hunt.
10e : Andretti mène devant Peterson (0.5s.), Lauda (5s.), Reutemann (6s.), Watson (8s.), Fittipaldi (11s.), Villeneuve (13s.) et Laffite (16s.).
12e : L'écart n'augmente plus entre les Lotus d'une part, Lauda, Reutemann et Watson d'autre part. Laffite est sous la menace de Jones. Daly est arrêté dans le gazon, en panne d'embrayage.
13e : Depailler revient au garage Tyrrell pour abandonner car son moteur ne répond plus, conséquence d'une touchette avec Daly qui a endommagé son radiateur.
14e : Jones dépasse Laffite.
15e : Andretti mène devant Peterson (0.6s.) Lauda (5.4s.), Reutemann (7s.) et Watson (9s.).
17e : Piquet regagne son garage suite à un problème de transmission.
18e : Toujours pas de chance pour Jones : il stoppe sa Williams suite à une avarie de sa commande d'accélérateur.
19e : Les Lotus prennent un tour à Merzario dont la voiture se traîne assez lamentablement.
20e : Andretti est premier devant Peterson (0.4s.), Lauda (6s.), Reutemann (6.5s.), Watson (8.5s.) et Fittipaldi (10s.). Suivent Villeneuve, Laffite, Hunt et Jabouille.
22e : La Renault turbo de Jabouille marche bien en Hollande et rattrape la McLaren de Hunt.
23e : Lauda remonte un petit peu sur les Lotus. Jabouille double Hunt. Rosberg sort de la piste à Tarzan à cause d'un accélérateur bloqué par le sable ramassé lors de sa précédente sortie de route.
25e : Andretti précède Peterson (0.5s.), Lauda (4s.). Reutemann (6s.), Watson (7s.), Fittipaldi (9s.) et Villeneuve (11s.).
27e : Watson se fait menaçant derrière Reutemann dont la Ferrari n'est pas très bien équilibrée. Fittipaldi et Villeneuve se maintiennent dans le sillage de ces deux pilotes.
28e : Jusqu'ici dix-huitième avec la Martini, Arnoux s'arrêter pour changer un pneu.
29e : Les Lotus ont de nouveau cinq secondes d'avance sur Lauda. Jabouille prend la huitième place à Laffite.
31e : Brambilla se battait avec Scheckter pour la quinzième place lorsqu'il tire tout droit dans les graviers à la chicane Panorama. La Surtees est coincée contre un piquet mais Brambilla appelle à son secours des commissaires.
32e : Brambilla parvient à remettre sa Surtees en piste en la poussant avec l'aide de quelques commissaires. Il remonte dans son habitacle et redémarre mais ce qu'il vient de faire est illégal.
34e : La bataille fait rage désormais entre Reutemann, Watson, Fittipaldi et Villeneuve pour la quatrième place. Brambilla a ramené sa Surtees à son stand pour refixer son harnais. Il reprend ensuite la piste.
35e : Andretti mène devant Peterson (0.5s.), Lauda (6s.), Reutemann (9s.), Watson (10s.), Fittipaldi (10.5s.) et Villeneuve (11.8s.). Suivent Laffite, Hunt, Tambay et Stuck. Jabouille a disparu : il regagne à faible allure son stand. De nouveaux les segments de son moteur n'ont pas tenu le coup.
36e : A l'abord de Tarzan, Andretti et Peterson réalisent une petite prouesse en débordant simultanément par l'extérieur les retardataires Arnoux et Lunger. Quelques mètres plus loin Lunger stoppe sa McLaren, en panne de moteur. Brambilla est encore à son stand, cette fois pour changer ses pneus.
38e : Les Lotus prennent un tour à Scheckter dont décidément la course est un calvaire. Son moteur est en effet très poussif. Watson déborde Reutemann dans la courbe Tarzan.
40e : Toujours entre cinq et six secondes d'écart entre le train Andretti - Peterson et Lauda. Fittipaldi prend la cinquième place à Reutemann. Villeneuve est sur les talons de son coéquipier.
41e : Le drapeau noir est adressé à Brambilla pour avoir bénéficié d'une aide extérieure. Le « Gorille de Monza » n'a plus qu'à retourner à son garage.
43e : Arnoux gare sa Martini dans l'herbe car le support de son aileron arrière s'est effondré.
44e : Lauda a réalisé le meilleur tour provisoire et est revenu à trois secondes et demie des deux leaders. Suivent Watson et Fittipaldi qui ont semé les Ferrari. Merzario a cassé son moteur et s'arrête dans le gazon juste avant les stands.
45e : Andretti mène devant Peterson (0.6s.), Lauda (3s.), Watson (9s.) et Fittipaldi (10.5s.).
46e : Tête-à-queue de Giacomelli à Tarzan. Il se relance sans avoir perdu de place. Le jeune Transalpin évolue au treizième rang.
48e : A quatre secondes des « beautés noires », Lauda est désormais le seul à pouvoir les suivre. Watson et Fittipaldi ont maintenant plus de dix secondes de retard.
50e : Tambay prend la neuvième place à son équipier Hunt. Mais les McLaren sont vraiment dépassées sur ce circuit.
52e : La marge des Lotus continue de faire le « yo-yo ». Lauda est revenu à trois secondes et demie.
53e : Un bruit rauque s'échappe de la Lotus d'Andretti. Un échappement a sûrement cassé sur la 79 mais l'Italo-Américain garde un bon rythme.
54e : Villeneuve prend la sixième place à Reutemann à Tarzan.
55e : Trois secondes séparent encore les Lotus de Lauda. Watson a douze secondes de retard et précède Fittipaldi de quelques mètres.
57e : Lauda réalise le meilleur tour de l'épreuve : 1'19''57'''. Stuck arrête sa Shadow devant les stands après une panne de différentiel.
58e : Lauda est maintenant à deux secondes de Peterson. Celui-ci a quelques soucis avec ses freins mais sa principale tâche consiste à protéger Andretti. Il n'est donc pas question pour lui de baisser pavillon face à Lauda.
59e : En fin de boucle, Lauda n'a plus qu'une seconde et trois dixièmes à combler pour rejoindre Peterson.
60e : Relégué à un tour, Hunt s'efface tranquillement devant les trois leaders.
62e : Lauda ne semble pas pouvoir suivre les Lotus dans les lignes droites. Cela s'explique par ses rapports de boîte qui sont trop courts. Tête-à-queue de Giacomelli à Scheilvak. Cette fois-ci il ne redémarre pas.
63e : Lauda a perdu du temps : son retard sur Peterson s'élève de nouveau à trois secondes et demie.
65e : Des vibrations perturbent le comportement de la Brabham de Lauda qui ne va plus essayer de rattraper les Lotus.
66e : Andretti est premier devant Peterson (0.5s.), Lauda (4s.), Watson (17s.), Fittipaldi (18s.) et Villeneuve (43s.). Suivent Reutemann, Laffite et Tambay. Tous les autres coureurs ont au moins un tour de retard.
68e : Lauda a maintenant six secondes de retard sur la tête de course.
70e : Andretti et Peterson prennent un tour à Tambay.
71e : Peterson se montre dans les rétroviseurs d'Andretti. Il semblerait qu'il puisse le dépasser mais il n'en a pas la permission de Colin Chapman.
73e : Peterson monte sur ses freins à l'abord de Tarzan et « allume » une roue. Voici qui va le contraindre à la prudence.
74e : Lauda a beaucoup levé le pied en cette fin de preuve et concède maintenant près de dix secondes aux Lotus.
75ème et dernier tour : Mario Andretti remporte sa douzième victoire en Formule 1, sa sixième en 1978. Peterson est deuxième et donne à Lotus son quatrième doublé de l'année, salué par le traditionnel lancer de casquette de Chapman. Lauda termine troisième après avoir réalisé une très belle course. Watson finit quatrième après avoir résisté durant une grande partie de la course à Fittipaldi dont la Copersucar semble en progrès constants. Villeneuve prend le dernier point. Suivent Reutemann, Laffite, Tambay, Hunt, Rebaque et Scheckter.
Après la course
L'accrochage du départ entre Riccardo Patrese et Didier Pironi fait couler de l'encre et de la salive. Les critiques unanimes s'abattent sur le jeune Italien. Décidément son pilotage agressif commence à exaspérer ses collègues. Pour Pironi, amer, « Patrese se croit encore en Formule 3... »
Ce triomphe permet à Lotus de remporter sa septième coupe des constructeurs, la première depuis 1973. La deuxième place se disputera entre Brabham, Ferrari et Tyrrell. Pour l'heure l'équipe de Bernie Ecclestone possède huit points d'avance sur ses rivales. Cette victoire est aussi la 71ème de Lotus en Formule 1, ce qui lui permet d'égaler la Scuderia Ferrari.
Grâce à ce succès, Mario Andretti se rapproche un peu plus de la couronne mondiale. Il possède treize points d'avance sur Peterson qui, de toutes façons, se borne à être son « garde du corps ». Le sacre est d'autant plus certain que désormais Lauda, Reutemann et Depailler ne pourront plus le rattraper.
Affaire des jupes et impuissance de la C.S.I.
Ce même dimanche 27 août, la Commission sportive internationale se réunie à Zandvoort sous la présidence de Pierre Ugeux pour statuer sur la légalité des éléments aérodynamiques mobiles. Suite à l'interdit frappant la BT46B dont le ventilateur est considéré comme un élément aérodynamique mécanique, Bernie Ecclestone a attiré l'attention sur les pontons déporteurs de la Lotus 79, des éléments aérodynamiques... dynamiques. Fort logiquement la CSI conclut à l'illégalité de ces « jupes », ce qui revient à bannir l'effet de sol. Ugeux met en avant l'argument sécuritaire : les « wing car » permettent une telle amélioration des performances que les risques d'accidents graves sont multipliés, d'autant plus que la majorité des circuits ne proposent encore que des dispositifs de sécurité précaires. L'interdiction doit survenir à compter de la saison 1979. Or la FOCA fait savoir que le pouvoir sportif doit respecter un délai de deux ans avant tout changement de règlement. La majorité des voitures de la saison suivante étant déjà élaborées, il n'est pas question de revenir en arrière. En conséquence, l'arrêté de la CSI devient caduc.
Incapable de faire respecter ses décisions, la CSI est en passe de céder ses dernières parcelles d'autorité aux constructeurs. Le président de la FIA Paul von Metternich comprend qu'Ugeux est trop faible pour lutter contre Bernie Ecclestone. La CSI a obtenu en avril son indépendance financière et politique de la FIA. C'est donc le moment d'élire un nouveau président qui devra être un homme à poigne. Un nom vient à l'esprit de Metternich: celui du très autoritaire président de la Fédération française du sport automobile Jean-Marie Balestre.
Tony