Le Grand Prix du Brésil quitte provisoirement São Paulo pour rejoindre Rio de Janeiro et un tracé situé dans le quartier populaire de Jacarepaguá. Ce circuit construit sur des marécages a été remis à neuf pour l'événement. Entièrement plat, il possède deux longues lignes droites et de nombreuses courbes lentes. L'asphalte est très bosselée et les bordures très poussiéreuses, ce qui met les pilotes à rude épreuve. Autre difficulté : le circuit tourne dans le sens inverse des aiguilles d'une montre.
Ce Grand Prix marque les débuts de l'équipe Arrows, issue d'une scission de Shadow menée par les trois principaux associés de Don Nichols : Jackie Oliver, Alan Rees et Tony Southgate. Riccardo Patrese, autre ancien de chez Shadow, a été choisi pour piloter la monoplace en remplacement de Gunnar Nilsson, atteint d'un cancer. Mais Nichols a une autre raison d'être furieux : si l'Arrows FA1 s'inspire de la Lotus 78, c'est aussi la copie quasi conforme de la Shadow DN9 ! Et pour cause, Tony Southgate est leur concepteur respectif. L'Arrows use ainsi de l'effet de sol que Southgate avait lui-même tenté d'utiliser pour la Shadow... Nichols intente un procès à ses anciens collaborateurs pour plagiat. Mais l'issue ne sera pas connue avant plusieurs mois. En attendant, Arrows a pour seul objectif de terminer cette première course... et de se trouver un sponsor, la FA1 apparaissant immaculée, seulement soutenue par la compagnie aérienne brésilienne Varig qui l'a acheminée sur place.
Jacques Laffite et Ligier étrennent la première version du nouveau moteur V12 Matra, le MS 78, qui dispose de nouvelles culasses. La courbe de puissance est aussi améliorée. Néanmoins les performances réalisées durant les essais ne sont pas très probantes.
Goodyear est très inquiet de l'irruption du pneu radial Michelin en Formule 1. Le partenariat de la marque clermontoise avec Renault et surtout avec Ferrari est riche de promesses. Goodyear réagit donc immédiatement et conçoit son propre pneumatique à structure radiale. James Hunt teste ces pneus de type 92/93 lors des essais libres, en attendant des débuts en course à Kyalami.
Les qualifications
Après sa mauvaise prestation en Argentine, Peterson réagit en réalisant la pole position. Il précède de huit centièmes seulement la McLaren de Hunt, en regain de forme. Suivent Andretti, Reutemann, Tambay et Villeneuve, tous à moins d'une demi-seconde de la pole position. Les Lotus, McLaren et Ferrari sont donc les meilleures sur ce tracé. A la surprise générale, Fittipaldi hisse sa Copersucar au septième rang. Il se murmure que Goodyear a fourni ses meilleurs pneus à l'équipe brésilienne pour sa course nationale. La nouvelle Williams progresse puisque Jones se classe huitième. Belle performance pour Stuck qui place la Shadow au neuvième rang.
Les Brabham ont rencontré de gros soucis de tenue de route et ne sont pas du tout performantes. Lauda n'est que dixième tandis que Watson se contente du 21ème rang ! Nouvelle déception pour Ligier : Laffite n'est que 14ème, furieux que Goodyear ne lui accorde pas de meilleurs pneus. On peut souligner le joli résultat de Lunger, treizième avec sa McLaren privée.
Victime de gros soucis avec sa pompe à essence, Patrese qualifie l'Arrows au 18ème rang. Victime d'une grosse collision avec Regazzoni aux essais, Pironi ne se qualifie guère mieux qu'en Argentine : il est dix-neuvième. En fond de grille on retrouve Rebaque, Ongais et Keegan
Les non-qualifiés sont Merzario, Cheever, Brambilla et Divina Galica.
Le Grand Prix
La canicule règne à Rio de Janeiro. Le thermomètre affiche entre 35 et 40 degrés. Il fait une chaleur étouffante dans les cockpits et les pilotes se préparent à un après-midi très éprouvant. Des équipes comme Brabham ont même percé des petits trous dans les carénages pour permettre à l'air de pénétrer un peu plus dans les habitacles. Chez McLaren James Hunt et Patrick Tambay ont essayé de porter des combinaisons réfrigérées fournies par la NASA mais elles n'ont pas bien fonctionné.
Lors du warm-up du dimanche matin, surprise : les Ferrari « collent » deux secondes au tour à tout le monde. Elles sont montées de pneus tendres Michelin S9 qui seront utilisés en course. Chez Goodyear on s'arrache les cheveux. Paul Lauritzen tente de rassurer tout le monde en prétendant que les voitures italiennes ont sûrement tourné à vide. Hilare, Gilles Villeneuve jure que ce n'est pas le cas...
Malgré la chaleur, le public est au rendez-vous pour cet événement. Il n'a évidemment d'yeux que pour Emerson Fittipaldi, son seul champion depuis la disparition de Carlos Pace en 1977. On note dans le paddock la présence du rocker Rod Stewart, un ami de James Hunt.
Laffite détruit sa Ligier lors du warm-up et doit s'élancer avec le mulet équipé du moteur Matra MS76.
Juste avant le départ, l'ATS de Mass est touchée par une fuite de carburant. Gunter Schmidt ordonne à Jean-Pierre Jarier de donner sa voiture à l'Allemand, pilote n°1 de l'écurie. Jarier accepte de mauvaise grâce...
Tour de formation : Leoni tombe en panne de transmission et ne pourra pas s'aligner au départ.
Départ : Peterson ne part pas très bien tandis que Reutemann surgit par l'extérieur et vire en tête. Hunt et Peterson sont côte à côte jusqu'à la première courbe où le Suédois s'impose. Suivent Andretti, Tambay, Fittipaldi et Villeneuve.
1er tour : Fittipaldi double Tambay et se retrouve cinquième.
Reutemann a déjà creusé une avancé de deux secondes sur Peterson. Suivent Hunt, Andretti, Fittipaldi, Tambay, Villeneuve, Stuck, Lauda et Jones.
2e : Hunt double Peterson dans la longue ligne droite de Juncao. Villeneuve double Tambay et Depailler passe Jones. En fin de tour, Reutemann a quatre secondes de marge sur Hunt.
3e : Reutemann tourne deux secondes au tour plus rapidement que ses adversaires. Ses pneus tendres Michelin font des merveilles.
4e : Peterson est sous la menace d'Andretti. Fittipaldi parvient à suivre les Lotus. Stuck prend la septième place à Tambay. Collision entre Watson et Patrese. Le Nord-Irlandais sort de la piste avant de regagner son stand pour faire vérifier sa voiture.
5e : Andretti tente de surprendre Peterson dans l'enchaînement droite-gauche de Nonato, mais le Suédois ferme la porte et oblige son équipier à mettre deux roues dans l'herbe. A l'abord de la courbe de Sul, Andretti déborde Peterson par l'intérieur. Au même instant, Villeneuve fait de même avec Fittipaldi. Lauda double à son tour Tambay.
6e : Reutemann a dix secondes d'avance sur Hunt et douze secondes sur Andretti. Villeneuve est sur les talons de Peterson. Sortie de route de Keegan qui ne pourra pas redémarrer.
7e : Andretti est revenu derrière Hunt. Jusqu'alors dixième, Depailler regagne le stand Tyrrell. Il est privé de freins après avoir escaladé une bordure et doit renoncer.
8e : Suite à une faute de Villeneuve, Fittipaldi reprend la cinquième place. Andretti déborde Hunt dans la ligne droite de Juncao. Peterson se fait pressant derrière la McLaren. Jones regagne les stands pour changer de pneus.
9e : Peterson et Fittipaldi menacent Hunt. Le Suédois se montre dans les rétroviseurs de l'Anglais avant la courbe Sul, sans succès. Dans la difficile courbe à gauche de Lagoa, Peterson se jette à l'intérieur et passe la McLaren. Dans son sillage, Fittipaldi se faufile aussi à l'intérieur et passe un Hunt médusé. Celui-ci gagne les stands aussitôt après pour changer ses pneus surchauffés.
10e : Reutemann mène avec seize secondes d'avance sur Andretti. Suivent Peterson (20s.), Fittipaldi (21s.), Villeneuve (23s.), Stuck (24s.) et Lauda (25.5s.). Viennent ensuite Tambay, Scheckter et Regazzoni.
12e : Fittipaldi déborde Peterson dans la ligne droite de Juncao. Les cris des supporteurs brésiliens sont presque aussi bruyants que les moteurs. Lunger abandonne suite à une surchauffe de son moteur.
13e : Reutemann a maintenant 21 secondes d'avance sur Andretti. C'est au tour de Villeneuve d'attaquer Peterson. Ongais est aux stands Ensign pour résoudre un souci de freins.
14e : A l'abord de la Curva Sul, Villeneuve déborde Peterson par l'intérieur. Mais les deux hommes entrent en contact et partent dans les graviers. Villeneuve reprend la piste presque aussitôt, et Peterson deux secondes plus tard. Au virage de Girao, nouvel incident : Scheckter ne voit pas Tambay qui tente témérairement de le doubler à l'extérieur. Les voitures se frottent, ce qui contraint Tambay à un passage hors-piste. Villeneuve, Peterson et Scheckter entrent aux stands en fin de tour.
15e : Reutemann mène devant Andretti (24s.), Fittipaldi (30s.), Stuck (37s.), Lauda (40s.) et Tambay (45s.). Viennent ensuite Regazzoni, Pironi, Laffite et Patrese. Peterson, Scheckter et Villeneuve repartent après avoir changé de pneus. Ongais met pied à terre.
16e : Peterson s'arrête dans l'herbe avec une suspension endommagée. Watson a fait une excursion hors-piste : il revient au stand Brabham pour faire nettoyer ses radiateurs et ses pneus rempli de poussières.
17e : Scheckter regagne définitivement le garage Wolf. Ses suspensions ont souffert du choc avec Tambay.
18e : Villeneuve navigue désormais juste derrière son équipier, mais avec un tour parcouru en moins. Jones, qui a deux boucles de retard, est intercalé entre les Ferrari.
19e : Vingt-huit secondes séparent Reutemann et Andretti. Villeneuve a doublé Jones.
21e : Nouvel arrêt de Jones pour changer de pneus.
23e : Reutemann mène devant Andretti (35s.), Fittipaldi (38s.), Stuck (46s.), Lauda (47s.), Tambay (57s.) et Regazzoni (1m. 02s.). Vient ensuite un groupe composé de Pironi, Laffite, Patrese et Hunt.
24e : Stuck et Lauda sont en bagarre pour la quatrième place.
25e : Lauda dépasse Stuck dont la Shadow semble moins vaillante.
26e : Hunt se frotte à Patrese puis part en tête-à-queue, soulevant beaucoup de poussière. La course est aussi finie pour Stuck, tombé en panne de pompe à essence.
28e : Patrese est au stand Arrows pour résoudre un problème d'alimentation : son moteur désamorce dans les virages.
29e : La principale lutte en piste oppose Andretti à Fittipaldi, séparés par trois secondes et demie.
31e : Victime de gros soucis de tenue de route, Laffite entre aux stands pour changer de pneus. Mais cela n'arrangera pas les choses. Patrese a repris la piste.
34e : Épuisé par la chaleur, Rebaque s'arrête brièvement à son stand pour se désaltérer. Nouvel arrêt de Jones pour changer ses pneus avant.
35e : Reutemann prend un tour à Pironi. Il réalise aussi le meilleur tour de l'épreuve : 1'43''07'''. Très handicapé par la fournaise, Tambay commet une erreur après la courbe de Lagoa et part en tête-à-queue, au même endroit que Hunt dix tours plus tôt. Le jeune Français renonce.
36e : Privé de freins, Villeneuve sort violemment de la route dans la portion finale du circuit et atterrit dans un grillage.
37e : Reutemann mène devant Andretti (40s.), Fittipaldi (47s.) et Lauda (58s.). Regazzoni est cinquième à une minute trente et précède Pironi, Mass, Rebaque, Patrese, Watson, Laffite et Jones.
40e : Les écarts ne bougent guère en tête de l'épreuve, même si Fittipaldi se rapproche très légèrement d'Andretti. Lauda navigue toujours à dix-huit secondes de l'Italo-Américain.
42e : Au bord de l'évanouissement, Rebaque s'arrête définitivement à son garage. Il n'y a plus que onze bolides en piste.
45e : Pas de changement en tête de la course. Reutemann a pris un tour à Regazzoni. Au deuxième rang, Andretti n'est pas inquiété par Fittipaldi.
47e : Reutemann possède maintenant 48 secondes d'avance sur Andretti. Lauda ne parvient pas à rattraper Fittipaldi : quatorze secondes les séparent.
50e : Reutemann a 52 secondes d'avance sur Andretti. Suivent Fittipaldi (58s.) et Lauda (1m. 12s.). Regazzoni et Pironi sont dans les points, mais avec un tour de retard. Ils précèdent Mass et Patrese.
53e : Même en cette fin de course, Reutemann continue à prendre une seconde par tour à ses adversaires.
54e : Watson prend la huitième place à Patrese.
56e : Andretti est en difficulté : il n'a plus que deux secondes d'avance sur Fittipaldi. Patrese s'arrête chez Arrows pour changer ses pneus et remettre de l'essence dans son réservoir.
57e : Andretti est bloqué en quatrième vitesse. Fittipaldi le double dans l'enchaînement de Nonato. La foule exulte. Andretti se fait ensuite doubler par Laffite et Pironi, retardataires, mais continue sa course à vitesse modérée.
58e : Très rapide en cette fin d'épreuve, Laffite reprend un tour de retard à Fittipaldi. Andretti se fait doubler par Lauda et n'occupe plus que le quatrième rang.
59e : Andretti va finir l'épreuve bloqué en quatrième. Regazzoni est si loin qu'il peut espérer conserver cette place jusqu'à la fin.
60e : Reutemann mène devant Fittipaldi (58s.), Lauda (1m. 08s.) et Andretti (1m. 25s.).
62e : La fin de course est pénible pour Andretti qui espère que son quatrième rapport, très sollicité, tiendra bon.
63ème et dernier tour : Carlos Reutemann remporte le Grand Prix du Brésil pour la seconde année consécutive. Il a écrasé la course, mais c'est bien Fittipaldi qui est le héros, salué par le peuple brésilien. C'est son premier podium au volant de sa voiture brésilienne. La foule envahit la piste à son passage sous le drapeau à damiers. Lauda obtient son deuxième podium en deux courses pour Brabham. Andretti parvient à conserver la quatrième place. Cinquième, Regazzoni inscrit ses premiers points pour le compte de Shadow. Enfin, Pironi est sixième et marque donc un point dès sa deuxième course de F1. Mass, Watson, Laffite, Patrese et Jones rallient aussi l'arrivée.
Après la course
Si Carlos Reutemann a été splendide, comme il peut l'être dans ses meilleurs jours, les raisons du triomphe de Ferrari n'échappent à personne. Cette première victoire de Ferrari depuis neuf mois est surtout le premier de Michelin en Formule 1, le premier d'un pneu à structure radial. Pierre Dupasquier a emporté un superbe pari en confiant à Ferrari des gommes tendres qui pouvaient s'effriter avant la fin de l'épreuve, mais d'une grande efficacité. La presse italienne ne s'y trompe pas et le lendemain un caricaturiste métamorphose Enzo Ferrari en Bibendum... Chez Goodyear on fait évidemment grise mine : Charles J. Pilliod Jr., directeur général de la firme d'Akron, convoque aussitôt une réunion de crise.
Les pneus ont aussi joué un grand rôle dans la performance d'Emerson Fittipaldi. Certes le Brésilien demeure un pilote d'exception, certes sa Copersucar à effet de sol est plutôt réussie, mais il a surtout bénéficié des meilleures gommes tendres fournies par Goodyear ce week-end-là. En tout cas le public brésilien est aux anges et ce regain de « fittipaldisme » est excellent pour les recettes télévisées.
Après les deux épreuves sud-américaines, il apparaît que le championnat du monde pourrait se jouer entre ses trois leaders actuels: Mario Andretti sur Lotus-Ford-Cosworth (12 points), Niki Lauda sur Brabham-Alfa Romeo (10 points) et Carlos Reutemann sur Ferrari (9 points). Chez les constructeurs, Lotus mène pour l'heure la danse.
Tony