La Formule 1 arrive en Auvergne pour le Grand Prix de France qui se déroule sur le beau tracé de Charade. Après un début de saison indécis, Jochen Rindt a frappé un grand coup lors du GP des Pays-Bas en dominant la course avec sa révolutionnaire Lotus 72. L'Autrichien apparaît depuis comme le favori du championnat du monde, même si pour l'heure le leader du classement est Jackie Stewart. Mais celui-ci n'a aucune illusion sur les qualités de sa March 701. Ken Tyrrell a entrepris la construction de sa propre monoplace, faite sur mesure pour Stewart, ce qui n'est d'ailleurs plus qu'un secret de polichinelle. Du reste, les performances de l'écurie March officielle dirigée par Max Mosley sont très décevantes: Chris Amon n'est monté qu'une seule fois sur le podium et Jo Siffert ne voit jamais l'arrivée des courses.
Néanmoins, sur ce rapide circuit auvergnat, les voitures dotées d'un moteur douze cylindres sont favorites. On s'attend donc à une lutte entre Ferrari, BRM et surtout Matra qui rêve de triompher devant le public français. C'est l'objectif fixé par Jean-Luc Lagardère à ses hommes. En 1969, Jean-Pierre Beltoise a brillé à Charade en menant un rude combat contre Jacky Ickx. Cette fois-ci il espère bien l'emporter et décrocher enfin sa première victoire en Formule 1.
Le sport automobile français aurait d'ailleurs bien besoin d'une telle performance pour se réconforter. La semaine précédant le Grand Prix, deux jeunes espoirs tricolores, Denis Dayan et Jean-Luc Salomon, se sont tués lors d'une manche de Formule 3 à Rouen-les-Essarts.
Jochen Rindt demeure un adversaire dangereux mais il est handicapé par un mal peu commun: les sinuosités et dénivellations de la piste de Charade l'ont rendu malade la saison précédente, le contraignant à un abandon prématuré.
Denny Hulme est remis de ses blessures aux mains et fait son retour dans le baquet de la McLaren. A noter que cette fois-ci il pilote une M14D utilisée par Andrea de Adamich à Zandvoort avec un moteur Alfa Romeo. Mais pour le Néo-Zélandais, un Ford-Cosworth plus performant a été greffé au châssis. Dan Gurney est à ses côtés en remplacement de Bruce McLaren. Chez Ferrari, Ignazio Giunti pilote la deuxième voiture. Clay Regazzoni fera son retour à Brands-Hatch, selon un principe d'alternance ordonné par Enzo Ferrari.
Cosworth a du mal à entretenir les nombreux V8 utilisés par les petites équipes. John Surtees n'a ainsi pas de DFV compétitif à sa disposition pour cette course. Il décide donc de déclarer forfait pour peaufiner sa nouvelle voiture qui devrait apparaître lors du Grand Prix de Grande-Bretagne.
Endeuillée par le décès de Piers Courage, l'équipe Williams a déclaré forfait pour cette épreuve. On enregistre enfin le retour d'Alex Soler-Roig au volant d'une Lotus 49C.
Pour ce Grand Prix Goodyear apporte un nouveau type de gommes baptisées G24, utilisées par Matra, Brabham et l'équipe de Colin Crabbe.
Les qualifications
Lors des essais, Ferrari confirme sa montée en puissance... et la bonne tenue de son Flat 12. Ickx réalise sa première pole de la saison avec un temps en 2'58''22'''. Il passe ainsi en dessous de la barre des trois minutes. Beltoise l'accompagne en première ligne. Les deux hommes semblent prêts à reprendre le duel qui les avait opposés l'année précédente. Les March s'en sortent plutôt bien puisqu'Amon est troisième devant Stewart. Brabham est cinquième devant Rindt. Hulme a brillé pour son retour puisqu'il se qualifie au septième rang, devant la Matra de Pescarolo. Le jeune Peterson continue d'étonner en obtenant la neuvième place devant la BRM de Rodriguez, très décevante. La sixième ligne est composée de Giunti et d'Oliver. Cevert est cette fois-ci treizième. De Adamich accroche la qualification pour la première fois de l'année et se classe quinzième.
Gurney est seulement dix-septième devant Miles qui se traîne au volant de la version « pataude » de la 72. Eaton et Hill occupent la dernière ligne. Sans grande surprise, Moser, Soler-Roig et Lovely ne sont pas qualifiés.
Le Grand Prix
Une courte séance d'essais se déroule une heure avant la course. Ickx casse un moteur durant cet « échauffement » et doit donc utiliser sa voiture de réserve pour le Grand Prix.
50 000 spectateurs sont réunis sur le circuit de Charade. Le ciel est voilé mais aucune averse n'est attendue.
Départ: Ickx conserve sa première place tandis qu'Amon surgit à gauche et se porte à la hauteur de Beltoise au premier freinage. Suivent Stewart, Rindt et Pescarolo.
1er tour: Amon a cédé face à Beltoise et se fait doubler par Stewart dans le descente vers le virage Manzon.
Ickx mène cette première boucle juste devant Beltoise. Suivent Stewart, Amon, Rindt, Pescarolo, Rodriguez, Brabham, Hulme et Peterson.
2e: Ickx et Beltoise s'échappent en tête de l'épreuve. Ils comptent trois secondes d'avance sur Stewart qui précède Amon et Rindt. De Adamich s'arrête à son garage à cause de problèmes de refroidissement. Il s'arrêtera quatre fois cet après-midi pour les mêmes raisons.
3e: Ickx a une demi-seconde d'avance sur Beltoise qui suit parfaitement son rythme. Stewart contient toujours Amon et Rindt.
5e: Stewart rencontre des soucis d'allumage et entre aux stands en cette fin de tour. Ses mécaniciens examinent la March et vont tenter de résoudre le problème, ce qui va prendre deux bonnes minutes. L'Écossais rencontre ainsi la même mésaventure qu'à Monaco.
6e: Seulement seizième, Oliver regagne le stand BRM à faible allure. Son moteur vient encore de céder, et le pilote anglais renonce pour la sixième fois en autant de Grands Prix cette saison. Son équipier Rodriguez n'est pas mieux loti. Il ne parvient plus à sélectionner ses rapports et revient lui aussi aux stands. Stewart est reparti au dix-huitième rang.
7e: Ickx et Beltoise continuent leur démonstration en tête de l'épreuve. Rindt dépasse Amon et s'empare de la troisième place. Rodriguez met pied à terre.
8e: Ickx a moins d'une seconde de marge sur Beltoise. Rindt est troisième à une huitaine de secondes. Amon voit revenir sur lui un groupe composé de Pescarolo, Brabham, Hulme et Peterson.
10e: Ickx mène devant Beltoise (0.3s.), Rindt (21s.), Amon (21.3s.), Pescarolo (22s.), Brabham (23s.), Hulme (24s.), Peterson (26s.), Giunti (38s.) et Gurney (49s.). Ce dernier a effectué jusqu'ici une splendide remontée.
11e: Giunti s'arrête au stand Ferrari à cause d'un souci avec sa commande d'accélérateur. Il va repartir en dix-septième position mais avec un moteur diminué par la perte d'un cylindre.
12e: Ickx est toujours sous la menace de Beltoise mais semble parti pour tenir toute la course dans cette position.
13e: La bataille fait rage pour la quatrième place entre Amon, Pescarolo, Brabham et Hulme qui sont roues dans roues.
14e: Brabham prend la quatrième place à Pescarolo.
15e: Le moteur d'Ickx commence à donner des signes de faiblesses. Beltoise en profite pour doubler la Ferrari et s'emparer du commandement: la Matra est en tête du Grand Prix de France ! Hulme double à son tour Pescarolo.
16e: Tandis que Beltoise s'échappe, Ickx regagne son stand à faible allure. Le Flat 12 italien a rendu l'âme à cause d'une soupape défectueuse. Le pilote belge est contraint à l'abandon.
17e: Beltoise est tranquillement installé en tête avec quinze secondes d'avance sur Rindt. Amon a semé Brabham, Hulme et Pescarolo.
18e: Peterson arrive au stand de Colin Crabbe. Un arbre de roue s'est rompue sur sa March, contraignant le Suédois à renoncer pour la première fois de la saison. C'est dommage car il pouvait viser les points.
20e: Beltoise mène devant Rindt (16s.), Amon (19s.), Brabham (30s.), Hulme (31s.), Pescarolo (43.7s.), Gurney (1m. 11s.) et Stommelen (1m. 31s.). Suivent Siffert, Cevert, Miles, Hill, Stewart, Eaton, Giunti et de Adamich.
21e: Miles prend la dixième place à Cevert.
23e: Beltoise est en difficulté: Rindt est revenu à dix secondes du Français. Plus loin, Brabham et Hulme luttent pour la quatrième place. Pescarolo est distancé.
24e: Rindt se rapproche de plus en plus de Beltoise. Amon suit l'Autrichien dans sa remontée. Suite à un problème de freins, Siffert quitte la route au « petit pont ». Le Suisse se sort indemne de son embardée mais il abandonne pour la cinquième fois consécutive.
25e: Rindt est désormais dans le sillage de Beltoise.
26e: Beltoise se fait doubler par Rindt, puis par Amon. Le pilote français semble souffrir d'une crevaison lente car sa Matra est instable.
27e: Beltoise est bien victime d'une crevaison à l'arrière droit. Il a probablement roulé sur une de ces petites pierres volcaniques qui gisent parfois sur la piste. « Bébel » regagne son stand en fin de tour. Rindt est désormais en tête de la course avec cinq secondes de marge sur Amon.
28e: Beltoise revient à son garage pour changer ses deux roues arrières. Gérard Ducarouge le renvoie en piste mais le pilote français a perdu énormément de temps. Il n'est plus que dixième.
29e: Rindt est premier devant Amon (4.5s.), Brabham (17s.), Hulme (19s.), Pescarolo (48s.), Gurney (1m. 06s.), Stommelen (1m. 47s.), Miles (2m. 07s.), Beltoise (2m. 53s.) et Cevert (2m. 55s.).
Brabham réalise le meilleur tour en course: 3'00''75'''.
30e: Beltoise a donc repris la piste et a immédiatement doublé Cevert, mais il n'a plus aucune chance d'inscrire un point.
32e: Rindt possède quatre secondes d'avance sur Amon. Brabham est troisième mais a toujours du mal à contenir Hulme.
33e: Cevert est à la peine en cette fin de course puisqu'il s'est fait doubler par Hill puis par Stewart.
35e: Rindt a cinq secondes d'avance sur Amon. Brabham est relégué à quarante secondes et surveille toujours Hulme dans ses rétroviseurs.
36e: Beltoise regagne son garage, cette fois-ci pour de bon car son moteur est déjaugé... alors qu'il reste pourtant quarante litres d'essence dans son réservoir. Beltoise souffre du même problème d'alimentation que Pescarolo à Spa-Francorchamps.
37e: Rindt a six secondes de marge sur Amon et devrait pouvoir l'emporter sans problème.
38ème et dernier tour: Jochen Rindt remporte sa quatrième victoire en F1, la troisième de l'année. Amon finit deuxième pour la seconde fois cette saison. Brabham termine troisième juste devant Hulme. Les deux hommes ne se sont pas quittés durant les deux heures de course. Pescarolo console quelque peu Matra des malheurs de Beltoise en rapportant la cinquième place. Enfin Gurney termine sixième après être parti dix-septième, prouvant ainsi qu'il n'a rien perdu de son talent. Stommelen est septième et devance Miles, Stewart, Hill, Cevert, Eaton et Giunti. De Adamich n'est pas classé.
Après la course
Rindt est très satisfait de cette victoire, certes peut-être un peu chanceuse. Il n'a pas souffert de nausées, ce qui démontre que les symptômes ressentis en 1969 n'étaient que les conséquences de son accident subi à Montjuïc cette année-là. Ce succès lui permet surtout de prendre la tête du championnat du monde. Le jeune Autrichien possède en effet désormais 27 points contre 19 à Brabham et à Stewart, ses deux principaux adversaires. Amon apparaît au quatrième rang avec douze unités, soit le même total que Hulme.
Chez les constructeurs, Lotus prend la première place à March pour un point. Colin Chapman est ravi: sa 72 lui permet de retrouver les sommets et de faire oublier le retentissant échec de sa monoplace à quatre roues motrices. Toutefois, il sait qu'il ne doit pas s'endormir sur ses lauriers. La Ferrari 312B de Mauro Forghieri, bien que conventionnelle, monte en puissance course après course...
Tony